Tendres rencontres
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

Tendres rencontres

Tendres rencontres
 
AccueilAccueil  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  ConnexionConnexion  
Le Deal du moment : -20%
-20% Récupérateur à eau mural 300 ...
Voir le deal
79 €

 

 La cour des miracles - Roulotte et hacienda

Aller en bas 
Aller à la page : 1, 2, 3, 4  Suivant
AuteurMessage
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyVen 12 Déc - 21:14

La taverne d'Odet.


Rodrigo


Hé bien non, il ne s’attendait pas à ce qu’elle lui manque ainsi. Ses tripes en sont toutes remuées, quand il pense à elle.

Il la connaît pourtant par cœur, qu’elle ait revêtu ses reflets de cendres, d’émeraude, ou de lapis-lazuli, qu’elle se travestisse en calanque, en crique, ou qu’elle jette ses hordes de moutons d’écume vers l’inaccessible horizon.

Et l’odeur ? L’odeur de poudre à canon, après les salves qui résonnent longtemps dans les tympans. Cette odeur, il la hume toujours, incrustée dans ses vêtements élégants, et même dans sa peau tannée.

Oui, il la connaît, il l’aime, même s’il lui doit, d’une certaine manière, cette raideur dans le dos qui ne le quitte pas, ce coup de sabre d’abordage lâchement planté dans sa hanche droite. Oui, il la connaît, il l’aime, même si elle a bien failli devenir son tombeau.

Il marche, il vogue. Cap vers l’ouest. Claudication légère.

Ici, le cri des mouettes affamées a fait place aux braillements des ivrognes qui s’invectivent dans les tavernes borgnes et sordides. Ici, une pluie fine se substitue aux embruns salés et à la brise du large qui agitait sa tignasse blonde. Ici, le soleil est mort, même en été.

Bousculé par une loque humaine errant comme lui dans les ruelles, il revient sur terre. Holà moussaillon ! Un contrôle rapide ! Tout va bien, sa bourse n’a pas pris le large. Un double nœud de marin la sangle solidement à sa ceinture de cuir. Son or est portugais, mais il n’a pas d’odeur, pas de frontière, il est accueilli partout avec de larges sourires de convoitise.

Barre à tribord. Toutes voiles dehors. Il est en retard, à force de rêvasser.

La taverne, quel est son nom déjà ? Taverne du baudet ? Non, la voilà, telle qu’elle lui a été décrite. Taverne d’Odet. Sa mémoire lui joue des tours. Hop ! Il passe les doigts dans sa crinière. Geste bien inutile. Il vire à tribord et entre d’un pas décidé, dissimulant fièrement son boitillement, se lançant vers le comptoir comme on se lance à l’abordage d’une frégate ennemie.



Malika



Elle pressait le pas , sous la fine pluie, remontant sur ses cheveux le capuchon bordé de fourrure, se rendant à la taverne où elle devait danser.

Au détour de la venelle, elle croise un grand jeune homme blond qui arrivait en claudiquant.
La démarche chaloupée des hommes de mer qui avaient l’habitude d’arpenter le pont d’une caravelle un jour de tempête, son regard allant d’un coin de la rue à l’autre, il avait l’air d’être à la recherche d’un lieu hospitalier !

Comme il se rapprochait elle vit la bourse de cuir bien rebondie qu’il portait à la ceinture. Peut être qu’en fin de nuit pourrait elle la lui soustraire ?A moins que de lui-même !

Elle connaissait son pouvoir sur les hommes, qu’ils soient manants ou chevaliers, notables ou officiers !

Mais il n’avait pas l’air commode le gaillard ! Sûrement habitué aux amours d’escales et tarifées.
Malgré sa blondeur angélique, il était impressionnant , par sa taille et sa carrure, sa peau était tannée et ses yeux d’un bleu métallique.

Elle était jolie Malika, le sang Hongrois de sa mère et Maure de son père en avait fait une jeune femme somptueuse, vibrante , violente , sensuelle, écorchée. Le son lancinant des violons tziganes et ceux des kouitras mauresques se mêlaient dans sa tête, dans son cœur, et la faisaient danser .
Elle s’accompagnait en claquant des mains, ses longs doigts couverts de bijoux d’argent, ses poignets souples et fins entourés de bracelets qui accrochaient la lumière, les voiles transparents dont elle se couvrait laissant parfois entrevoir son regard d’azur venu de l’est !

Dans un gracieux froufrou de soie et de bijoux qui s’entrechoquent ,Malika pénètre dans la taverne. Avec désinvolture, elle se déhanche et se balance au rythme langoureux d’un refrain qu’elle est la seule à entendre, entre les tables disposées près de l’entrée. Puis elle s’approche lentement du comptoir, légère, sensuelle, et fière, et tourbillonne auprès de l’élégant géant blond



Rodrigo



C’est assez bizarre … le matelot de la Medusa, le fier trois-mâts du capitaine Montoya, brille par son absence. C’est peut-être un signe du destin, ce Miguel est réputé pour attirer son prochain dans d’interminables embrouilles dont on ne sort jamais totalement blanc comme neige.

Rodrigo s’appuie contre le comptoir crasseux, évitant de tremper sa manche dans les résidus indéterminés qui stagnent entre les verres vides et sales. Pas la moindre souillon en vue pour déblayer tout ça, ce qui ne le surprend guère. Le dernier nettoyage de ce rade encombré et graisseux doit remonter au moins à quelques semaines, sinon plus.

Quelle idée étrange de lui avoir fixé un rendez-vous dans ce bouge infâme ! Bien sûr, c’est plutôt par désœuvrement que par intérêt qu’il a posé ici ses bottes, mais il commence déjà à le regretter. Oh non, il ne va certainement pas patienter pendant des heures, pour se voir finalement proposer une combine minable. Pas besoin de ça, d’ailleurs, il a été largement récompensé de toutes ses semaines en mer par son brave capitaine.

Ah, la porte s’ouvre enfin, ça doit être Miguel …

Non, c’est bien mieux qu’un marin alcoolique et court sur pattes ! C’est une gitane sculpturale qui apparaît dans l’entrée, la peau halée, les yeux sombres et fiers, la chevelure longue et bouclée, une fille de Bohème sauvage et sensuelle jusqu’au bout de ses ongles peints. Le regard de Rodrigo s’attarde sans retenue sur les jambes interminables, sur les bras nus qui ondulent avec grâce, sur les mains fines qui s’animent et s’envolent, légères comme des oiseaux-mouches, sur la cambrure de ses reins, lorsque la belle se met à danser de manière lascive et pourtant si naturelle, comme si elle était seule sur terre.

Doit-il se pincer ? Est-il de nouveau dans ce désert traversé récemment, après un accostage en catastrophe de son bateau poussé par une tempête furieuse contre les rochers battus par les flots ? Est-elle un mirage qui va s’évanouir dans un instant ? Est-il en orient ou en Afrique ?

Même pas … L’apparition s’est approchée de lui, ses voiles vaporeux l’effleurent, son corps svelte tournoie et virevolte à proximité du sien. Comment quitter des yeux ce superbe spectacle ? Il sourit, tend la main vers cette vision de rêve, qui se recule aussitôt d’un pas, insaisissable.

Retour sur la terre ferme. Tu veux jouer ? Alors jouons ensemble. Un bel écu d’or jaillit comme par magie entre les doigts de Rodrigo. Cette sylphide n’est pas là pour ses beaux yeux, il ne l’ignore pas, et le géant blond pose une main prudente sur son escarcelle.

Quel est ton nom, mignonne enfant ? Peux-tu chanter et danser pour moi ? As-tu la voix envoûtante de ces sirènes qui charmèrent Ulysse et le firent succomber à leurs sortilèges ?




Malika



En ondulant lascivement, elle le frôle, lui sourit, s’éloigne, se rapproche. Quelques voiles , savamment posés glissent, découvrant ses épaules, puis le profond décolleté qui met en valeur ses seins ronds et menus, naturellement dorés par le métissage dont elle est issue.

Le regard brûlant de la gitane plonge dans le ciel des yeux du marin. D’un mouvement de tête, elle remet sa chevelure en place. Entre ses doigts, il tient une pièce d’or, un sourire découvre ses dents de carnassier.

Il y a là quelques gueux qui rient grassement, et boivent en éructant des pintes de bière, mais elle ne les voit pas, elle ne voit pas la crasse de la taverne. Ce n’est pas dans celle-ci qu’elle voulait se rendre, mais la belle allure et la bourse rebondie du marin l’ont faite entrer à sa suite dans ce bouge.

Dans le cliquetis de ses bracelets, d’un geste rapide et gracieux, elle prend la pièce offerte et la glisse rapidement dans sa ceinture.

Quel est ton nom, mignonne enfant ? Peux-tu chanter et danser pour moi ? As-tu la voix envoûtante de ces sirènes qui charmèrent Ulysse et le firent succomber à leurs sortilèges

Je m’appelle Malika, et je danserai pour toi ce soir, rien que pour toi ! Je chanterai aussi ! Ecoute .........
De sa voix suave, rauque, douce et sensuelle, elle entame un chant de la tribu de sa mère,
un chant qui parle des steppes arides et sauvages de ces contrées, des brumes matinales, des chevaux lancés au galop par des cavaliers tartares qui ont enlevé les danseuses du khan ! D’amour aussi !

L’air nostalgique embrume ses yeux. Ses gestes sont plus langoureux, son sourire plus doux !

Elle ne sait pas pourquoi sa voix se casse ?Elle s’arrête net de chanter ....
Le regard du marin s’est fait plus pesant, des ondes lourdes de désir passent entre eux ! Ils se frôlent ! Leurs souffles, un instant, se mêlent !
D’un geste brusque et dans un grand éclat de rire, elle prend le verre qu’il tient, le boit et le lui rend.

Avec rapidité, elle vérifie si la dague d’argent qu’elle porte aux creux des reins est toujours là, fidèle, prompte à piquer les bourgeois trop entreprenants ou les soldats aux mains baladeuses, et souvent salvatrice dans certaines circonstances, ou même simplement à trancher des ceintures porteuses d’escarcelles rebondies …



Rodrigo



La belle entame un chant nostalgique, d’une voix rauque et sensuelle. Les paroles en sont incompréhensibles pour le marin, mais ce chant est imprégné des peines et des doutes de ce peuple d’errants, au destin souvent si tragique. Et la voix qui l’interprète lui met le cœur à nu, l’envoûte, le fait frissonner. Rodrigo est sous le charme de cette gitane au regard grave et fier, qui chante comme si elle avait connu tous les malheurs du monde, traversé les pires tempêtes du corps et du cœur, alors qu’elle est encore si jeune.

Et soudain la voix se brise dans un sanglot, et la mélodie s’interrompt. Cette chanson contient trop d’émotions pour Malika, et lui rappelle sans doute son village, sa famille, ses amis, tous les êtres qu’elle chérit et qui sont peut-être loin d’ici, à l’autre bout de la terre. En un instant ses yeux ont pris la couleur du chagrin, et son visage, tout près du sien, a revêtu un masque de tristesse.

Mais la mignonne s’arrache d’un coup à cette mélancolie importune. Un rire d’enfant jaillit de ses lèvres de feu, dévoilant ses dents éclatantes, ses dents de porcelaine. Elle a triomphé de ses vieux démons surgissant en rangs serrés de son passé, et la métamorphose est stupéfiante.

Geste de défi, ou simplement taquin ? Elle vide d’un trait le verre que Rodrigo avait eu bien du mal à obtenir. Et cette fois ils rient tous les deux de ce bon tour qu’elle vient de lui jouer. Pas rancunier pour un sou, Rodrigo s’apprête à commander d’autres verres, mais non, décidément non, cette gargote immonde ne l’inspire pas du tout. Il ne s’y sent vraiment pas à l’aise. A t’il une chance de trouver mieux aux miracles ? Il l’ignore, mais il est possible que la princesse des mille et une nuits en connaisse davantage, et qu’elle accepte de l’accompagner.

Hé bien, Malika, tu mourrais de soif ! As-tu faim aussi ? Veux-tu que nous cherchions un endroit plus agréable que ce bouge ? Tu es mon invitée … Je suis don Rodrigo de Setubal, marin et officier portugais, et je suis à ton service, nina maravilla à la voix d'or.

Au diable ce satané Miguel et ses projets foireux ! Rodrigo offre son plus charmant sourire à la jolie fille de Bohème, et, sans la quitter des yeux, il fait un pas vers la sortie, pestant contre cette blessure à la hanche qui se manifeste déjà.


Le campement des fils du vent


Malika


Le tintement d’une pièce jetée sur le comptoir, un sourire complice, il ouvre la porte en la lui tenant et ils se retrouvent dans la ruelle sombre. Chercher une auberge dans ce quartier se révèle impossible, il n’y a que des gargotes répugnantes, et Malika n’aime pas être enfermée, elle est fille de l’air et du soleil et préfère l’air frais du soir aux odeurs acres des tavernes.

Ils marchent tout en parlant et Malika a des tas de choses à raconter, comment elle est arrivée aux miracles, le campement déjà installé qu’elle voulait rejoindre, « Les Fils du Vent », où elle espérait retrouver des membres de sa tribu, un cousin tant aimé, le frère, avec qui elle avait été élevée.

Avec sa roulotte tirée par son cheval et son chien comme compagnons de route, elle était arrivée deux jours auparavant pour trouver un campement pratiquement désert.
Elle avait traversé le royaume de France, venant du Sud où il faisait toujours beau, où il faisait toujours chaud. Elle s’arrêtait de ville en ville pour danser, chanter et dire la bonne aventure et quand même délester quelques bourgeois de leur escarcelle !

Mais je parrrle !! Je parrrle, tu as faim peut êtrrre ???
Tu boîtes ?? Tu as mal ????????
Viens ! Viens si tu veux ! Je te fais voirrr mon campement, j’y ai fait du feu et mis la goulash à cuirrrre ! Tu verrras c’est un plat de chez moi, tu vas aimer !!

Mon chien Igorrrr !! Garrrde !!

Elle lève son regard vers le marin aux yeux transparents, il lui sourit, elle glisse sa main dans la sienne, l’entraîne vers le campement qu’elle a investi. Sous un arbre se trouve sa douillette roulotte, son cheval broute l’herbe à l’entour, son chien est couché devant le feu rougeoyant !
Il les entend, lève une oreille, ne gronde pas , et pourtant c’est un redoutable gardien, il a reconnu l’odeur, la voix , le rire de sa maîtresse. Le grand molosse noir se lève, s’étire et accourt vers eux en jappant de joie !

Rodrrrigo ! Je te présente Igorrrrr !! Mon garrrdien ! Et là c’est mon cheval Terrrra !!!

Elle fit une révérence et esquissa un pas de danse, monta les quelques marches qui l’amenaient à l’intérieur, poussa la porte de son chaleureux palais, pour y faire entrer le jeune homme !


Dernière édition par Pluie le Ven 20 Fév - 11:13, édité 2 fois
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptySam 13 Déc - 19:00

Rodrigo


Le campement, refuge des gens du voyage, est peu animé. On ne s’y bouscule pas, et la roulotte isolée de Malika y semble égarée. Où sont donc ces gens du voyage ? Hé bien, en voyage, pardi ! Les miracles n’offrent sans doute pas suffisamment de proies intéressantes aux voleurs de poules, qui sont allés tenter leur chance sous d’autres cieux plus séduisants, plus enrichissants. Guidés probablement par les confidences d’une boule de cristal ou par les secrets déchiffrés dans les lignes de leurs mains.

C’est avec ce préjugé un peu étroit et hâtif que Rodrigo traverse le quartier des manouches. Un a priori d’ailleurs héréditaire et typiquement bourgeois, car en réalité l’officier n’a jamais eu à se plaindre de méfaits attribués aux romanichels. Au contraire, il a eu sous ses ordres des marins issus de tous les horizons, et notamment de l’Europe de l’est, et, dans l’ensemble, ils se côtoyaient plutôt amicalement. Toutefois, la prudence est de rigueur.

Avec son bel accent né au-delà des frontières du levant, l’adorable gitane, en chemin, lui a décrit son périple, et lui a posé mille questions. En toute simplicité, abandonnant ses allures de beauté ténébreuse et mystérieuse. Elle l’a écouté, vive et amusée, lorsqu’il lui a raconté quelques souvenirs de son enfance heureuse dans la propriété de ses parents, puis inquiète et compatissante, quand il a évoqué ce coup d’épée déloyal qui lui fait aujourd’hui traîner la patte. Gentiment, le tenant par la main, elle a ralenti le pas, sans rien dire, et il lui en est infiniment reconnaissant.

Ils sont arrivés … Rodrrrigo, Terrra, Igorrr, rrroulotte, ces mots sonnent comme les galets que la mer roule sur la plage, inlassablement. Il sourit. Il est sous le charme.

Sous le charme également lorsque Malika le précède, grimpant vivement l’escalier. Le tissu de sa robe se tend, laissant deviner ses cuisses fines et interminables, ainsi que ses petites fesses haut perchées qui se balancent et tanguent comme ces bateaux amarrés au port. Et c’est la lave du Vésuve qui se déverse dans les reins du géant blond.

A l’intérieur, il s’assied sagement à la petite table, accrochant sa veste d’uniforme, aux boutons dorés, au dossier de la chaise. Malika prépare en chantonnant assiettes et couverts, ce qui lui laisse le temps d’examiner l’aménagement de la roulotte, sa décoration simple, chaleureuse, et surtout colorée, même éclatante. Des coussins jaunes négligemment posés sur un divan de velours écarlate, des étagères de bois blanc, des rideaux bleus de mer pendus aux fenêtres étroites, des bibelots multicolores recueillis ça-et-là, dans les villages traversés. En évidence, des tambourins, une balalaïka, et des piments rouges qui sèchent, accrochés à un fil. Le tout forme un ensemble harmonieux, disposé avec goût, et très personnel.

C’est coquet chez toi, Malika. Dis-moi, ça t’ennuie si je me bourre une pipe ?

La belle lui offre un battement de cils en guise de réponse, et Rodrigo sort d’une poche sa blague à tabac finement sculptée et sa courte pipe en bois exotique. A travers les volutes de fumée, ses yeux se posent sur la superbe fille de Bohème, et leurs regards se croisent, s’interpellent, se déchiffrent.


Malika


L’ambiance qui règne dans la roulotte de Malika lui ressemble, tendre et passionnée, douce et piquante comme les piments qui sèchent au plafond, caressante et violente comme son âme.
Le marin a allumé une pipe odorante, la fumée parfumée s’élève en douces volutes entre eux,
rendant encore plus ténue la lumière des bougies qui dansent en projetant des ombres sur le bois ciré
Sur une petite table elle a disposé des écuelles et des cuillères d’étain, un pain doré et croustillant, quelques fleurs dans un vase.
Jamais encore elle n’a fait entrer d inconnus dans son antre, pourquoi lui ?
Elle le fait asseoir sur le grand divan recouvert de velours pourpre, calant quelques coussins lumineux dans son dos.
Elle sert les verres de vin chaud, tire un tabouret et s’assied en entourant ses genoux de ses bras, son regard intense posé sur lui.

Elle aime les histoires de voyage, surtout sur les mers, des histoires de beaux capitaines, de sirènes chantant aux creux des vagues lors des tempêtes, et qui les attirent ainsi, toutes ces histoires magiques qui avaient bercé son enfance.

Parrrle moi de tes voyages !.....

Et il lui raconte d’une voix douce, les longues nuits de quart, les déferlantes qui claquent sur la coque torturée des navires, les nuages roulants dans le ciel sombre et qui prennent des formes de monstres étranges, mais aussi les nuits étoilées, la douce voie lactée et la croix du sud dans une autre hémisphère. Les matins roses et mauves radieux traversés par le vol des mouettes, aux couchants or et rouge sublimes lorsque le soleil se noie dans l’océan ! La ligne verte qui à ce moment précis apparait à l’horizon, entre mer et ciel confondus.

Ils parlent, ils rient , ils se découvrent, ils boivent, un verre, deux, trois……il fait chaud ! Elle laisse tomber son châle fleuri, le corselet de sa robe met en valeur sa poitrine et sa taille fine
La longueur de ses jambes se devine sous la soie de sa jupe
Elle prend sa main dans les siennes, la retourne et regarde les lignes de la paume qui se croisent ou s’élancent, les fines striures qui les hachent. Un sourire, il referme sa main emprisonnant la sienne. Elle le tire vers elle, il est maintenant debout, contre elle. Dans la ruelle et la taverne sombres, elle ne l’avait pas vu si grand, ni si beau, un léger trouble l’envahit, ses pommettes rosissent.

Pour rompre la tension qui s’installe entre eux elle se recule promptement, secoue sa crinière, rit, légère, elle virevolte vers la table et l’invite a s’asseoir .
Une bouteille de vin de Bordeaux est déjà ouverte , le goulash sur la table attend d’être servi.
Quelques fruits confits qui attendent dans un panier d'osier tressé.
Viens !viens manger !nous avons la nuit devant nous, plus tarrrd je te jouerrrai un airr de violon que tu aimerrras, je ne danserrrai que pour toi.


Rodrigo


Oui, il fait vraiment très chaud, et le vin n’y est pour rien. Ni les épices, d’ailleurs, ni les piments largement incorporés dans la goulasch. C’est la fournaise dans la roulotte, c’est la canicule qui pèse sur les rivages portugais, au mois d’août, lorsque le soleil vient repeindre en brun les corps dénudés des enfants qui jouent dans les vagues. Il fait très chaud, oui, et Malika est vraiment très belle.

La goulasch est délicieuse, et même incomparable, affirme le marin. D’ailleurs, comment comparerait-il, le vilain flatteur ? C’est la toute première fois qu’il goûte à ce plat, bien différent de la cuisine de son pays …

Dix petits doigts … Deux petites mains fragiles posées par Malika de chaque côté de son assiette …

Rodrigo explique, elle écoute, attentive, intéressée. Il a abandonné sa pipe sur le bord d’une écuelle, et il multiplie les grands gestes du bras. Il lui montre, là-haut, à droite de ce nuage en forme de cheval blanc lancé au galop, un vol de mouettes affamées qui suivent le bateau en poussant de grands cris rageurs, et se battent à coups de bec pour récupérer les restes de nourriture jetés à la mer par le cuistot du bord.

Dix petits doigts … qu’il regarde du coin de l’œil …

Il lui désigne, à bâbord, les arbres majestueux d’une plage déserte. Le soleil de midi s’est accroché à la cime du plus imposant, et le couvre d’un diadème doré. La mer s’endort sous la chaleur épaisse, sa peau grise est immobile. La brise se tait. L’espace tout entier est silencieux. La voix de Rodrigo va decrescendo.

Dix petits doigts … ornés de bagues multicolores …

De l’audace, que diable ! Les mains du géant blond, rudes et puissantes, se font douces comme le ventre rose d’un agneau. Elles se glissent lentement vers celles de Malika, contournant la bouteille de vin, évitant la marmite encore fumante. Sillonnant la table comme un bateau sillonne l’océan. Délicatement, il prend les dix petits doigts entre les siens, et, tout en dévisageant l’adorable fleur de Bohème, il les porte à ses lèvres, les embrasse tendrement l’un après l’autre, puis les mordille du bout des dents, en souriant, pour taquiner la belle, et pour lui montrer aussi que le fauve s’éveille en lui. Il prend confiance, la charmante gitane n’a pas retiré sa menotte, et ne lui a pas enfoncé sa dague dans le poignet. D’une voix rauque, douce, chaude, il poursuit …

Tu es vraiment très jolie, Malika, et très attirante. Veux tu que nous … euh … retournions un moment dans le divan, nous y serions mieux … De plus, ma hanche me fait un peu souffrir sur cette chaise …

En voilà un argument dans la bouche du coquin ! Fier de toi, Rodrigo ?


Malika


Elle le voit venir, le beau marin, et comme par hasard il veut se reposer sur le canapé ....
Mais bien sûrrrrr, mon ami, allonge toi.
Malika tapote sur deux ou trois coussins, les installant confortablement, lui sert encore une rasade de vin, décroche une mandoline du mur, et commence à chanter d’une voix douce une mélopée arabo- andalouse, qui parle d’un jardin de roses et d’une romance entre un guerrier barbaresque et une princesse espagnole.

Songeuse, elle l’observe à travers ses cils baissés.
Si elle ne s’est pas dérobée à la caresse de ses mains, c’est qu’elle est bouleversée par le regard profond et tendre du jeune capitaine, par ses longs doigts caressants.
Mais, elle sait bien, par les dires des catins qu’elle croise parfois à la cour des Miracles et auxquelles elle dit la bonne aventure, qu’avant de l’être devenues, elles ont succombé au charme et aux belles paroles de beaux garçons qui disparaissent, une fois leur fleur dérobée. Elle ne souhaite pas devenir la proie de ce beau marin, parce qu’il lui plait vraiment trop.

Est-ce le vin ? La douceur de sa voix ? Rodrigo parait subjugué. Il est dans un autre monde. D’une main légère elle écarte une mèche blonde du marin, caresse doucement son front, puis elle dépose un baiser sur la bouche close du jeune homme. Les yeux brillants, les lèvres humides, elle se recule, et pose sa mandoline sur une table.
Tu es bien, Rrrodrrrigo ?

Malika et Rodrigo, trop absorbés par l’intensité de l’instant, n’ont pas remarqué le manège de Rolio, le petit singe qu’elle a ramené d’Orient. Il a pour habitude d’entrer en action quand elle entame la deuxième danse, au début de ses spectacles. De ses petits doigts agiles il délie les bourses avec rapidité, que ce soit dans les tavernes et sur les marchés ou les badauds s’arrêtent, sous le charme de sa voix envoûtante.
Retenant parfaitement sa leçon, il rejoint alors de lui-même à la roulotte, cachant lui-même ses prises, et si Malika est soupçonnée par la maréchaussée, jamais elle n’a sur elle d’écus sonnants et trébuchants qui pourraient appartenir aux curieux qui la regardent danser ou l’écoutent chanter.

En silence, l’animal saute soudain de la poutre sur laquelle il aime se tenir, et se précipite sur la bourse du jeune homme, rangée dans sa veste. Prestement il la dérobe et va la dissimuler avec d’autres, sous une latte du plancher, elle-même cachée par le tapis où dort Igor, le grand chien noir.

Désir ? Pulsion ? Curiosité ? La jolie gitane fait glisser sa jupe sur ses hanches, et elle tombe à ses pieds en un petit tas soyeux. Gardant ses jupons brodés, elle délace son corselet de velours, échancre légèrement son chemisier blanc, puis s’assied aux pieds du jeune homme, lui ôtant délicatement ses bottes.


Rodrigo


La mignonne prend soin de lui, et il aime plus que tout se laisser chouchouter, Rodrigo, quand il n’est pas en mer. Tu es bien ? … lui demande t’elle.

S’il est bien, allongé sur cette infâme couche, aussi étroite que les bancs disposés au fond des églises, et aussi dure que la charpente de bois de son trois-mâts ? S’il est bien ? Quelle question ! Il est merveilleusement bien.

Cependant, lorsque Malika se penche vers lui pour le débarrasser de ses bottes, sa bonne éducation reprend le dessus. Pas question de se laisser déchausser par une personne aussi charmante ! D’une horrible mégère il l’accepterait sans doute, mais non, pas Malika. L’adorable gitane s’est agenouillée, et Rodrigo bénéficie d’une vue superbe sur son joli décolleté. Sa pomme d’Adam fait trois petits sauts rapides. Ses yeux refusent de lui obéir, de se détourner, et ils détaillent discrètement les deux seins mignons et dorés.

Allez Rodrigo, ressaisis-toi …

Il s’incline également vers l’avant, et prend doucement entre ses doigts les poignets fragiles de la tendre fleur de Bohème.

Non, Malika, laisse-moi faire, ce n’est pas à toi de m’enlever ces bottes.

Hop, il se débarrasse d’un geste vif de ses bottillons de cuir, gardant entre ses larges paluches les avant-bras délicats de la belle, qui ne se dérobe pas, qui sourit. Est-ce une autorisation tacite ? Assis sur le rebord de la couchette, le bel officier attire Malika contre lui, l’emprisonne entre ses bras, la fait doucement plier sous les baisers qui inondent son cou et la naissance de sa poitrine.

Du calme, Rodrigo, n’effarouche pas la belle. Hier elle était encore une enfant, et la métamorphose en une femme superbe n’est pas terminée. Le papillon multicolore n’a pas encore vu le jour. Pourtant, la jeune Bohémienne ne fait rien pour se dégager. Après un instant d’hésitation, de surprise, elle se détend, s’abandonne à son étreinte, cherche ses lèvres. Leur baiser est d’une tendresse infinie, un savoureux vertige, un magnifique arc-en-ciel au-dessus de l’océan sombre. Le marin fond comme ces glaciers sous le soleil de l’antarctique. Son cœur bat très vite, très fort. L’amour peut donc naître partout, même dans ce campement sordide de la cour des miracles.

Rodrigo, tu as pourtant une promise qui t’attend avec impatience, dans l’hacienda de tes parents, cueillant en rêvant les roses grimpantes et les bougainvillées. As tu déjà oublié son nom, son visage ?
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyMer 14 Jan - 15:32

Malika



Il la tient bien serrée dans ses bras, l’embrasse délicatement au creux de la gorge, à la naissance des seins, elle frémit contre lui. Malika ne se dérobe pas, au contraire, une douce chaleur monte de son ventre, elle éprouve pour la première fois de sa vie un désir qui lui fait perdre la raison, elle lui rend tendrement, puis fougueusement son baiser. Ses mains, comme celles d’un aveugle, apprennent dans une douce caresse chaque angle de son visage, les longs doigts de Rodrigo remontent sur ses cuisses dans le froufrou des jupons malmenés.

Soudain, un souvenir explose dans sa tête, une pensée assaille la belle, elle se cabre, se recule comme un animal blessé au pied du divan, où elle se met en boule, les yeux remplis de larmes. Mais là elle restera silencieuse, elle n’expliquera rien, c’est son secret, son secret à elle seule.

Rodrrrrrigo !! Parrdon, parrrdonne moi, je ne peux pas !

Le marin, surpris, étonné par une telle volte face, se relève sur un coude. Le regard assombri il observe Malika. Sa chemise entrouverte laisse apparaitre sa peau bronzée. Elle ne le quitte pas de ses yeux embrumés, l’esquisse d’un pâle sourire sur ses lèvres .

S’il te plait, Rodrigo, tout va trrop vite, tu me plais à la folie, mais justement je ne veux pas commettrrrre de folie. Il y a à peine quelques heurrrrres, nous ne nous connaissions pas, je t’ai amené chez moi, et jamais je n’avais fait ça. Dans ma tribu mes frères ou mes cousins m’aurrraient tuée pour avoir amené un gadgo chez nous. Tu comprrends ?Dis moi que tu comprrrends !

Il se lève, se rajuste, allume une pipe, repousse en arrière une mèche blonde tout en s’asseyant dans le grand fauteuil d’osier…

Elle ne sait plus où se mettre, Malika, partagée entre le désir et la honte.
Elle a déjà peur qu’il parte et qu’elle ne le revoit plus jamais. Elle s’assied à ses pieds, posant sa tête sur ses genoux…

Tu es un officier, réfléchis, je ne suis qu’une gitane, je ne veux pas pleurrrer le rreste de ma vie parrceque tu m’aurras aimée une nuit, rien qu’une nuit et tu serrras reparrti au matin, heurreux d’avoirrr une femme de plus à ton tableau de chasse.

Elle relève la tête, remet de l’ordre dans sa crinière, et le regarde au fond des yeux, elle y voit une certaine incompréhension, elle a peur, un nœud d’angoisse lui serre la gorge.

Si tu veux, demain ? Demain je danse sur la place du marché, avec Rrolio, tu viendras ? Si tu viens, c’est que tu m’auras comprise et pardonnée …



Rodrigo



Elle lui a brisé le cœur en se recroquevillant comme un oisillon blessé. Ce n’est pas du tout ce qu’il voulait ! Elle paraît si fragile, si désarmée, soudain. A mille lieues de la beauté ténébreuse et fière qui dansait pour lui chez Odet. A mille lieues de la femme fatale qui le caressait des yeux et de ses voiles transparents.

Oui, c’est bien ce qu’il craignait. Il a laissé s’exprimer sa fougue, son désir, sa fièvre. Beaucoup trop ! Depuis toujours il mène sa vie comme il mène un abordage, toutes voiles dehors. Fin stratège en mer, mais plutôt gros balourd sur terre, hélas. Tu le sentais pourtant, Rodrigo, que tu ne devais pas effaroucher cette adorable gamine. Tu le sentais, oui, mais tu l’as oublié aussitôt, dès que tu as pu la prendre dans tes bras.

Et Rodrigo se rassied à la table, penaud, déçu. Cependant, l’horizon s’éclaircit. Il écoute Malika qui lui ouvre son cœur, et se rassure progressivement. En définitive, elle lui demande simplement de prendre patience, de contenir ses ardeurs. Elle l’a repoussé, certes, mais c’est le résultat de son éducation et des coutumes ancestrales de son peuple gitan. Ce n’est pas dirigé contre lui. Au contraire, leur attirance est réciproque, leurs sentiments sont identiques. Et il fond à nouveau lorsqu’elle vient s’asseoir à ses pieds et poser son front sur ses genoux, comme une coupable, comme une repentante. La résistance de Malika se lézarde comme ces murs décrépits qu’une simple bourrade renverserait sans peine. Mais cette fois il reste coi, il se contente de caresser les boucles blondes qui tombent en cascades sauvages jusqu’au bas de son dos.

Ce n’est pas la fin du monde, ils vont se voir le lendemain, déjà. Elle le désire autant que lui, mais semble craindre un refus, et c’est à lui de la rassurer, à présent.

Mais bien-sûr que je viendrai, mon adorable gitane. Et je n’ai rien à te pardonner. Je comprends tes raisons, sois sans craintes. Je n’ai pas une fille dans chaque port, comme le prétendent ces légendes ridicules qui circulent au sujet des marins. Je me montrerai patient, si tel est ton souhait. Je ne veux pas te perdre à l’aube d’une belle histoire, après un seul baiser. Fais-moi confiance, je te serai fidèle. Nous venons de deux mondes différents, c’est vrai, mais rien n’est impossible pour ceux qui s’aiment …

Rodrigo se lève, et redresse lentement la mignonne en lui tenant les mains. Ses lèvres effleurent son front, ses doigts hésitent à lui prendre la taille, mais non, elles se referment sur le col de sa veste d’uniforme. Avant de la jeter sur son épaule, il tâte machinalement ses poches. Tiens ? … Perplexe, il recommence une seconde fois … Et aucune trace de sa bourse. Il l’avait pourtant sur lui en pénétrant dans la roulotte, et son regard n’a pas quitté la jolie Malika un seul instant. Il la dévisage à nouveau …

C’est étrange, je ne retrouve pas mes écus. Il n’y avait pas une fortune, mais une partie de ma solde. C’est embêtant malgré tout. Comment ont-ils pu disparaître ainsi ?



Malika


Malika pâlit, le regard perdu s’affole ; Que va-t-il penser, qu’elle l’a volé ? Quoi de plus normal que de penser cela ! Mais non, pas lui, jamais lui, il n’est pas comme ces bourgeois gras, rougeauds et suants qui se repaissent de la vue de son corps ondulant quand elle danse, et à qui Rrrolio délie la bourse sans qu’ils s’en aperçoivent…
Après tout elle ne les vole pas, elle prend un salaire qu’ils ne lui auraient jamais donné… Elle a sa morale à elle, la petite gitane.

Rrrooolioooo ! Bien sûrr !

RROOLIO !
D’un bond le petit singe saute de la poutre, où il aime se tenir, et atterrit sur son épaule en tenant dans ses petites mains un fruit qu’il a pris dans le panier, et qu’il a déjà bien grignoté.
Facétieux, il fait l’intéressant, sachant qu’il retient l’attention des gens. Malika explique tout à Rodrigo, elle se livre à lui, confiante.

Viens, viens voir, je sais où est ta bourse.

Prenant la main de Rodrigo, elle se dirige vers l’entrée de la roulotte, fait lever Igor qui dort sur son tapis, la tête posée entre ses pattes étalées devant lui. Le molosse noir ouvre un œil réprobateur mais obéissant, se relève et…va se recoucher sur le fauteuil.
Malika ôte le tapis, soulève une latte de bois du plancher et met à jour la cache dans laquelle Rolio range ses butins. Bien sûr la bourse de Rodrigo est là, posée sur les autres. Malika la prend et la tend au marin, surpris, mais souriant.

Parrrdon Rrrodrrigo, il ne savait pas, il ne sait pas que ce qui est à toi , il ne faut pas y toucher !
Il la prend par la taille et la soulève comme une plume, dépose un baiser sur ses lèvres puis la repose sur le sol. Malika demeure accrochée à lui.

Rodrrrigo ! Rrreste, s’il te plait, rreste avec moi, serre moi forrrt contre toi, garrrde moi dans tes bras, j’ai eu tellement peurrr que tu parrtes. De plus il est trrès tarrd, les rrruelles ne sont pas sûrrres . Dis, tu veux dorrrrmirrrr prrrès de moi ?



Rodrigo


La volte-face de l’adorable gitane est un peu surprenante, mais ce n’est pas Rodrigo qui va s’en plaindre, au contraire. Changer d’avis de cette manière, hé bien c’est le privilège des femmes et des enfants, et la douce Malika appartient aux deux catégories, selon les circonstances.

Mais pour l’instant elle est blottie dans ses bras, les yeux brillants et suppliants, et rien d’autre n’a d’importance. Il la rassure tendrement. Que va t’elle imaginer là ? Bien-sûr qu’il ne va pas la laisser toute seule. Elle est bien trop craquante, il ne demande qu’à rester, et ce n’est certes pas pour éviter les ruelles sombres et mal famées.

Mmmmm … Dormir avec elle … Délicieux et vaste programme. Dormir à deux sur ce divan large comme deux mouchoirs de poche de satin, et se comporter comme frère et sœur ? Non, ça lui semble une situation épineuse, ça, et même illusoire. Ses bonnes résolutions, sa patience, sont déjà en train de s’émietter, car Malika l’attire prodigieusement. Elle est vive, fraîche, mignonne, et elle désire plus que tout sa présence, sa protection. Ce qui flatte l’ego du bel officier. Elle est aussi beaucoup moins sophistiquée et superficielle que toutes ces créatures mondaines et frivoles qui fréquentent assidûment l’hacienda familiale en essayant de lui mettre le grappin dessus. Il a une pensée fugace pour la belle senhorita Isabella de Ribeiro, que ses parents considèrent depuis toujours comme la belle-fille idéale. Que c’est loin tout ça …

Une lune pâle est apparue doucement à travers la vitre exiguë de la roulotte, celle qui est au-dessus de la couchette. Quelques rares étoiles scintillent là-haut, comme ces phares qui illuminent la nuit et éloignent les bateaux des dangereux récifs côtiers, capable de déchirer en deux les coques les plus solides. Ca aussi c’est très loin …

Rodrigo effleure de ses lèvres le front, puis les joues de Malika. Elles sont douces et appétissantes comme les pêches que les rayons du soleil ont réchauffées durant toute la journée.

Sois tranquille, ma gitane, je vais être très sage. Viens, il est très tard, nous rangerons la table demain matin.

Le marin se débarrasse de sa chemise. Le bas de son dos est enveloppé dans un large tissu immaculé protégeant sa blessure encore récente. Il s’allonge délicatement sur le divan, contre la paroi, tâchant d’occuper un minimum de place. Malgré tout, il ne reste que peu d’espace pour Malika. Oserait-il lui avouer que ça le réjouit ? Non, patience. Cependant, il lui ouvre les bras.

Viens, anjo bonito …


Malika


Malika se blottit contre Rodrigo, la couche est étroite, ses bras enveloppants, son odeur d’homme mêlée de cuir et de tabac est enivrante, ses lèvres sont douces sur son visage, il semble que leur promesse d’être sages s’envole ! Le désir qu’elle ressent pour lui est aussi fort que le sien, aussi violent, aussi passionnel.

Mais une fois de plus elle se cabre, le souvenir éclate dans sa tête, une nuit noire, sans étoile une ruelle étroite qui se termine en cul- de- sac, des rires avinés de soldats en permission, les cris de joie , la voyant qui rentrait d’un pas pressé, une course effrénée, elle est là haletante apeurée , une biche aux abois devant une meute folle , des mains qui se rapprochaient qui la touchaient avec brutalité, des haleines puantes d’ivrognes, elle se débat, elle crie , pleure, supplie, au contraire rien n’arrête la folie de ces hommes, un coup de poing bien ajusté sur sa mâchoire, sa tête cogne le pavé , elle sombre dans un grand trou noir …….

………Le réveil, un chien errant lui lèche le visage, son corsage est déchiré, sa jupe en lambeaux, la douleur brulante au creux de son ventre , ses cuisses, sa tête, son visage ses cheveux rougis par le sang, elle se relève, se retenant aux murs des échoppes , ne retrouve pas son chemin, s’assied sur le devant d’une porte et pleure, pleure à ne plus pouvoir s’arrêter.

S’en est fini d’elle , sa tribu va la rejeter, aucun homme ne voudra d’elle ,et ses cousins n’auront de cesse de retrouver ces individus pour venger son honneur et rentrer dans une guerre sanglante.

Mais contre qui ??? Elle est bien incapable de mettre un visage sur ses agresseurs ,même si elle se souvient de l’éclat d’une bague d’argent qu’ornait une salamandre aux yeux d’émeraudes , d’un prénom prononcé Pierrick peu commun et qui l’avait marquée ,celui du troisième larron ?Non ,elle ne se souvenait plus .
Il fallait qu’elle aille au poste de police, mais pourquoi faire ?
Entendre les quolibets railleurs des hommes de garde ?Et qui sait peut être subir le même supplice.
La maréchaussée ? Pfff !Qu’ont-ils a faire d’une gitane ?

Les caresses de Rodrigo se font plus précises ,plus pressantes ,elle sait que c’est lui qu’elle a choisi pour passer sa première nuit de femme.
Mais pas maintenant ,elle n’est pas prête ,pas tout de suite ,il faut qu’il sache.
Rrrodrrigo !.Attends s’il te plait pas maintenant ,pas tout de suite d’abord il faut que je te dise !...

Patient ,attentif ,Rodrigo l’écoute à la fin de son récit ,une larme perle dans son regard ,il la serre encore plus fort contre lui ,remonte sur elle la courtepointe fleurie.
Au travers des vitres la lune à laissé passer un pâle rayonnement laiteux.

En lui parlant elle se libère de ce poids immense qu’elle avait gardé secret au plus profond de son âme elle se sent enfin apaisé et telle un petit chat elle se love contre celui qui a su l’écouter et qu’elle aime déjà.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyJeu 22 Jan - 16:22

Rodrigo


Minha pobre tesouro … mon pauvre trésor …

La colère le submerge. Maudite soldatesque, immonde pourriture ! Faux durs à cuire camouflés dans un bel uniforme qui autorise toutes les cruautés, toutes les bassesses. Plus prompts à brandir leur pénis qu’à dégainer leur épée, et sans nul doute aussi maladroits avec l’un qu’avec l’autre !

Il serre les dents. Silencieux, il caresse longuement les vagues blondes de la chevelure d’or de Malika. Elle a fermé les yeux, elle semble apaisée, soulagée, par ce flot de confidences qu’elle a exprimées avec courage et émotion. Elle s’est libérée d’un poids énorme en partageant avec lui ce secret étouffant. Lui, il aimerait l’interroger, pour se donner une chance de retrouver ces salauds. Il aimerait lui promettre que dès demain il va remuer ciel et terre pour leur faire payer leur crime, et qu’ils finiront leur odieux parcours au bout de son sabre, ou dans les mâchoires d’un requin, au milieu de l’océan. Mais la douce Malika a été au bout d’elle-même, au delà de ses forces. Elle mérite une trêve. La plaie n’est pas refermée au fond de son âme. Est-il vraiment opportun d’en rajouter encore ? De raviver le feu en soufflant sur les braises ? Non, mille fois non. Elle a suffisamment souffert. Plus tard, peut-être, si le mal continue à la ronger. Oui, plus tard, sans doute. De toute façon, il ne va plus la quitter d’un pouce. Il a fait son choix.

Il observe les traits charmants de la belle, à la lueur de la lune pâle. Elle est emmitouflée dans ses bras. Elle est merveilleuse.

Elle s’est endormie, vaincue par les émotions. Il écoute son souffle régulier. Oh non, il n’échangerait sa place pour rien au monde. Il se penche et l’embrasse du bout des lèvres, très tendrement. Il ne peut pas s’en empêcher. Puis il s’abandonne aussi au sommeil, emportant avec lui cette douce image.


Le lendemain.


Igor s’est ébroué le premier, de bon matin. Il n’y a pourtant aucun coq dans le campement, pour chanter dès l'apparition du jour. Voilà bien longtemps que le dernier survivant de la race a fini sa vie en marinant dans le vin, au fond d’une casserole. L’étroite couchette le devient encore davantage lorsque le brave chien s’y installe également. Malika et Rodrigo s’éveillent en riant aux éclats, sous les assauts affectueux d’une langue râpeuse. Bonheur nouveau d’une journée nouvelle. Folle bagarre à trois, pour de rire, sur le divan qui gémit. Combat remporté par Igor, qui s’empare aussitôt de toute la place.

Première conversation en amoureux. Impossible pour Malika de s’installer à l’auberge avec Rodrigo. Elle ne peut abandonner toute sa ménagerie. La décision est vite prise, entre deux baisers. C’est donc le jeune officier qui va emménager dans la roulotte. Il a simplement quelques vêtements à aller rechercher dans sa chambre, aux portes de Paris.

Tu m’accompagnes, amor ? On trouvera de quoi déjeuner en chemin …


Joaquim


Un soir, dans la région du Minho au Portugal, région frontalière de la Galice.
Un homme d’âge mur, assis une plume à la main, est penché sur un parchemin.
L’homme, grand gaillard aussi fort qu’un ours, les cheveux blancs coupés à la brosse, de longues moustaches tout aussi blanches et une barbe de trois jours rédige une missive.
L’air sévère, il se tient les côtes.
Malgré sa carrure imposante il semble très marqué par la douleur.


Lettre à mon fils Rodriguo don Setubal,

Moi, Dom Joaquim Joao Do Setubal do Minho, je te réclame mon fils. Malgré nos différents, nos brouilles, il est temps pour toi de venir retrouver ton pauvre père qui te réclame.
Hâte-toi mon fils !
Sinon, il se pourrait que tu arrives trop tard.
J’ai, je dois le dire, une santé de fer. Mais devant les derniers évènements, je me demande si ma dernière n’est pas arrivée. Il est vrai que ma retraite sur mes terres m’a rouillée.
Moi, qui aie servi mon pays. Moi un bâtard de feu notre roi Jean. Me voici minable, bloqué sur une chaise à me faire torcher par des laquais.

Peste soit sur la vieillesse !

Mon fils, il faut que tu saches qu’avant ta naissance moi aussi j’ai parcouru les routes, fais des guerres, et même si cela peut te surprendre j’ai brigandé.
Je t’ai négligé, et ignoré mais il arrive un âge où les fautes appellent à être réparées.
Je dois te confesser que ma vie n’a pas été toujours aussi tranquille et champêtre qu’aujourd’hui.

J’ai connu la guerre et les champs de bataille. J’ai même pris une fois une nef pour me rendre sur un lieu de conquête. Tu vois l’appel du large est dans nos veines, fils !
Certes tu es le premier notonier, mais tu n’es pas le premier de la famille à navier.

Même si je hais tous ces sacs à foutres de grands nobles et de courtisans, j’ai servi mon roi et mon pays. Il est vrai que je me suis fourvoyé avec un homme que l’on surnommé l'Empereur des brigands ou l'Écorcheur. Nous avons mis à feu et à sang une grande partie du royaume de France.
Notre compagnie de brigandage était puissante, avec elle nous avons connus de nombreuses batailles. Hélas, et je me repends… nous avons également perpétré nombre d’actes répréhensibles :
pillages, massacres, viols, enlèvements, buchers, tortures, oui j’ai participé à tous ça !
Les rançons, les ripailles, les tueries, les catins étaient mon quotidien.

Nous avons changé plusieurs fois de camps dans les guerres qui ravageaient le royaume, servant tour à tour la Bourgogne, la Savoie, le Dauphiné, le Bourbonnais et les trahissant tous dès que l’argent manqué. On s’est également distingué en infligeant une raclée aux fourriers du roi de France.

J’étais un des lieutenants du chef de cette armée. Il s’appelait Rodrigue, tu devineras d’où te vient ton prénom. D’origine espagnole, notre capitaine voulait revoir son pays. C’est un castillan, quelle ironie, moi qui est combattu la castille dans ma jeunesse ! Me voici au service d’un de leur plus fameux capitaine ; héritant au passage de mon surnom d’Arminho en l’honneur de ma région le Minho et de mon caractère aussi teigneux qu’une hermine.

Imagine, cette troupe hétéroclite se déplaçant et ne laissant rien debout après son passage. Les « Attila » médiévaux n’avaient aucune pitié. Ces mercenaires sanguinaires de toutes nationalités ne connaissaient nul repenti.
Imagine, ce mélange d’angloys, castillans, français, espagnols, portugais, savoyards, lorrains, bretons, bourguignons, francs-comtois, et j’en passe. Notre unique patrie était la brigande. Est-ce pour l’argent ou le combat ?

Nuls châteaux, bastides, ou places fortes ne résistaient, nous entrainant sans cesse vers l’euphorie de la victoire. Nous étions grisés par tant de réussites.
Nous avons terrorisé le sud, et traversé les Pyrénées. Notre capitaine a rejoint la Castille et s’est rangé. J’en ai fait pareil. Il mène à présent une vie de reclus. On m’a rapporté qu’il était gravement malade. On dirait que nous sommes maudits et que nos crimes nous rattrapent.

Je me suis donc retiré sur mes terres. Je me suis repenti depuis cette époque, grâce à ta mère. Tu es né sur une de mes propriétés à Setubal.
Tu hériteras de toutes ces terres à ma morte. : une partie du Minho, Setubal, Braga et quelques arpents de terre dans le Tras-Os-Montes.

Je t’écris cette confession pour le salut de mon âme. Mais ce qui m’importe le plus est d’être en paix avec toi.
Tant d’années d’absence, tes combats, tes aventures je veux que tu me contes tout.

Et n’oublie pas Isabella !
Le mariage est encore d’actualité.

Il faut maintenant que je t’explique pourquoi ce désir soudain de te voir et de me confesser. J’ai défendu la vie de ta belle contre une bande de brigands amateurs. Je l’escortais jusqu’à ses parents. Lors d’un arrêt dans une taverne, trois gredins nous ont attaqués, voulant nous détrousser et certainement abuser de l’honneur de ta promise. J’en ai retenu deux, serrant leur tête sous mes bras. Par contre le troisième larron m’a brisé les reins avec un tabouret. Sous la douleur de mille poignards, j’ai brisé la nuque des deux jeunes freluquets. Le dernier a été abattu par mon écuyer.
Seul face contre terre j’ai cru ma dernière heure arrivée, ce n’est que partie remise. Je crains de sentir à nouveau le souffle fétide de la morte.
Je voudrais me racheter de mes crimes et faire une bonne œuvre avant de rejoindre les enfers.
Les excès de madère ou de vin de porto ne m’apportent la tranquillité de l’esprit que quelques heures. Les parents d’Isabella ont contracté une dette envers moi. Le mariage pourra se faire quand tu le souhaiteras. Rapidement j’espère !
Je ne sais pas si je me remettrais de mes blessures.

Ce mariage est un gage d’avenir radieux pour toi. Je te le jure sur le sceau de notre famille. Ce sceau sacré que je garde en sureté.

Une dernière fois, Rodriguo j’implore ta visite.

Mon fils que ton voyage soit sans danger.



Dom Joaquim Joao Do Setubal do Minho dit Arminho


Le vieil homme posa sa plume, soufflant sur le parchemin. Il fit fondre un peu de cire et appuya fortement le sceau où figuraient ses armoiries.

Il appela un page :
Mon fils se trouve à Paris, à la cour des miracles. Retrouve-le ! Remet lui cette missive !
Inutile de revenir si tu ne le trouves pas !


L’ancien était craint de ses serviteurs. Il était aussi doux et aimable qu’un ours affamé.



Malika




A quelque temps de là........

Par la fenêtre de la roulotte, la clarté lumineuse du soleil, or et rose, a pris la place de la douceur lactée de la nuit. Malika se serre contre le jeune officier, écoutant son souffle profond et lent. Elle n’ose pas bouger pour ne pas rompre le charme, et pour prolonger cet instant de bonheur.

Même Igor pour ses joyeux combats a trouvé un partenaire à sa hauteur.

De baisers en caresses, de passion en tendresse, de sourires en fous rires, il est déjà l’heure de se lever.

Tourrrrrrne toi mon coeurrrr ! Je dois me changer, puisque tu veux aller à ton Hostellerie chercher ton sac.

Le sourire aux lèvres, elle se détourne, et commence à enlever sa chemise blanche. Elle se retrouve nue, et une bassine d’eau est là, une éponge qu’elle a ramenée d’Italie aussi.
Elle frotte doucement son corps, l’eau ruisselle entre ses seins et sur ses hanches rondes.

Elle aperçoit le regard amusé de Rodrigo, elle est fière de sa beauté, elle est fière qu’il la désire, elle est heureuse la petite gitane.

Non ! Ne me regarrrrrrde pas comme ça ! Un grand éclat de rire fait suite à cette réflexion pas tout à fait honnête.
Il lui tend un drap de coton et l’enroule autour de son corps , un baiser dans le cou, un autre… C’est vraiment un homme merveilleux.

Elle se détourne et prend dans une male une chemise brodée, un corselet de velours noir, une jupe rouge, flamboyante comme son amour pour Rodrigo ! Elle est gitane et peut sortir en « cheveux » , comme les catins, nul besoin de bonnet sur sa tignasse dorée. Elle prend une cape noire et s’enroule dedans.
Rodrigo à remis son uniforme, elle le regarde avec admiration.

Igorrrrr ? tu garrrdes, nous serrrons de retourrr ce soirrr ! Elle lui donne le reste de la miche de pain, pendant que Rodrigo donne du fourrage à Terra. Rolio saute joyeux sur son épaule.
Ils sortent de la roulotte, le froid est vif, mais la journée radieuse, les bois alentour sont comme figés par le froid, et, main dans la main, ils quittent le campement pour se rendre aux portes de Paris. Il faut encore traverser les ruelles des miracles, et, ça et là ils s’arrêtent pour échanger des je t’aime et des baisers.
En fin de matinée, ils arrivent vers les halles de Paris, Rolio à déjà fait son travail de chenapan, et c’est en croquant chacun une pomme chapardée qu’ils arrivent devant une porte cochère de belle dimension. La cour est grande, un puits en son centre, à gauche des écuries, à droite un lavoir, et le corps du bâtiment impressionne Malika. Jusque là elle n’avait jamais osé s’approcher des riches demeures, des murs à colombages, et des fenêtres couvertes de petits vitraux colorés. Arrivés à la porte, elle est intimidée et n’ose pas entrer.
Va !va !mon coeurrrr ! Je t’attends dehorrrs.

En chantonnant , elle va s’asseoir sur la margelle du puits, elle le regarde entrer dans l’hostellerie, et la porte se referme derrière lui.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyJeu 29 Jan - 15:54

Rodrigo


La traversée des beaux quartiers, au bras de la jeune gitane, est particulièrement charmante. Deux mondes contigus, mais tellement opposés, les entourent l’un après l’autre. D’un côté ce florilège de bâtisses somptueuses, et de l’autre la fange des miracles … La mignonne est émerveillée par le luxe et la taille imposante des demeures bourgeoises, et elle pousse des « Oh » et des « Ah » admiratifs devant les vastes propriétés entretenues avec soin. La plus modeste d’entre elles, il est vrai, abriterait sans mal la moitié de sa nombreuse famille de fils du vent et de la plaine, dont les seuls domiciles connus sont ces roulottes anciennes qui cahotent à travers la campagne.

Amusé, sous le charme, une fois de plus, il dévisage la douce enfant qui s’extasie un peu plus à chaque pas. Et tout est prétexte à la serrer entre ses bras et à poser ses lèvres gourmandes sur son adorable minois. Ils flânent comme deux gosses insouciants. Ici, ils sourient à l’image cocasse que leur renvoie une vitrine de modiste, devant laquelle ils se font mille grimaces avant d’échanger un baiser interminable. Ce clocher, là-bas, par dessus les toits, tel un grand mât de caravelle dressé vers le ciel d’or et d’azur, il le lui montre en la soulevant légèrement par la taille et en lui bécotant le cou, sous les boucles blondes qu’elle secoue en riant de plus belle.

Tu étais bien loin de t’imaginer, Rodrigo, toi le fils d’une noble lignée, que cette délicieuse enfant de Bohème allait te faire perdre la tête, à la vitesse folle de ces tempêtes tropicales qui surgissent soudain au milieu de l’océan, et se nourrissent des vagues impétueuses.

Voilà, de trottoirs en ruelles, et de rires en câlins, ils parviennent face à l’hostellerie où Rodrigo a posé ses bottes et son baluchon à son arrivée à Paris. Ce n’est pas la plus luxueuse, loin de là, mais elle est calme et accueillante, et la Seine y étale ses méandres paresseux sous les fenêtres et le balconnet où il fait bon s’accouder, le soir.

Intimidée, Malika reste dans la venelle, adossée à un puits creusé sous les arbres. Le bel officier n’insiste pas, il sait se montrer patient. Il faut laisser le temps au temps pour que leurs corps se conjuguent et se découvrent parfaitement. Une petite sieste canaille ne lui aurait pas déplu, cependant. Hop, il grimpe les escaliers quatre à quatre, malgré sa hanche douloureuse, et se hâte de rassembler ses bagages. Bien-sûr, la couchette de la roulotte de Malika n’offre pas le même confort que le lit moelleux de cette chambre, mais les nuits entre les bras de la belle gitane sont la promesse d’heures merveilleuses.

Déjà prêt, Rodrigo se dirige vers le petit bureau de l’hôtelier, afin de lui faire part de son départ imminent et de régler sa note. Le brave homme l’écoute, lui souhaite bonne chance pour la suite de son séjour, puis lui tend une lettre déposée par un messager à l’accent étranger, lui explique t’il. Le jeune officier a reconnu les armoiries et s’empresse de lire en rejoignant Malika. Des nouvelles de son père, c’est plutôt surprenant, ça … l’atmosphère entre eux était plutôt tendue lorsqu’il a hissé les voiles de son trois-mâts, puis lorsqu’il a décidé de passer sa convalescence à Paris après ce coup d’épée dans le dos. Rodrigo débouche dans la ruelle, agitant le parchemin, puis tendant la missive à Malika.

Regarde, ma gitane, j’ai reçu un courrier de mon père. Il réclame ma présence dès que possible. Bien-sûr, pas question que je quitte Paris sans toi ! Tiens, amor, lis cette lettre, je n’ai pas de secrets pour toi. Il y aura sans doute certains points à éclaircir, pose moi toutes les questions que tu veux, mon ange.


Malika


Malika prend le parchemin que Rodrigo lui tend, et lit la missive du père de Rodrigo.
Oui elle voit que le vieil homme est souffrant, qu’après quelques confessions sur son passé il souhaite que son fils revienne, qu’il veut que, que ?……….Un mariage ? Un mariage arrangé de longue date, et le jeune homme ne lui en a pas parlé ?

Son sang ne fait qu’un tour ! Ses joues s’empourprent, ses tempes battent, sa gorge se serre.
Rodrigo ébahi la regarde aller et venir, les cheveux en bataille, les poings sur les hanches.
Elle fait les cent pas la missive à la main, la colère s’empare d’elle, ses yeux sont devenus plus sombres, menaçants, elle invective le jeune homme !
Une màtka, une màtka ( fiancée) là bas au Portugal, qui t’attend ? Une fiancée choisie par ta ‘Ayala !( famille)
Ki ez az ember ?( qui est cette personne ? )

Dans sa colère elle mélange sa langue maternelle et paternelle, elle enrage, comment peut-il penser qu’elle va le suivre alors qu’il va être zawaja ( marié)
Tu ne veux pas quitter Parrris sans moi ?
Et pourrrquoi ? Que je me dessèche ? Que je perrrde ma beauté ? Dans l’ombrrrre de ton nej (épouse)?

Elle se voit déjà à attendre le bon vouloir de son aimé, attendre pour ses caresses, attendre pour sa tendresse, le savoir tous les soirs dans la couche de cette « Isabella » ! Non jamais elle ne l’acceptera, même si elle doit l’attendre dans un palato ( palais), elle n’est pas faite pour l’ombre, Malika, mais pour la lumière, le soleil, les plaisirs partagés, la vie !

Rodrigo fait un pas vers elle, essaie de l’enlacer, de ses poings serrés elle martèle sa poitrine, elle a l’air d’un magnifique coq de combat aux si belles couleurs ! Sa main se referme sur sa dague d’argent.

Ne t’apprrroches pas de moi ! Je ne serrrai pas ta szeretö ( maîtresse).Tu ne me garderas pas enfermée et cachée dans l’àrny ( ombre) pourr parrrader avec une autrrre !
De le voir là devant elle, désemparé, silencieux, sa colère retombe et un immense chagrin la submerge et commence à noyer son regard .
Non, il ne la verra pas pleurer, elle se détourne et part droit devant elle, les berges de la Seine ne sont pas éloignées, elle court, court, elle veut se cacher, mais quelle sotte de croire que ce bel officier pouvait la voir autrement qu’en une jolie distraction.
Arrivée au bord de l’eau, elle s’assied au pied d’un grand arbre dénudé. Enroulée dans sa cape elle se laisse alors aller à sa peine, repense aux instants délicieux passés avec lui, le respect, la tendresse, qu’il lui témoignait.
Elle l’aurait suivi au bout du monde, abandonnant ses traditions pour lui, sur la terre et les océans qu’il aimait tant. Elle s’imagina un instant dans ses bras enveloppants, sur le pont ciré d’un navire, accoudés au bastingage, à admirer les étoiles dont les noms dansaient dans sa tête, Cassiopé, Aldébaran…..


Joachim


Alité depuis quelques jours, le seigneur du Minho se morfondait. Depuis que son serviteur était parti à la recherche de son fils, il n’avait toujours pas eu de nouvelles.

Bien sur, il était encore trop tôt pour que le messager ait eu le temps d’accomplir sa tâche, mais l’inaction rendait le vieil homme irascible. Tous ses suivants en prenaient pour leur grade.
Un pot de chambre qui vole, des insultes qui fusent ; les accès de furie du maître sont phénoménaux.

Le rustre seigneur n’admet aucune remarque. Les apothicaires qui défilent devant son lit en font l’amère expérience. Seule la noble Philippa, son épouse est épargnée par l’ire du « mourant ».

Après plusieurs onguents, baumes, décoctions, l’état de santé semble évoluer vers la guérison.
Dame Philippa tient de suite à féliciter les médecins.
Mais ceux-ci à l’exception d’un seul d’entre eux avoue leur inefficacité.
« Votre mari est une force de la nature assurent les apothicaires, un véritable chêne, il est indéracinable. Le jour funeste de sa disparition n’est point encore arrivé, mais nous ne sommes pour rien dans sa guérison. »

Quid de ce médecin, qui ne se dit pas étranger à la guérison de son seigneur.
Un fou présomptueux penserait-on.
Que nenni ! Il n’a cure des séances de colère d’Arminho, et pour cause, Il s’agit d’un vieil ami de Joaquim, un ami d’enfance.
Rodolfo était le fils du forgeron du château. Le jeune Arminho courait la campagne et les forêts avec lui.
Arminho a été élevé par un petit noble à qui on l’avait confié.
L’absence de son père véritable lui avait donné un caractère indépendant, revêche, et aventureux.
Dès son plus jeune âge il exécrait les règles. Elles lui semblaient bonnes uniquement quand ces dernières lui étaient profitables, sinon il les reniait.
Alors jouer et se lier d’amitié avec un fils du peuple, quoi de plus révoltant pour les nobliaux qui tentaient de l’élever. C’était un prétexte suffisant pour le petit bâtard.

Arminho faisait déjà preuve de colères mémorables. De quoi se mêle t-ils ses petits nobles ? Comment osent-ils donner des ordres à un fils de roi ? Un bâtard, peut être, mais de sang royal.
Les punitions, les privations, les réprimandes, les harcèlements, n’ont fait que renforcer ce tempérament tempétueux.

Les fugues et les aventures vécus avec son ami Rodolfo lui seront d’un grand réconfort. C’est pourquoi l’amitié entre ces deux là n’est pas un vain mot. Les deux gamins vécurent mille aventures, mille déconvenues et mille sévices. Ils grandirent ensemble, apprenant l’un de l’autre. Puis Arminho, devenu jeune homme parti faire la guerre. Grâce à l’appuie de son noble ami, Rodolfo pu recevoir l’enseignement de grands médecins. Mais les deux jeunes gens se perdirent de vue.
Pourtant à chacune de leur entrevue, les deux amis ne perdaient rien de leur complicité.
Rodolfo était le seul qui pouvait tenir tête à Joaquim sans prendre le risque d’essuyer sa colère ou pire un mauvais coup.

Arminho n’a jamais estimé la vie recluse et superficielle des courtisans. Pour lui la vie ne vaut d’être vécue qu’à l’air libre, la nuit à la belle étoile ou sous une tente, et une épée à la main.
Alors régir des terres c’était la pire des punitions.

Rodolfo affirma à dame Philippa qu’il était le seul et l’unique artisan de la guérison du seigneur Joaquim. Elle ne douta aucunement de ses dires, en effet, il était considéré comme l’un des plus grands guérisseurs du royaume. Certains affirment d’ailleurs qu’il serait également sorcier !
Un trait de caractère qui ne serait pas sans déplaire à Arminho.
Décidément, ce n’est pas surprenant que ces deux personnages soient liés de la sorte.

Rodolfo prédit à l’épouse de son ami que la prochaine étape serait la convalescence, et qu’il s’installerait au château jusqu’à son rétablissement complet.
Cela inquiétait quelque peu la châtelaine… On annonçait la visite de sa future belle famille… Une alliance importante selon elle… La présence d’un être comme ce sorcier pouvait faire échouer son projet. Elle œuvrera pour la réussite de ce mariage entre son fils Rodrigo et Isabella.


Rodrigo


Bon sang, tu n’es vraiment qu’un âne bâté, mon pauvre Rodrigo ! Comment as tu pu montrer cette lettre à Malika sans rien lui expliquer au préalable ? Tu devais bien te douter qu’elle n’allait pas rester sans réagir, sans éclater ! Elle est le feu et la foudre, cette enfant, et toi tu n’es vraiment qu’un triple idiot !

Tout en ruminant ces amères pensées et en regrettant les dégâts causés par son attitude irréfléchie, Rodrigo se lance à la recherche de Malika. Elle a pris la direction du fleuve, qui serpente au bout de la venelle. Elle n’a pas pu aller bien loin. Inquiet et penaud, le jeune officier disparaît également dans la végétation indisciplinée ombrageant les rives de la Seine. Oh oui, il avait imaginé une après-midi romantique, par exemple une longue promenade en amoureux, plutôt que cette poursuite parmi ces arbres recourbés, caressant la surface limpide de l’eau de leurs branches les plus basses. Cependant, tout espoir n’et peut-être pas perdu. Il va faire son mea-culpa le plus loyal, le plus sincère, et elle comprendra. Elle lui pardonnera.

Et soudain la voilà, silhouette délicate prostrée sous un tronc vermoulu. Petit oiseau blessé. Et maintenant, comment rafistoler les morceaux, comment remédier à cet affreux malentendu ? Cette fois-ci, tu dois absolument trouver les mots, Rodrigo !

Il s’agenouille face à elle, lui prend les mains, la dévisage longuement. La colère a quitté les yeux de la belle gitane, mais toute la misère du monde semble s’être abattue sur ses frêles épaules. Rodrigo se sent coupable, le seul coupable. Les larmes de Malika lui font très mal.

Je suis désolé, amor. Mais fais moi confiance, je vais te dire toute la vérité. Je connais Isabella depuis que je suis gosse. Nos deux familles ont toujours été très proches, et leurs domaines sont limitrophes. Leurs intérêts sont communs. Notre mariage a ainsi été réglé de longue date. Ils évitera que les deux propriétés soient morcelées au fil du temps. Et je me suis laissé mener par le bout du nez, je n’ai pas voulu me heurter de front à la volonté de mes parents, sans doute par facilité, par nonchalance, voire même par lâcheté.

Il a libéré les petits doigts de Malika, caresse doucement sa joue, lui prend délicatement le menton pour que leurs regards se croisent et se pénètrent de façon indissoluble. Pour que les doutes s’évanouissent.

Mais tout ça c’était avant, ma douce. Avant toi. Avant nous. Cet arrangement n’existe plus pour moi, désormais. Bien-sûr je suis inquiet pour la santé de mon père, mais il est fort comme un ours, je suis certain qu’il sera vite sur pieds. Mais je veux avant tout t’emmener sur mes terres, amor, et te présenter à ma famille. Ils comprendront que tu es la seule qui compte à mes yeux. Il y aura certainement quelques grincements de dents, mais en définitive tout s’arrangera, tu peux me croire, trésor. Allez, souris moi et pardonne moi ma maladresse. Nous avons beaucoup de choses à préparer avant le départ …
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyLun 2 Fév - 12:43

Malika


Ses larmes séchées, elle relève la tête vers lui. Un pâle sourire aux lèvres, elle l’écoute longuement, il tient ses mains dans les siennes, ou la berce tendrement en la tenant par les épaules.
Evidemment, elle comprend et comment ne pas lui pardonner avec les douces paroles criantes de vérité qu’il lui a dites.

Malika comprend d’autant mieux, qu’elle-même a fui aidée par sa Grand-mère qui lui avait procuré une roulotte. Une presque enfant ne pouvait pas en avoir une a elle, un cheval et quelque argent pour qu’elle échappe à l’aube de ses quinze ans, au mariage arrangé par sa famille et le chef de la tribu voisine, ventripotent et édenté, de trente ans son ainé.

C’est le cœur serré, qu’une nuit elle a pris la route, quittant les vertes collines de Budapest, la douceur des courbes du Danube, sa famille, ses amis, sa tribu, pour aller vers Paris au « campement des fils du vent » retrouver un cousin un peu rebelle qui acceptera de l’aider , elle qui avait osé ne pas suivre ni accepter les règles établies depuis des siècles.
Mais à son arrivée, elle n’avait trouvé que ruines et désolation, un incendie ayant tout dévasté.
Que la peste soit sur ces parents qui sacrifient le bonheur de leurs enfants à leurs intérêts, qu’ils soient nobles, commerçants, paysans ou gitans.

Les mots qu’il lui disait dansaient dans sa tête « Fais moi confiance….Avant toi avant nous… Nous avons beaucoup de choses à préparer avant le départ… »

Elle se relève , lui prend la main se hisse sur la pointe des pieds ils échangent un long baiser rempli de tendresse. Oui !viens, retourrrrnons à la rrroulotte, je veux prrrendre un balluchon, Nous partirrrons à cheval, Terrra est un bon courrrsier ,Igorrr à l’habitude de courrirrr les rroutes nous allons chez toi….


Joachim


L’arrivée des beaux parents de Rodrigo allaient coïncider avec le rétablissement du seigneur du Minho.
La convalescence sous la bienveillance de son ami Rodolfo « l’apothicaire-sorcier » se déroulait sous les meilleurs hospices. Grace aux onguents, aux cataplasmes, et aux décoctions de ce médecin, le blessé se sentait mieux chaque jour. Les mains brulantes de Rodolfo lui faisaient un bien fou, comme une régénération… Bientôt, il se sentirait plus en forme que lors de ses 20 ans…
Le grand gaillard pouvait maintenant se lever et faire quelques pas.

La visite des parents d’Isabella n’était pas spécialement une bonne nouvelle pour Joaquim. Certes, l’alliance avec cette famille voisine offrait une bonne perspective d’avenir, et donnerait à Rodrigo une place importance au sein du royaume.
Même si une vieille rivalité animait les deux voisins, il faut avouer que la perspective d’unir les terres de tout le nord du royaume était alléchante.
Arminho connaissait bien le futur beau père de son fils, ils n’avaient que quelques mois d’écart. Il n’avait aucune estime pour ce couard. Les deux jeunes seigneurs se battaient au bâton lorsqu’ils étaient jeunes. Joaquim le battait à chaque fois lors des joutes ou tournois de la région.
A chaque fois ! Sauf, lors de l’anniversaire du roi. A cette occasion, des festivités étaient organisées dans chaque région. Des bateleurs, des montreurs d’ours, des troubadours, des bonimenteurs, faisaient leurs apparitions, des spectacles de toutes sortes se montaient ; et les tournois étaient le clou de toutes ces réjouissances.
Les plus jeunes nobles s’affrontaient au bâton. Evidemment, Arminho était le premier inscrit. Il n’aurait pour rien au monde, manqué la moindre occasion de montrer sa puissance et son habileté dans les épreuves de forces.
L’année qui nous intéresse, voyait notre jeune coq entrer dans sa dixième année, il arriva bien entendu dans le final de ces joutes. Il était opposé à ce fourbe de Diogo (futur beau père de Rodrigo). Les deux enfants se connaissaient bien. Joaquim ne fit qu’une bouchée de son adversaire, ne laissant aucune place au suspense. En trois coups de bâton, il avait humilié son camarade de combat. Ce dernier au sol, la pommette en sang fulminait de voir le seigneur du Minho et du Tras Os Montes récoltait le fruit de sa victoire. Il attendit qu’il se retourne pour lui asséner un violent coup à la tête. Joaquim en garda une rancœur et une cicatrice au cuir chevelu. Le jeune Diogo fut déclaré vainqueur sous les huées des spectateurs, en effet, le tuteur qui servait de père adoptif à Joaquim, était moins bien puissant que le père de son rival. Le préjudice ne fut pas oublié, même si Arminho mettait régulièrement une raclée à son voisin lors de chaque rencontre.
Le ressentiment était grand envers ce couard de Diogo, et la haine encore plus grande envers son père adoptif qui ne fit aucune protestation et aucune réclamation.
La rancune tenace du fils envers le père-tuteur ne fut jamais réglée. Pourtant, tous les vieux de la région se rappellent le jour ou un jeune fils a coupé la main de son paternel lors d’un combat mémorable.
Cette année-là, Arminho qui commençait à avoir du poil au menton, reçut au nom du roi, son père biologique toutes les terres qu’il gouverne encore à l’heure actuelle. Pour fêter cet évènement et devant le roi, de grandes réjouissances durèrent plusieurs jours. Le tournoi traditionnel était en l’occurrence attendu de tous.
Comme on pouvait s’y attendre, le nouveau seigneur de ces terres, gagna haut la main, surclassant tous ses adversaires. Le final de ce tournoi ne figure guère dans les mémoires, c’est un autre affrontement qui enchante les légendes d’aujourd’hui. C’est le deuxième ou troisième combat de la journée qui allait être le centre de toutes les discussions pendant des mois. Celui-ci voyait Arminho combattre son père adoptif. Fidèle à son habitude, le jeune guerrier, ne fit que quelques mouvements pour venir à bout de sa victime, mais cette fois-ci, il trancha net la main de son compétiteur.
La scène eut le don de faire sourire le roi.
Le père adoptif déchu de sa tutelle l’était également de son honneur.
Arminho regardait la main qui l’avait si souvent puni, elle n’était plus qu’un membre ensanglanté inerte à ses pieds. Ce jour-là, il ne jeta même pas un regard, qu’il soit de mépris ou de complaisance à ce petit noble qui l’avait élevé. Mal soigné, le pauvre hère mourra quelques jours après.

Tous ces souvenirs remontaient à la surface. Pourquoi ceux-là ?
L’idée de marier son fils à la fille de ce fourbe, de ce bougre de sodomite de Diogo fit remonter la rage et la hargne qui l’animait depuis toujours.

S’adressant à Rodolfo, il lui demanda s’il se souvenait lui aussi de tous ces épisodes. Suite à la réponse affirmative de son guérisseur, il se mit à deviser de ses états d’âmes.
- Partager les mêmes petits enfants avec cette famille de pleutres, est insupportable.
Ce dégénéré ferait mieux de faire trousser sa fille par un brigand de la bande des écorcheurs.
Dire que j’ai failli me faire trucider pour cette donzelle. J’aurais du moi-même m’offrir son hymen.
Partant dans un rire gras et paillard. Le maître des lieux et son comparse échangèrent quelques grivoiseries.


Rodrigo


Non, finalement il n’a pas trouvé les mots qui convenaient le mieux pour convaincre la jeune gitane. Ces mots, il n’a pas dû les chercher, ils se sont imposés d’eux-mêmes. Dans son monde en vase clos, son monde de courbettes et de sophistication retorse, jamais il n’a été aussi sincère. Jamais il n’a mis son cœur à nu de cette manière. Jamais il n’a aimé autant. Jamais il n’a aimé auparavant, tout simplement.

Et le baiser qu’ils échangent constitue déjà le signal du départ. Rodrigo en réclame d’ailleurs un second, pour être bien certain d’avoir tout compris. Lorsqu’on naît coquin, on ne se refait pas. Le jeune officier éprouve bien du mal à libérer le corps souple et ferme qui s’abandonne à ses caresses. Il le serre étroitement, comme si une horde de démons voulait l’arracher à lui. Malgré ses paroles rassurantes, apaisantes, craindrait-il inconsciemment que leur séjour au Portugal soit parsemé d’obstacles et de tromperies. L’arrivée de la superbe fleur de Bohème, pendue à son cou, va inévitablement créer des tensions avec sa famille et avec la belle Isabella, prétentieuse et fourbe, capable des pires bassesses pour arriver à ses fins et pour lui passer la bague au doigt. Il la connaît par cœur, son ancienne promise, séduisante plante carnivore capable de déchiqueter ses proies sans sourciller. Impitoyablement.

Bon ! Rien ne sert d’imaginer déjà le pire ! L’affection et la compréhension de ses parents arrangeront peut-être les choses au mieux. Exceptionnellement, ils vont peut-être mettre de côté cet orgueil, ce désir de consolider leur suprématie dans leur région natale, ce qui les caractérise depuis plusieurs générations. Bof ! Rodrigo ne miserait cependant pas un seul écu sur cette hypothèse. Mais chaque chose en son temps ! D’abord les préparatifs du voyage.

Un court instant, il a imaginé qu’ils pourraient effectuer ce long trajet en roulotte, mais non, mon dieu non, ça leur demanderait des semaines pour parvenir à l’hacienda familiale. A cheval, c’est l’unique solution. Par ailleurs, le temps d’atteindre un port et d’embarquer sur un bateau faisant route vers le Portugal, ils seront loin. Inutile d’envisager cette possibilité.

Un deuxième cheval ! Mais où s’adresser ? Ils ne connaissent personne dans ces beaux quartiers. Malika trouve la solution. L’hôtelier. Effectivement, le brave homme leur procure les coordonnées d’un maquignon de ses amis, qui, contrairement à ses congénères peu scrupuleux, ne fera pas passer une carne famélique pour un impétueux pur-sang. En route, donc. Une bourse bedonnante change de main, et les voici propriétaires d’une monture de qualité, assurément digne de leur confiance et de leurs écus.

A présent le baluchon de la belle gitane. Ils regagnent rapidement le campement et la roulotte, tendrement enlacés sur leur nouvelle monture. Au loin, le tonnerre gronde. Mais non ce n’est pas un mauvais présage ! Les voilà sur place. Rolio dégringole de l’épaule de Malika et s’en va narguer le fidèle Igor. Après un coup d’œil circulaire, Rodrigo chuchote.

Mon petit cœur, n’oublie pas d’enlever les escarcelles de leur cachette. On en aura peut-être besoin en cours de voyage. Quant à la roulotte, bah je me pose des questions. Dans quel état la retrouverons nous à notre retour ? D’ailleurs, reviendrons nous ici un jour ?
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyDim 8 Fév - 22:15

Malika


Le dos bien calé sur la poitrine de Rodrigo, la tête au creux de son épaule, enroulée dans sa cape, serrée dans ses bras, Malika se laisse porter par la magnifique monture qu’il vient d’acquérir. L’étalon à une magnifique robe brune, presque noire, l’œil est vif, les membres nerveux, il sera endurant pour le voyage qu’ils doivent entreprendre. Elle sera longue, la traversée de la France, les bêtes doivent être robustes pour passer les cols des Pyrénées et continuer après jusqu’au Portugal.

Le retour au campement se fait sans encombres ni mauvaises rencontres. La nuit d’hiver couvre d’un coup la grisaille du soir, l’orage gronde au loin et quelques gouttes commencent à tomber.
Igor les voit arriver de loin, ivre de joie il se tortille en les accueillant. Malika se laisse glisser du fier destrier pour ouvrir la barrière de l’enclos ou Terra mâchouille une botte de foin, il passe sa tête par-dessus la barrière pour regarder le nouvel arrivant.Avec douceur elle lui caresse le museau duveteux et si doux et souffle à son oreille inquiète
Hé oui mon bel ami ,il va falloirrr parrtager maintenant !
Un ou deux hennissements et il retourne paisiblement à son activité. Ils mettent les deux montures bien à l’abri, il peut pleuvoir ou geler à pierres fendre, les deux chevaux ne risqueront rien.
Assis près du feu que Rodrigo a réanimé, ils partagent en bavardant gaiement un conil qu’ils ont fait griller. Elle avait posé un collet au petit matin, et la pauvre petite bête s’y était prise, ce qui leur permettait d’apaiser leur faim.
Un coup de tonnerre plus fort que les autres, les nuages se déchirent et laisse tomber une pluie épaisse. Ils se précipitent en riant dans la roulotte. Ils sont trempés, ils se regardent avec passion, échangent un très long baiser, Rodrigo la serre contre lui, défait son corselet, elle s’accroche à lui, déboutonne sa vareuse, ouvre sa chemise avec maladresse.

Une pensée fugace, cette nuit horrible où, dans une ruelle des miracles, les trois soudards se sont jetés sur elle ….. Mais non elle ne veut plus y penser, Rodrigo est doux lui, patient, aimant, pour la première fois elle brûle de désir pour un homme et veut être sienne.
Elle le pousse délicatement vers la couche, se déshabille, laissant tomber ses vêtements, un par un sur le parquet, et c’est nue, et somptueuse, qu’elle lui apparaît au milieu des flammes mouvantes et dorées des chandelles.
Dràgàm(mon chéri) édes szerelem( mon amour) Aime moi. Je veux être à toi maintenant.


Rodrigo


Elle est nue, merveilleusement nue, enveloppée d’un halo troublant et sensuel. Elle n’est pas désirable, non, elle est le désir. Elle n’est pas gracieuse, elle est la grâce. Elle est la fragilité et la pureté. Elle est l’amour. Sous la longue chevelure blonde qui cerne son visage aux traits parfaits, elle est une madone, un ange. L’ange du désir.

Coquine, elle lui dévore les lèvres, puis, glissant les mains sur le torse bronzé de Rodrigo, elle le pousse doucement vers la couchette. Et le filou n’oppose aucune résistance, au contraire. Le souhait de l’adorable gitane est aussi le sien. Ses jambes heurtent le bras du vieux divan, et il tombe lentement à la renverse sur l’amoncellement de coussins moelleux, prenant soin d’entraîner avec lui le petit corps brûlant de fougue et de passion, s’abandonnant à la tendre culbute.

L’ange du désir reste allongée sur lui. D’une voix rauque et impatiente, elle le réclame. Elle le veut en elle, sans plus attendre. Et lui aussi, il en crève de lui faire l’amour. Cependant, hier, elle le suppliait de lui laisser du temps, de peur de souffrir dans sa chair et dans son esprit, de peur de se heurter à nouveau à l’odieuse image de ses trois violeurs. Ce délai, Rodrigo l’acceptait de bonne grâce, bien entendu. Malika aurait-elle peur à présent de l’aventure qui les attend ? Désire t’elle se rassurer, ou bien le rassurer, en se donnant à lui ce soir ? Le jeune officier prend délicatement entre ses mains le visage de l’adorable fille de Bohème …

Es-tu sûre de toi, ma princesse ? Je peux te laisser du temps, même si j’ai très envie de toi. Ca ne change rien à l’amour que je ressens pour toi …

Malika le fait taire d’un long baiser. Elle se love contre lui, ses bras l’entourent avec une force qu’il ne soupçonnait pas. Elle est le lierre, il est l’arbre. Elle est le corail, il est le rocher. Et déjà leurs corps ondulent en cadence, en vagues incessantes, en une danse lascive, en une harmonie parfaite.

Cette nuit, la merveilleuse gitane est devenue femme. Sa femme. Telle était sa volonté. Et les fantômes de son passé se sont évanouis, mis en fuite par leurs râles de plaisir et leurs gémissements d’extase infinie.


Dona_isabella



Isabella, un joli prénom pas vrai ? Forcément, il ne peut être attribué qu’à une personne digne de le porter. Et cette personne est Isabella Gonzales d’Almirante.
Belle, issue d’une famille noble, très séduisante, puissante, méprisante, jalouse et possessive. On ne peut être plus digne, n’est-ce pas ?

Tous les hommes la désirent et elle le sait. Toutes les femmes l’envient et elle le sait. Et puis, elle n’est pas peu fière de ses fesses rondes et musclées, de ses longs cheveux bruns ondulés descendant jusqu’à sa poitrine généreuses étouffant dans son corset trop serré, de ses jambes interminables et habiles ou encore de son minois angélique composé d’yeux noirs profonds, de lèvres rouges et pulpeuses toujours prêtes à mordre, d’un nez discret et pourtant gracieux bien qu’il n’ait rien d’extraordinaire. Tout le monde l’aime et elle le sait. Elle est la première à être invitée lors des bals organisés, de réceptions importantes ou a des mariages.

Elle a tout pour elle, en passant de l’argent de ses parents à plusieurs terres en France et au Nord du Portugal. Elle a tout sauf une chose. Rodrigo.

Rien de que d’y penser, ses joues s’empourprent, elle a chaud, son vente se tord. Rodrigo. Rodrigo. Rodrigo. Rodrigo. Répéter son nom lui suffisait pour arriver à l’extase même. Rodrigo. Son Rodrigo. Un doux marin qui lui a été promis par ses vieux parents. Un ami d’enfance, un compagnon de jeux. Ils sont faits l’un pour l’autre. Elle imagine déjà le château qu’ils achèteront après leur mariage, une fois l’alliance de leurs deux familles scellée. Un immense château avec des enfants, plein d’enfants partout. Les leurs et ils en auront plein. D’ailleurs, rien que de penser à partager sa couche, c’est comme rencontrer le Tout-Puissant et le toucher. Non, encore mieux. Mieux que l’or, que ses robes, que ses bijoux… C’est mieux que tout. Mieux que la vie.

C’est marrant et pourtant c’est vrai. Cet homme la rend… comment expliquer ? Gentille, douce, romantique, délicate. Etrange pour une femme comme elle qui ne pense qu’à faire des jalouses ou à provoquer les femmes et les autres gueuses du village. Comme la dernière fois, par exemple. Elle s’était promenée au marché, habillée d’une simple robe confectionnée par ses soins, qui s’arrêtait bien au dessus des genoux. Des jambes aussi impeccables, ce n’est pas fait pour être caché ! songeait-elle en voyant ses grandes robes lourdes et chaudes dans ses placards de marbre remplis à ras bord d’un tas d’autres chiffons. Cette apparition avait provoqué un beau scandale mais ça la faisait plus rire qu’autre chose.

Toc, toc, toc…

Entrez, lance la voix fluette d’Isabella, tout en démêlant ses cheveux de son peigne d’or, assise devant sa coiffeuse et s’admirant dans le miroir.

Doña Isabella… la gouvernante, Inès, s’avance dans sa chambre la tête baissée, une lettre pour vous.

La belle regarde le papier tendu, le prend, le déplie, le lit. Elle pousse un cri de joie, pose le parchemin contre sa poitrine. Son cœur bat tellement fort qu'elle peut jurer qu'on l'entend à l'autre bout de la ville.
Elle se ressaisit, souffle un coup. Jamais, personne ne la vu affolée, débordée par ses sentiments, personne ! Ni même sa domestique, ni même ses parents. Elle est une femme ordonnée, réfléchie et dépendante de personne.

Inès ! Prépare-moi la robe ramenée d’Ourém, je veux être la plus belle femme de tout le Portugal ! Et tu sais pourquoi ? Parce que nous allons voir mes beaux parents et mon futur mari, Rodrigo !


Malika


Dès les premiers rayons de soleil, elle s’éveille et regarde avec tendresse le jeune officier qui se trouve à ses cotés. Il est beau dans son sommeil, les traits apaisés, détendu. Son souffle est lent et régulier, un sourire est accroché aux coins de ses lèvres, elle se penche pour y déposer un léger baiser. Elle découvre que l’amour est quelque chose de beau, et non pas cette dégradation et cette douleur ressentie auparavant. Il lui faut effacer totalement de sa mémoire et de sa chair cette nuit horrible, même si tout en elle crie vengeance. Inutile de penser à çà, alors qu’elle vit un grand moment de bonheur.

Igor vient vers eux et fait une grosse léchouille à Rodrigo, qui, dans un grognement, se tourne de l’autre côté. La couche est étroite, il est tout contre Malika, passe un bras autour de sa taille et enfouit son nez dans son cou … ils s’enlacent et s’aiment à nouveau …

La faim fait sortir les loups des bois dit-on ! Ce doit être vrai, car Rodrigo à faim, Rodrigo veut manger, n’importe quoi mais manger. De grands éclats de rire, ils se lèvent, et partagent le pain qui est resté sur la table, quelques fruits. Rolio s’est déjà servi et grignote sur sa poutre.

Bonjourrrrr vous tous, bien dorrrmi ? C’est aujourrrd’hui que nous parrtons !
Elle s’assied sur les genoux de Rodrigo. Mon coeurrrr, parrr quoi commençons nous ? Je ne prrends que quelques rrobes et un mantel bien chaud. Puis se dirigeant vers la cachette de Rolio, elle vide le contenu de toutes les bourses qu’il a si bien cachées, elle fait trois bien rebondies, deux avec les pièces d’or, une que gardera Rodrigo et l’autre qu’elle gardera. La troisième, gonflée de ducats d’argents leur servira pour le voyage. Et puis, tant qu’ils disposent de la complicité et des doigts habiles de Rolio, ils ne manqueront jamais de rien.
Les quelques pierres précieuses, elle les coud dans les ourlets de ses jupes.

Rodrigo est sorti pour panser les chevaux, les seller. Une longue route attend Terra et Tempête, à travers forêts et montagnes. Elle enfile des braies en cuir ,de bonnes bottes une chemise de laine et un gilet,retenant par un lien son opulente chevelure.
Malika sort rejoindre son amant, se jette dans ses bras, elle a le cœur un peu lourd quand même, elle a l’impression qu’une grande page de l’histoire de sa vie est en train de se tourner, elle va abandonner sa roulotte et dans quelques jours il n’en restera rien. Elle veut la brûler, mais, superstitieuse, elle abandonne vite cette idée, on ne les brûle que lorsque leur propriétaire est mort. Il vaut mieux la laisser intacte, peut-être fera t’elle le bonheur de certains ? Elle a parcouru tant de lieues qu’elle peut encore continuer. Mais vont-ils seulement revenir ici ?



Rodrigo




Les chemins étroits et tortueux qui sillonnent la campagne se succèdent inlassablement, tous pareils. Les deux cavaliers ont gravi au pas une colline abrupte, et contemplent le large patchwork que forme la succession de vastes prairies, de forêts et de champs cultivés. Mosaïque sans cesse renouvelée, passant du brun foncé au vert tendre, avec une infinité de nuances, selon la direction du vent qui incline et agite doucement les tiges aux lourds épis barbus et les frêles herbes sauvages.

En route … long trot vers le village suivant qu’ils aperçoivent, dans le lointain. Eux aussi se ressemblent tous. Malika et Rodrigo ont l’étrange sentiment de traverser sans fin les mêmes hameaux, les mêmes places, les mêmes dédales de ruelles étriquées, encore et encore. Le martèlement rapide et cadencé des sabots de leurs chevaux sur le pavé inégal résonne un instant dans les rues tranquilles, et le bourg est déjà derrière eux. Les quelques maisonnettes agglutinées autour d’une chapelle au clocher ancestral, tendu vers les nuages comme pour les transpercer de son dard d’acier, ne sont déjà plus qu’un souvenir qui s’estompera bien vite, au fil des lieues parcourues.

Ils longent à présent un ruisseau peu profond qui se faufile entre rochers et herbes folles, puis dépassent une nuée de mioches qui s’ébattent joyeusement dans le courant. Ils vont attraper la mort, ces gamins, mais le rivage est accueillant, et une halte est tentante pour permettre aux montures et aux cavaliers de souffler un peu. Ainsi qu’au brave Igor qui les suit vaillamment, en jappant de temps en temps.

Les deux chevaux trottinent encore un peu, puis descendent lentement vers le ruisseau, côte à côte. Ils posent avec précaution leurs pattes antérieures dans le lit de cailloux bordant la rivière, et s’abreuvent longuement. Souriant à l’avance, Rodrigo se saisit délicatement de la taille de Malika et dépose sa douce gitane, en amazone, sur la croupe de Tempête. Prisonnière de ses bras, la belle lui adresse un regard malicieux. Elle n’est plus surprise par les étreintes spontanées de son beau Portugais. Tendrement, leurs lèvres s’épousent, s’entrouvrent, s’offrent en un baiser interminable. Une main coquine s’égare sous la chemise de la jeune beauté blonde, et capture ses rondeurs parfaites.

Mais soudain le cheval s’ébroue, piétine, rappelant aux amants enlacés la précarité de leur position. Rodrigo soulève en riant le corps souple de sa compagne et la replace sur sa selle.

Voilà, retour à l’envoyeur avant qu’on se rompe le cou, trésor. Nous trottons encore une heure ou deux, ensuite nous chercherons une auberge …
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyMer 18 Fév - 18:47

Inès


Inès est depuis longtemps au service de la famille Gonzales d’Almirante. Elle a fait sauter sur ses genoux une légion de bambins éveillés et rieurs, elle a soigné, elle a veillé, elle a consolé. Elle a changé les couches de deux générations de marmots de cette riche famille, dont le domaine s’étend jusqu’à la frontière galicienne, verdoyant et couvert de vignes, et baigné par les eaux tumultueuses du Minho.

A présent, la progéniture a pris son envol, les rejetons se sont dispersés comme une volée de moineaux, cousins et petits-cousins se sont installés dans tous les recoins du royaume, de Porto à Albufeira. Seule dona Isabella n’a pas quitté le nid, le cocon familial. Mais plus pour longtemps, sans doute, car elle est désormais promise au fils de riches voisins.

Dona Isabella est une enfant gâtée, privilégiée. D’humeur changeante, elle peut se montrer charmante, mais c’est assez rare, il faut bien l’avouer. Elle est plutôt orgueilleuse et capricieuse, mais sa beauté lui ouvre les portes des dynasties les plus puissantes et fortunées de la contrée. Elle fait battre bien des cœurs, mais elle a repoussé les avances d’une cohorte de prétendants malheureux, car elle est follement éprise du fils de Joachim Joao Do Setubal do Minho, dit Arminho, le beau Rodrigo, lequel serait, aux dernières nouvelles, en convalescence à Paris après une blessure due à un coup d’épée déloyal.

Malgré le caractère difficile de la jeune fille, Inès lui est très attachée, le lui prouve régulièrement tout en veillant à lui manifester le respect dû à sa condition.

La lettre à peine lue, l’héritière des Gonzales d’Almirante exprime bruyamment son contentement. Le courrier provient de dona Philippa, la maman de son futur mari. Quelques mots simplement, mais une invitation à séjourner quelques jours dans leur propriété. Rodrigo est de retour, certainement ! Aussitôt c’est le branle-bas de combat, l’agitation la plus débridée. Inès ceci, Inès cela … Les robes, les valises, les bijoux, la trousse à maquillage … C’est un jour de fête pour la fille de don Diogo ! Les bagages s’amoncèlent dans le boudoir donnant sur les jardins. Pas une minute à perdre. Une petite question perturbe cependant Inès, malgré l’excitation des préparatifs.

Dona Isabella, avez-vous déjà décidé si je vous accompagne dans cette visite ? Dois-je boucler ma malle également ? Et vos parents, les avez-vous prévenus ? Sont-ils du voyage ?


Malika


Malika ne pèse guère plus qu’une bulle de savon entre les bras vigoureux de son amant. Soulevée sans effort et déposée sur Tempête, elle se pelotonne contre son beau Portugais et lui rend ses baisers avec passion. L’angoisse de sentir de rudes mains masculines se poser sur elle s’est évaporée, désormais ,elle apprécie de plus en plus toute la tendresse de son Rodrigo, ainsi que les caresses qu’il lui prodigue à la moindre occasion, de manière inattendue ou non.

Mais soudain le bel étalon de son compagnon s’agite, après s’être longuement désaltéré. C’est le signal du départ. Malika reprend sa place sur Terra, et ils franchissent au galop le petit pont de bois qui enjambe le ruisseau. Direction le sud ,la route était encore longue, les Pyrénées, difficile a franchir et, au-delà, la péninsule ibérique et les parents de Rodrigo.

Elle se demandait comment ceux-ci allaient l’accueillir ? Surement sans plaisir, elle, une fille qui n’avait aucun titre de noblesse, du moins dans leur monde, parce que dans le sien elle était fille d’un grand lettré et d’une fille de chef de clan, ce qui était l’équivalent des titres qu’ils pouvaient avoir.
Il fallait qu’elle leur montre qu’ils ne l’intimidaient pas et qu’elle était leur égale.

Après une longue chevauchée, les deux cavaliers, suivis comme leur ombre par le brave Igor empruntent une route plus large, en meilleur état que les précédentes. Sans doute mène t’elle à une agglomération plus importante, et ils y dénicheront certainement une auberge accueillante avant que la nuit ne tombe.
Ils arrivent aux portes de Poitiers , ses cousins lui ont fait une description précise de la flèche de la cathédrale et lui ont raconté la célèbre bataille qui s’est déroulée ici.
Pas d’erreur possible ! Ils repartent au galop et pénètrent dans la ville alors que l’obscurité s’installe progressivement.

Rodrigo repère une gargote à l’aspect sympathique, et ils confient leurs montures à un gamin souriant et très intrigué par le petit singe qui lui saute dessus, il se présente à eux comme le fils de l’aubergiste. Igor se couche sous une table tandis qu’ils s’assoient face à face, hélant le patron qui surgit des cuisines en s’essuyant les mains à son tablier. D’excellentes odeurs de cuisson l’accompagnent et déclenchent chez eux une forte envie de commander tous les mets que le brave homme énumère.
Ils se décident pour un pâté bien chaud ,un petit fromage de chèvre et quelques fruits accompagnés d’un vin léger.
La route et l’amour ouvrent l’appétit et c’est les yeux dans les yeux qu’ils trinquent au bon déroulement de leur voyage……
Amorrr!!!à la vie!!!!à l'Amourrrrrr!!



Joaquim




J’entends un coq au loin, je vois la lumière à travers mes paupières fermées, je me réveille doucement, j’ai un peu froid, je remonte la couverture sur moi…

J’ouvre les yeux. C’est une étrange sensation, je vois bien une chambre cossue, confortable, mais je ne sais pas où je suis…
Aurais-je abusé du porto hier ?

J’ai beau essayer de me rappeler ; je ne me souviens de rien…
Qu’ai-je bien pu faire hier soir ?
Avec qui étais-je ?
Qui a bien pu profiter de cette soirée avec moi ?
Mais au fait j’essai de me rappeler, mais aucun nom ne vient.
Quel est mon nom ?
Euuhhh…

Non, non, ne panique pas !
Piuuffff, voilà que je transpire, je sens mon visage rougir et chauffer comme une buche dans un âtre.
Arrrr mon cœur !
Arrrrrrgggg sssssccchhttt j’ai mal !
AAAAhhh pas possible d’appeler !
AAHH AHHH… mon bras est engourdi !
Respire ! Calme-toi ! Respire !

AAAAHH cette douleur….
Mon dieu, je suis en train de mourir !
NOOONNN…NNOOOOONNNN…pas maintenant, pas maintenant…

Pppppffffffoouu …hhaaaaaaann….ppppfffffffooouuu

AAhh palsembleu !
Quelle douleur !
Quelle panique !

On dirait que ça s’atténue !

Mon heure n’est donc point arrivée.
Me redresser, il faut que je me lève.

Voilà ! Assis, ça ira mieux. Respire profondément Joao… Ah voilà la mémoire me revient…
Pourquoi, avais-je oublié jusqu’ à mon nom tout à l’heure…en tout cas pas besoin de ce choc, de cette douleur à la poitrine pour pouvoir me souvenir… ça va me tuer ce type de médecine…

Mon fils, presse-toi… Mon temps sur ce lopin de terre est compté.
Cette partie de cache-cache avec le diable ne va pas durer éternellement. Je réussirai peut être encore une ou deux parties d’échec avec ce baiseur de destins, mais il va vite me tirer par les pieds pour retrouver les bougres de pécheurs.
Et c’est pas maintenant que je vais aller voir un de ces sodomites de curés pour me faire absoudre. Seul mon fils saura me laver de mes péchés.

D’abord la caboche qui me joue des tours… un jour je ne me rappellerai plus qui je suis… Remarque c’est peut être la seule issue à une vie de tueries et de débauches… la seule possibilité d’aller voir les verts pâturages de l’au-delà et de retrouver toutes les vierges que j’ai engrossé… et celles que j’ai égorgé après avoir fait couler le sang de leur innocence.

Et puis mon cœur, ce fidèle compagnon va me lâcher !
Peut être est-il trop fatigué d’avoir pleuré… Trop triste d’avoir dû supporter mes horreurs…
C’est pourtant moi qui lui en veux de ne pas avoir lâché avant…
Avant que ma vie ne dérape et ne deviennent le théâtre des turpitudes et des tortures infâmes…
Oui ! Je lui en veux, il a été trop lâche de ne pas s’être arrêter avant le grand massacre.

Je vais enfin voir ce qui retourne de la justice des dieux, celle des hommes est inexistante, et ne va qu’aux possédants…
Bientôt, fils du diable tu rejoindras les cohortes des ténèbres ou tu paieras pour tes atrocités.
Diantre, cette transpiration… je dois faire de la fièvre…
Que dois-je faire ? Me laisser mourir à petit feu ? Est-ce que je paie déjà pour cette vie d’immondices.
Je ne savais pas que le trait d’union était assuré entre la vie présente et la vie future.

Par le sang de mes ancêtres, il n’est pas dit que je mourrai dans cette couche !
Je fais le serment de me racheter un peu… seigneur, même sans être ton débiteur, donne moi la force d’accomplir une dernière mission… Une seule ! Une du côté du bien…

Je vais pas crever comme un chien, foi de Joao.

Après avoir régler mes affaires avec mon fils, je quitte ces terres et j’entreprends une « quête du bien »…
Elle vient peut être tard. Il y a des années que je n’ai pas fait le mal autour de moi. Hélas dans mes jeunes années j’ai accumulé des siècles de damnations.

Il faut bien rééquilibrer tout ça… J’espère le faire avec toi mon fils.

Mes ambitions m’ont trahi, mes engagements aussi… je m’en aperçois bien tard !

Mon fils presse-toi, un mourant te réclame !
Seigneur accorde lui ses volontés comme tu donnes le pain de ce jour…
Je connais le cœur des hommes et la bonté des femmes mais je suis désarmé devant la volonté du seigneur…


Isabella


Un mélange de joie et de tension se forme dans le boudoir luxueux d'Isabella, qui crie et donne des ordres, s'affole, ne sait plus où se donner la tête. Les bagages s'empilent, tous aussi pleins les uns que les autres, remplis de babioles inutiles, de cadeaux à offrir à sa belle famille, de robes, de bijoux, d'accessoires... Tout y passe, de la vieille broche payée par Joachim Joao Do Setubal do Minho, le père de Rodrigo, qu'elle n'avait mise qu'une fois car celle-ci n'était réellement pas à son goût, à des poulaines très chaudes malgré le temps estival. Des fois qu'il pleuve, qu'il fasse plus froid, répondait t-elle lorsqu'Inès, en raisonnable domestique, lui en demandait l'utilité.
Celle-ci l'aide à enfiler sa robe d'Ourém, tout un combat d'ailleurs. Le corset, si difficile à enfiler... Il faut cesser de respirer pendant une minute complète, rentrer son ventre, le temps que les lacets se soient serrés dans son dos. C'est à peine si sa poitrine déborde, mais c'est ce qui la met en valeur.
Une fois la guerre terminée avec le corsage, tout va beaucoup plus vite. En deux temps trois mouvements, la voilà magnifiquement habillée de sa robe de velours blanche et pourpre brodée aux armoiries de sa famille, un ceinture de cuir sous les seins, et pour la touche finale une chaine fine de perles d'or. Elle avait décidé de laisser ses cheveux détachés, ce qui lui donnait une pointe de sauvagerie et accentuait sa sensualité.

L'excitation s'était poursuivie jusqu'à ce que la gouvernante lui pose quelques questions auxquelles elle n'avait pas réfléchi, la réponse était pourtant claire.
Elle s'assoit de nouveau près de sa coiffeuse en croisant les jambes, habitude coquette qui ne la quittait pas depuis ses 3 ans.

Mmmh... oui, tu viens avec moi. Je vais avoir besoin de ton aide, surtout pour me préparer. Tu sais donner les bons conseils, Inès, toi seule me connais bien. Donc, vas faire ta malle, et dépêche toi. Je vais prévenir mes parents en attendant.

Aussitôt dit, aussitôt fait, la voilà qui dévale les escaliers, une main glissant sur la rambarde de bois, l'autre tenant ses jupons interminables.
Sur le fauteuil du salon, son père, Diogo Gonzales d'Almirante, une moue sérieuse et les sourcils gris froncés sur le visage, est concentré sur une lecture d'un livre intellectuel, parlant sûrement de médecine ou d'armée.
Sa mère, Silvia Gonzales d'Almirante, belle femme aux traits fins bien que dominée également par l'âge, pensive, assise près de la fenêtre qui laisse apercevoir un soleil radieux à l'extérieur, écrit sur un parchemin, comme tous les jours. Des notes, des souvenirs, des pensées. Plus tard, elle sera célèbre grâce à ses chroniques, avait-elle annoncé à la famille.

Isabella roule des yeux par ce spectacle Ô divertissant. Ses parents n'avaient que ça à faire de la journée : parfaire leurs connaissances ou espérer un jour devenir riche et glorieux. Ils le sont déjà, ils ne s'en sont pas encore rendu compte?

Père, mère, j'ai reçu une lettre de doña Philippa. Elle nous invite à passer quelques jours chez eux car Rodrigo est de retour! Souhaitez-vous venir? La famille des Joao Do Setubal do Minho sera ravie de vous revoir... finit-elle en regardant en coin Diogo, un sourire presque moqueur sur les lèvres.

Après un long silence, alors que la jeune fille s'apprête à répéter tout ce qu'elle venait de dire, se souvenant que ses parents sont vieux et qu'ils ont sûrement des problèmes d'audition, son père prend la parole :

Revoir ce sottard d'Arminho, ce vieux prétentieux qui se croit meilleur que les autres et le remercier de t'avoir sauvé la vie ? Non merci, ça sera sans moi.

Silvia, toujours le nez dans son parchemin, laisse échapper un soupir éreinté. Ça, c'est du Diogo tout craché. Grognon et rancunier. Et surtout peureux, ne voulant pas affronter sa futur belle famille en face.

Alors je vais venir avec toi, Isabella. Je vais préparer mes affaires et nous partirons ce soir, lâche t-elle simplement. C'est toujours la même chose, elle suit sa fille comme son ombre, la gâtant de son mieux et acceptant ses choix les plus dingues et des fois indignes d'une Gonzales d'Almirante, mais c'est surtout pour combler l'absence de son père qui, lui, se montre invisible depuis plusieurs années déjà.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyMar 3 Mar - 11:28

Rodrigo


Une myriade d’étoiles illumine leurs regards, à présent qu’ils se mangent des yeux avec une infinie tendresse. Après un bref instant de réflexion, qu’il tente en vain de dissimuler, Rodrigo répète les derniers mots de Malika en hochant la tête.

Oui, mon ange, trinquons à notre rencontre et à notre amour … Mais vois-tu, trésor, je suis quand même inquiet par cette lettre de mon père. Ce n’est pas dans ses habitudes de réclamer ainsi ma présence.

Le jeune officier continue, son ton affectueux démentant ses mots … Ce vieux brigand est bâti comme un chêne, têtu comme une mule, fort comme un taureau, et jamais il n’a eu besoin de moi, ni de personne d’autre d’ailleurs. Faut-il en déduire que son état est vraiment préoccupant ? Ou bien a t’il certaines préoccupations qui l’incitent à me rappeler auprès de lui ? Je l’ignore …

Rodrigo tend la main par-dessus les plats et les couverts disposés sur la table, et caresse doucement le visage de sa compagne. Malika ferme un instant les paupières, et pose sa joue dans la paume de la main de son amant. La jolie frimousse de l’adorable gitane est couverte de poussière fine, celle qui tourbillonne dans l’air selon les caprices de ce vent froid qui mord la peau à pleines dents. Sa chevelure dorée est emmêlée, mais jamais il ne l’a trouvée aussi ravissante, aussi désirable. Son cœur déborde d’amour, comme un torrent jaillissant de son lit de rochers lorsque survient l’orage.

Un large sourire, et il poursuit … Mais ce soir est à nous ! Profitons de ce somptueux dîner. C’est un véritable festin de roi que ce brave aubergiste nous a concocté !

Puis, à voix basse, avec un regard coquin … Mais la chose la plus appétissante est assise en face de moi, mon cœur, et j’y goûterais volontiers, mais pas devant tout le monde. Peut-être là-haut, en guise de dessert, qu’en penses-tu ma chérie ?

Son sourire est contagieux, leurs doigts se joignent et se serrent tendrement. Sous la table, près du museau d’Igor, qui ne s’attendait pas à une telle compagnie, ils allongent la jambe, et leurs pieds se frôlent en un attouchement exquis et révélateur. Oui, ce même désir est en eux, puissant, intense. Et ils ne font guère honneur à la gastronomie française. Ils mangent rapidement, ils dévorent sans apprécier les mets. Oui, ils sont déjà là-haut, en pensées, enlacés sur un lit moelleux. Quelques écus passent vivement dans les mains de l’aubergiste affable, un peu surpris de leur précipitation, et le gamin souriant les précède dans les escaliers en jouant avec un impressionnant trousseau de clefs.

Chambre 3, au fond du couloir. Enfin. La porte à peine refermée par le mioche, Rodrigo soulève Malika par la taille et la dépose sur la couche. Leurs bouches se dévorent, et ses doigts impatients dénudent le corps superbe de la fille du vent, leurs vêtements épars formant aussitôt de petits tas soyeux sur le plancher. Leur passion, leur fougue, les emportent dans ce sublime voyage qu’on entreprend à deux, dans ce tourbillon infini de volupté et de tendresse. Leurs gémissements étouffés, leurs aveux enflammés, se font écho dans la nuit, jusqu’à cet ultime cri d’amour qui s’échappe au même instant de leurs lèvres. Haletants, ils se serrent l’un contre l’autre, et le matin les surprend, encore enlacés, leurs corps naviguant entre sommeil et caresses mille fois renouvelées.

Comme convenu la veille avec le patron de l’auberge, des coups discrets retentissent à la porte. C’est déjà l’aurore, et ils reprennent rapidement la route après un petit déjeuner copieux.


Malika


La nuit a été courte, leurs corps sont rompus par le plaisir, par cet amour immense qui les emporte tel un ouragan en furie et qui les dépose dans un monde que Malika ne connaissait pas. Un monde rien qu’à eux, dont elle découvre toutes les facettes dans les bras de son amant.

Mais déjà un grattement à la porte, il n’ont pas le loisir de paresser, il est temps de se lever et de reprendre la route.

L’Esprit de Malika est en alerte. Cette nuit, elle a vu en songe un homme aux cheveux blanc souffrir atrocement. Traversé par une douleur fulgurante, il perdait même conscience après avoir appelé Rodrigo d’une voix faible et pitoyable. Ses songes ne l’ont jamais trompée, sa grand-mère l’a aidée à apprendre et écouter ce qu’ils lui révèlent, c’est un sens qu’elle a développé et qui n’est pas à la portée de tout le monde.

Heureusement, elle maîtrise parfaitement ce don, toutefois sans jamais l’avouer à personne. Elle ne tient pas à monter sur un bûcher et à finir en cendres, considérée telle une sorcière comme bien souvent les filles de son peuple? Elle sait que seul le silence la protége.

Mon Chérrri ! Il faut fairrre la rroute au plus vite. Ton père va mal, trrrès mal.

Rodrigo la regarde, les yeux ronds, remplis d’incompréhension. Elle lui sourit en baissant les yeux.
Des questions lui brûlent les lèvres, ça paraît évident. La fille du vent aurait-elle réellement quelques pouvoirs surnaturels ? Est-ce une légende, cette faculté attribuée aux gitanes de visualiser des événements lointains, ou bien est-ce simplement une intuition, un pressentiment, auxquels elles attachent une valeur considérable ? Malika les connaît à l’avance, les interrogations de son beau portugais. Elle sait qu’elle peut lui parler ouvertement et en toute franchise de ses dons ancestraux, remettant ainsi sa vie entre ses mains.

Mais l’aubergiste est là, à deux pas, occupé à débarrasser les tables des petits déjeuners, et échangeant quelques mots aimables avec ses clients les plus matinaux.
Non, pas question d’aborder ce sujet devant lui, bien entendu. Une parole qui échappe, un air entendu et c’en sera fait d’elle. L’Inquisition est partout, ici mais surtout dans les pays du Sud, le Royaume d’Espagne qu’ils doivent traverser, et le Portugal, fief des parents de Rodrigo.
Elle a peur de la cruauté des humains, la jeune gitane, elle qui ne croit qu’en la beauté des choses, les arbres centenaires ou les frêles pousses fleuries dès le printemps, les saisons qui inlassablement reviennent d’une année sur l’autre, toutes aussi belles et différentes, l’astre brûlant du jour, et ceux de la nuit, d’un blanc pur et lumineux, aux forces de la terre, des océans, du vent qui sait se faire doux et rafraîchissant, ou puissant et dévastateur.

Oui elle est bien la fille du vent, de la liberté, de l’amour !

Ils sortent après un ultime remerciement pour le propriétaire. Rolio fait diversion en venant se poster sur l’épaule de sa maîtresse, tenant dans ses petites mains une pièce d’argent. Petit voyou tu ne peux pas t’empêcher de fairrre des bétises ? Où l’as-tu prrrrise ?

Leurs chevaux sont déjà dans la cour, soignés et bichonnés par le fils du patron, et Malika tend l’écu au gamin. Il en fera bon usage. Et les deux cavaliers reprennent leur long périple. Cependant, après quelques dizaines de mètres, Malika interrompt la course de sa monture, et insiste auprès de Rodrigo pour qu’il en fasse de même. Elle lui doit la vérité. Pas de dissimulations entre eux,Elle pose la main sur le bras du jeune officier.


Amourrr ! Je ne sais comment t’expliquer, mais j’ai quelquefois des révélations qui s’imposent à mon esprrrit. Et cette nuit, à plusieurs rrreprises, j’ai distingué le visage souffrant de ton papa. Il t’appelle, il ne va pas bien du tout. Je me trrrompe rrarement, mon coeurr, il est préférrable que nous ne perrrdions pas de temps.

Rodrigo hoche la tête. Croit-il à ces affirmations ? Malika l’ignore. De toute manière, elle ne désire pas lui imposer les croyances de son peuple. Mais, visiblement, son amant a décidé d’en tenir compte. Il lui serre doucement la main, lui sourit, puis pousse un grand cri qui la fait sursauter, et les deux montures repartent au galop vers les Pyrénées, poussées par leurs cavaliers pressés d’arriver à destination.



Rodrigo



Limoges, Périgueux, et ensuite une large boucle à travers la campagne pour éviter Bordeaux. Ils chevauchent à présent depuis plusieurs jours, réduisant au maximum le nombre de haltes, ainsi que leur durée. Les yeux continuellement fixés sur la ligne d’horizon, par dessus la cime des arbres, ils espèrent. Oui, ils espèrent apercevoir enfin les premiers contreforts escarpés des Pyrénées. D’après leurs estimations, bien approximatives cependant, ils en seront alors à la moitié de leur expédition.

Et soudain, au détour d’un sentier se glissant dans l’ombre épaisse d’une forêt de pins, les voilà ! Le paysage est à couper le souffle ! Droit devant, les montagnes grandioses sur lesquelles viennent s’appuyer un long chapelet de nuages qui s’effilochent. Magie de l’instant. Malika et Rodrigo se sentent minuscules face à ce cortège de sommets baignés de lumière. Et là, en contrebas, entre deux bouquets de pins et de cèdres s’étirant vers le ciel, l’Atlantique, qui vient se briser en vagues incessantes et mourir contre les rochers de la côte. Silencieux, les deux cavaliers, à l’arrêt, ne peuvent décrocher leurs regards de tant de beauté et d’harmonie.

Adiù, quin te va ? Un vieux paysan à l’accent rocailleux, la hache posée sur l'épaule et tirant derrière lui son âne lourdement chargé, les fait sursauter par son bonjour joyeux et amical. La conversation s’engage. Le montagnard leur indique les sommets les plus remarquables, les nomme, les décrit, avec affection, comme s’il s’agissait de ses enfants. Il leur dépeint les torrents glacés et tumultueux se faufilant entre les talus et les éboulis, l’isard roux et peureux, au front gracieux surmonté de petites cornes, le vautour fauve qui niche dans les failles du rocher.

L’après-midi étant déjà bien avancée, il leur propose de le suivre jusqu’à sa cabane, isolée du reste du monde, et d’y passer la nuit. L’hospitalité des autochtones n’est pas une légende.

Rodrigo a le dos en bouillie et le fessier en compote. Depuis le matin, sa blessure à la hanche lui provoque de douloureux élancements à chaque faux pas de sa monture dans les chemins abrupts et caillouteux. Obtenant d’un regard insistant l’approbation de sa compagne, le jeune portugais accepte bien volontiers cette proposition inattendue, et ils accompagnent le vieux bûcheron dans une maisonnette de rondins situés au centre d'une clairière partiellement défrichée par sa hache.


Inès


Dona Isabella ne désirant pas se passer de ses précieux conseils, la gouvernante sera donc du voyage. Certes, Inès est consciente de sa propre valeur, de sa longue expérience qui lui permet de régler tous les petits problèmes du quotidien en un tournemain, mais une telle reconnaissance de ses mérites, un tel éloge spontané dans la bouche de l’héritière de la famille Gonzales d’Almirante, la remplissent d’orgueil. Son amour-propre est délicieusement flatté par cette marque d’estime. Joyeuse, fière comme un paon, elle se dépêche à boucler ses bagages, tout en fredonnant une vieille mélodie sentimentale de sa jeunesse. Oui, c’est décidément une belle journée. Cette excursion l’enchante particulièrement, c’est un pied de nez à la routine, aux habitudes immuables parfois un peu pesantes. C’est évident, elle va remplir son rôle à la perfection, elle va se couper en quatre pour répondre à toutes les exigences de dona Isabella.

Voilà, sa malle est prête. Elle n’emporte que des vêtements simples, seyants. Il est loin désormais le temps où les hommes, même les nobles, se retournaient sur son passage ou plongeaient les yeux dans son décolleté. Hélas.

Et maintenant ? Attendre bêtement d’autres instructions ? Non …

Les murs ont des oreilles, dit-on. Poussée par sa vive curiosité, toujours en éveil, Inès descend silencieusement l’escalier, et colle son tympan à la porte du salon. Etrange, pas un mot, pas un son ne lui parvient. Ah si, enfin, voilà don Diogo qui se manifeste, et ensuite dona Silvia. La situation est claire. Sans surprise. Il était prévisible que cette-dernière accompagne sa fille chez dona Philippa, puisqu’elle la suit partout. Si elle le pouvait, elle la suivrait même jusque dans son lit, la nuit de ses noces. Par contre, don Diogo se dérobe, bougon et méprisant selon ses vieilles habitudes. Les rumeurs se confirment donc. Ce n’est nullement l’entente cordiale entre les papas des deux fiancés. Tant pis, elles se passeront de sa compagnie pour ce court voyage.

Le départ est donc prévu pour le soir même. L’impatience de dona Isabella a été perçue par sa maman. D’un pas pressé, Inès s’en va quérir un des laquais chargés d’escorter la famille dans ses déplacements. Il est temps pour les domestiques de préparer la voiture et l’attelage.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyVen 20 Mar - 21:50

Joachim


La crise est derrière lui, mais cette souffrance et la perte de son esprit, ne serait ce qu’un court instant lui font peur, extrêmement peur.

Joaquim n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort ni à réclamer du rabe au cuisinier ; mais il a juste besoin de temps pour mettre ses affaires en ordre, après advienne ce que pourra… A la grâce du grand ordonnateur !

Une chose est sur, cette foutue tête de mule ne crèvera pas dans son lit à moitié grabataire. Il veut de l’action et mourir avec toute sa conscience, être en pleine possession de ses moyens et non pas avec le grenier vidé qui ferait de lui une loque.

S’il faut pour cela en venir à des pratiques qui ne sont pas catholiques, alors il faudra rester discret et peut être que l’ami Rodolfo ne se dérobera pas ; d’ailleurs il ne la jamais fait.

Le plus respectable serait de mourir l’épée à la main comme dans les vieilles sagas…
L’idée fait son chemin dans la vieille caboche du rustre noble.

Il n’est pas dit que Armhino partira sans avoir laisse de lui une image de chêne, d’ours et de guerrier indomptable…

- C’est décidé dès que mon fils sera en charge de toutes mes terres et aura assuré son mariage et donc sa descendance, je m’engage dans la première légion qui passe pour repartir au combat et participer à n’importe quelle bataille.

La journée s’annonçait belle pour le vieil homme, un problème résolu… un…
- Pourquoi les problèmes ne trouvent-ils pas tous de solution aussi facilement !

Joaquim contemplait de sa fenêtre la cour de son château et ses terres qui s’étendaient au delà des murs. Le soleil rayonnait, les vertes prairies, le gazouillis des oiseaux… Tout annonçait une superbe journée.
Qui aurait cru qu’après un réveil aussi cauchemardesque Arminho serait d’aussi bonne humeur. Sa chambre lui semblait maintenant bien trop petite. Les tentures, les chandeliers, son lit à baldaquin, tout paraissait trop luxueux au vieux baroudeur. Joaquim ne rêvait dorénavant que de nuits à la belle étoile, de marches à travers les vertes vallées, les collines, les chemins poussiéreux . . .
Il se sentait pressé de revoir les montagnes, de sentir les embruns marins…
-Mon dieu comme cela va être dur de quitter toutes ces merveilles.

Quid de sa femme et de son fils ?

Arminho réalisait que le bonheur de son fils devait primer avant de disparaître sereinement. Il pensait que son mariage lui apporterait certainement bonheur et prospérité.
De l’amour et des terres !

C’est décidé il écouterait son cœur… et son cœur lui dictait le bonheur de son fils… c’est ainsi qu’il quitterait ce monde.

Arminho sorti de sa chambre, prit l’escalier de pierre en colimaçon, traversa une partie de son château. En arrivant dans les cuisines, il ordonna à ses cuisinières qu’on lui serve un repas léger dans la salle d’arme. Reprenant ses allées et venues, il manda à deux solides gaillards qui transportaient des malles de le suivre. Les deux jeunes gens furent surpris de cette demande. Mais ils furent plus terrifiés de se retrouver devant la salle ou leur maître passé le plus clair de son temps : la salle d’arme !
Le noble pénétra dans la pièce avec une énergie surprenante. Les deux valets le suivirent craintivement. Timidement, ils se placèrent derrière leur seigneur. Celui-ci s’affairait devant une grande table. Il sélectionnait une masse d’arme, un glaive, une épée…
Contemplant ces jouets, il sourit et se retourna vers les deux infortunés…


Isabella


Les domestiques s'activent. Porter les valises, descendre l'escalier avec les valises, traverser les vastes couloirs avec les valises, ranger soigneusement les valises dans le carrosse couleur or et pourpre attelé à trois magnifique chevaux blancs qui attendent docilement l'heure venue pour partir dans le domaine des Joao Do Setubal do Minho dans la grande cour du domaine des Gonzales d'Almirante.

Isabella sourit, debout devant la porte d'entrée, hautaine et droite, elle compte avec ses doigts les serveurs défiler devant ses pupilles emplis d'une joie mêlée à de l'excitation. Pas une malle en moins, pas une malle en trop. Le compte est bon! Et puis, elle est fière, la jeune fille. Elle se sent belle, fraîche et amoureuse. Bien qu'elle l'est toujours mais ce jour est spécial... extraordinaire, exceptionnel, sensationnel, fantastique, fabuleux, incroyable, indescriptible, rare...

Isabella! Allez, dépêche-toi!

La voix perçante de Silvia, sa mère, la fait sortir de ses douces rêveries. Celle-ci la regarde par la fenêtre de la voiture, les yeux pleins d'envie et de jalousie, mais surtout de fierté. Fière de ce bout de femme si parfait, si beau, de cette poupée de porcelaine à la fois intouchable et si fragile bien qu'elle essaie de ne pas l'être. Ca lui rappelle sa jeunesse à elle, le temps où elle vivait de la richesse de ses parents et d'aventure. Isabella entreprend inconsciemment son chemin et c'est tout ce qu'elle lui souhaite. Il ne lui reste plus que le mariage avec Rodrigo pour atteindre le sommet de son bonheur, de ses ambitions, et surtout de l'alliance de ses deux familles.

Isabella descend les marches du perron, tenant délicatement les pans de sa robe, faisant attention à ne pas regarder ses pieds pour toujours avoir la tête haute et la colonne droite, comme le lui avait appris sa gouvernante. La moindre chute lui serait fatale, autant par les dégâts physiques que la honte qui se lirait dans son regard et l'hilarité dans ceux des spectateurs.

Inès accourt vers elle, lui tend sa main pour qu'elle puisse monter dans le calèche, puis s'assoit aux côtés des deux femmes. Un silence gêné s'y installe, tandis que les chevaux partaient dans un petit galop.

Isabella regarde sa mère, qui tient nerveusement le bout de son châle dans chaque main, son cerveau à des milliers de lieux d'ici, puis sa gouvernante, également ailleurs, sûrement en train de préparer des plans astucieux pour pouvoir aider chacune d'elles.
Inès, c'est une vieille, très vieille gouvernante. Elle travaille au domaine des Gonzales d'Almirante depuis des décennies, si ce n'est même plus. Elle connait chaque membre de la famille sur le bout des doigts, mais maîtrise aussi l'art de la coiffure, de la lecture, de l'habillage et surtout de la carpe. La jeune fille se confie à elle, lui confessant toutes ses bêtises et ses péchés, mais elle doit rester muette et écouter sans juger, ainsi en est la règle. Et si un jour, elle a le malheur de déshonorer la famille, elle pourrait très bien se voir mise à la porte, et si ce n'est même plus, être dépourvue d'avenir car le temps qu'il lui restait à vivre était désormais compté. Enfin, tout cela n'arrivera pas bien sûr, pourquoi faire ! A moins d'avoir une haine profonde envers eux, eux qui l'ont nourri et logé pendant toutes ces années.

Isabella regarde par la fenêtre, les paysages défilant devant ses yeux. Son sourire ne quitte plus ses lèvres pulpeuses, un sourire inconscient qui lui fait presque mal aux joues, mais que faire d'autre pour exprimer sa gaité?
Dans sa tête, elle s'imagine des milliards de solutions pour sa rencontre avec Rodrigo.
La première, amicale : elle le voit et s'exclame joyeusement "Rodrigo!" avant de lui claquer une bise et de le serrer très fort dans ses bras, profitant ainsi de son odeur marine familière.
La deuxième, un peu plus folle : elle le voit et saute dans ses bras, le couvrant de baisers et lui murmurant combien il lui a manqué.
La troisième, beaucoup plus romantique : elle le voit et s'approche langoureusement de lui avant de poser sa bouche contre la sienne et rester ainsi jusqu'à ne plus avoir de souffle, puis lui susurrer à l'oreille des "je t'aime" très sensuels qui ne leur donnerait qu'une envie : être seuls.
La quatrième, carrément plus sérieuse : elle le voit et s'avance, la tête haute et les jupons dans les doigts, elle dit simplement "Bonjour, Rodrigo" puis fait une élégante révérence, comme on lui a appris.
La cinquième, elle l'imagine avec un cadeau : elle le voit et pousse un cri de joie, prenant les fleurs offertes dans ses bras puis lui dépose un bisou sur la joue.
Certaines solutions étaient des mélanges d'autres solutions. Bref, un casse-tête, mais au moins elle avait de quoi combler un silence avec des répliques, toutes les unes plus différentes des autres.

Elle est arrivée. Zut, ça va vite eh !
Même manège, on l'aide à descendre, ainsi que sa mère, avec l'aide des domestiques du domaine des Joao Do Setubal do Minho, cette fois.
Isabella prend une grande inspiration en haussant quelque peu les sourcils.

Annoncez l'arrivée des doña Gonzales d'Almirante!


Malika


La cabane du vieux berger est à flanc de colline, toute en pierre. Une fumée blanche s’échappe de sa cheminée, quelques busards tournoient dans le ciel et se laissent choir sur des proies faciles.

Rrrrolio, rrrreste prrès de moi, les rrapaces peuvent t’enlever, tu es si petit, ils rrrisquent de te prrrendrre pourr un mulot !

Malika, fourbue, s’endormirait là, maintenant, sur place, sans manger, mais le vieil homme leur propose de partager sa pitance, l’hospitalité ici n’est pas un vain mot.

Après les avoir fait entrer dans l’unique pièce sombre, qui n’est meublée que d’un grabat, d’une table et de deux bancs, le vieil Hyppolite ôte sa pelisse de mouton, desserre la ceinture rouge enroulée autour de sa taille, et, après un soupir de satisfaction il les fait asseoir à la grande table et leur sert une chope d’hydromel de sa fabrication. A la bonne saison, les abeilles lui donnent un miel délicieux.

Dans la cheminée, une soupe odorante cuit dans une marmite posée sur un trépied, il leur en sert un énorme bol dans lequel une grosse tranche de pain attend le délicieux bouillon.
Un jambon est suspendu à un crochet, il sèche et se fume en attendant d’être dégusté.

Après la deuxième chope, le vieil homme solitaire se montre intarissable. Ce jeune couple attentif lui donne envie de parler de ses montagnes, il connait tous les chemins, même ceux dit des douanes, les sentiers les plus secrets, ceux que les chamois traversent en bondissant parmi les roches et les torrents, les meutes de loups qui hurlent dans la nuit et les repaires des ours bruns qui hibernent encore et qui au printemps sortiront amaigris mais souvent accompagnés par les oursons nouveau nés.

Blottie contre Rodrigo, la gitane l’écoute en mangeant une cuisse de lapin qu’il a fait rôtir pour honorer ses hôtes. Malgré l’attention qu’elle porte à son récit, elle lutte pour ne pas s’endormir, elle baille à s’en décrocher les mâchoires, puis s’excuse en souriant d’un air réellement désolé.
Hyppolite, attendri, et bien qu’édenté, lui rend son sourire.

Après une bonne nuit de repos pour eux et leur monture, et aussi pour Igor qui est épuisé et dort devant la cheminée en agitant ses pattes, le berger les guidera demain vers les raccourcis pour leur permettre d’arriver plus rapidement au delà des montagnes encore enneigées. Rodrigo lui a expliqué pourquoi ils avaient entrepris ce voyage et le brave homme se mettrait en quatre pour les aider.
Il prend une grosse couverture de laine, lui-même ira dormir avec ses moutons dans les bottes de paille de la bergerie attenante à la pièce .

Dans l’âtre, les flammes rougeoyantes vacillent, Rodrigo rajoute une bûche pour la nuit et se glisse contre Malika sur la paillasse recouverte d’un moelleux édredon de plumes, elle se serre contre lui et s’endort rapidement bercée par les doigts de son compagnon qui jouent doucement dans ses cheveux blonds.



Philippa



Les domestiques ont reconnu instantanément la luxueuse voiture aux teintes pourpres et dorées, tirée par trois magnifiques chevaux blancs. Ils se précipitent, aident les visiteuses à descendre du véhicule, se saisissent des bagages, le tout dans un ballet parfaitement réglé, et cent fois répété.

L’un d’entre eux se dirige rapidement vers la riche demeure afin d’avertir dona Philippa de l’arrivée de dona Silvia et de sa fille. Inutile ! La maîtresse de maison est déjà sur le perron, un immense sourire sur les lèvres. Elle soulève précautionneusement un pan de sa robe de soie, et descend les escaliers menant à la cour intérieure à petits pas pressés. Heureuse, attendrie. Isabella est la belle-fille rêvée. Elle est l’héritière d’une famille illustre et fortunée, elle a beaucoup de classe, une personnalité remarquable, et un caractère bien trempé. Elle sera une épouse parfaite pour Rodrigo, et les enfants qui naîtront de leur mariage seront leur fierté, ils seront l’élite, la crème de tout le nord du Portugal.

Dona Philippa ouvre tout grands les bras et donne aussitôt une accolade très chaleureuse à dona Silvia. Ensuite, avec une affection presque maternelle, avec une spontanéité sincère et naturelle, elle serre Isabella contre son cœur et dépose trois baisers bruyants et joyeux sur les joues roses de la jeune fille.

Ma chérie, te voilà enfin ! Tu es resplendissante ! Et quelle élégance ! Je t’attendais avec impatience, le nez collé à la fenêtre. Tu as fait bon voyage ? Je n’ai pas reçu de nouvelles récentes de mon fils, mais dans son dernier courrier il affirmait qu’il serait bientôt de retour chez nous. Il s’ennuyait tellement de toi, ma chérie. Et, pour une fois, son père a pris la peine de lui écrire, pour lui conter vos mésaventures. Je suis persuadée que Rodrigo est en chemin, cette lettre a du l’inquiéter. Il sera heureux de te trouver là à son arrivée.

Tendant le cou vers la voiture, dona Philippa constate qu’il n’y a personne d’autre à l’intérieur, excepté la gouvernante habituelle qui vérifie que rien n’a été oublié par les laquais.

Comme c’est dommage, ton papa, don Diogo, a eu un empêchement ? Mais venez, suivez-moi, je vais vous mener à vos chambres. Vous pourrez vous rafraîchir. Ahh, je suis impardonnable de vous faire patienter dans la cour.

Elle tend le bras à ses invitées, et les entraîne vers l’illustre demeure familiale.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyLun 23 Mar - 18:17

Rodrigo


Merci pour tout, Hyppolite, nous n’oublierons jamais ta gentillesse. On ne sait pas ce que la vie nous réserve, si jamais nous effectuons le voyage dans l’autre sens, nous passerons te rendre une petite visite. Grâce à ton raccourci, nous allons gagner un temps fou, et je t’avoue que Malika et moi nous sommes impatients d’arriver enfin dans la propriété de mes parents.

La petite gitane donne en riant un baiser sonore sur la joue ridée du vieux bûcheron. Il sent bon la paille et le feu de bois. Ses rides sont innombrables, elles sont autant de profonds sillons, autant de sentiers creusés dans sa bonne bouille joviale. Rodrigo lui donne une solide bourrade amicale, et un large sourire éclaire la trogne édentée de l’ancêtre.

C’est parti. Dès le premier tournant, la descente se révèle vertigineuse. A droite, le flanc du rocher, ruisselant d’humidité, et à gauche, le vide, le précipice. La piste est piégeuse, une faible couche de neige fraîche masque les cailloux et les aspérités. Ils sont les premiers à emprunter cette voie, ce matin, aucune empreinte de pas ne défigure le manteau blanc immaculé. Rodrigo et sa compagne retiennent leurs montures avec la plus grande énergie. Le moindre écart, la moindre glissade pourrait se révéler fatale. Seul Igor gambade allégrement dans la pente. La température est glaciale. Rolio s’est glissé sous le chandail de laine de Rodrigo. Il est futé, le zigoto, il est sans doute le seul à ne pas trop souffrir du froid intense.

Le jeune homme observe discrètement sa princesse. Elle est concentrée sur la trajectoire de sa monture. Bon dieu, a t’il été raisonnable de lui proposer ce voyage risqué ? Elle lui semble soudain si menue, si fragile. Pourvu que l’accueil de ses parents lui fasse vite oublier cette épreuve.

Après plusieurs heures de cette pénible randonnée, la neige se fait enfin plus discrète, la déclivité du chemin s’atténue, la végétation est plus dense, plus vigoureuse. Au loin, soudain, des voix, puis quelques maisonnettes qui s’appuient frileusement l’une contre l’autre. Un paysan les salue en espagnol, langue que Rodrigo maîtrise parfaitement. A sa grande surprise, c’est Malika qui répond. Elle aussi parle couramment ce langage. Son amant lui sourit, se penche vers elle et l’embrasse doucement. Il prend entre ses mains les petits doigts bleuis par le gel et les réchauffe en les serrant tendrement.

Tu m’avais caché ça, amor ! Tu es décidément pleine de ressources insoupçonnées, et j’ai hâte de les découvrir toutes, mon ange.

Les deux cavaliers échangent quelques mots avec le villageois. Selon lui, bientôt, ils vont croiser un chemin de terre qui se dirige vers le nord-ouest. Ce chemin épouse les rivages de la mer Cantabrique, vers Santander, jusqu’à Oviedo dans les Asturies. Il est en général plat et carrossable, ils vont enfin pouvoir y chevaucher à brides abattues, puis aussi se restaurer dans une des nombreuses tavernes de pêcheurs. Le plus dur est passé, semble t’il. Alors, en route …


Isabella


La chaleur de doña Philippa contre elle est rassurante et l'apaise, chassant immédiatement ses craintes et sa nervosité. Cette femme, elle l'apprécie autant que sa mère, peut être même plus que son père. Sa sympathie n'avait pas de limites, elle était sûre de recevoir des compliments à chacune de ses paroles, avoir des présents à chacune de ses visites.
Cela faisait plusieurs mois qu'elle n'était pas revenue dans le domaine des Joao Do Setubal do Minho, ni revu la famille. Tout ça depuis le départ de Rodrigo.

Tout en entrant dans leur vaste demeure, leurs bras dessus, bras dessous, Isabella lui parle, plus enthousiaste que jamais, n'hésitant pas à balayer du regard les pièces luxueuses qu'elle n'a pas vu depuis longtemps, dans lesquelles elle avait passé son enfance à jouer avec Rodrigo, à se chamailler avec lui, partager des diners.

Le voyage n'a pas été long, au contraire, il a été même agréable. Et oui, c'est dommage, mon père n'a pas pu venir... elle fait la moue, puis bat des cils à l'intention de Philippa, se souvenant qu'elle devait inventer une excuse pour l'absence de don Diogo. Avant que sa mère ne prenne la parole, Isabella dit : Il est fatigué en ce moment... il passe tellement de temps à lire, à force, sa tête fume ! Il ne voit même plus clair, si c'est pour dire.

S'empressant de changer de sujet, la jeune fille passe un bras sur les épaules de la mère de son futur mari.

Ah, Philippa, comme je suis heureuse de vous revoir. Vous êtes si belle, le temps vous réussit tellement! Si seulement vous saviez depuis combien de temps j'attends ma venue chez vous... et surtout, celle de Rodrigo ! Oh, qu'est ce qu'il me manque... il va bien j'espère ? J'ai déjà prévu tout un programme pour fêter son retour!

Isabella esquisse un sourire, épargnant les détails. Dans ses rêves, elle avait déjà imaginé plusieurs suites, les unes plus romantiques que les autres... mais pour eux seuls, sans leurs parents.
Les voilà arrivés devant leurs chambres. Elle expire et inspire bruyamment, s'arrête, regarde sa mère et Philippa. Oh puis, allons-y, droit au but :

Oh... j'ai une question qui me titille ... à votre avis, est ce qu'il va bientôt me demander en mariage ?


Philippa



Les voici sur le palier, surveillées par un alignement de gentilshommes élégants immortalisés dans des encadrements de bois précieux. En face d’elles, les portes de leurs chambres respectives. Ce sera bientôt l’heure du repas, mais ces dames ne sont pas pressées de se quitter. Dona Isabella se montre charmante et enjouée, puis quelque peu embarrassée lorsqu’elle aborde la question de la demande en mariage officielle, étape ultime avant les noces, avant ce jour qu’elle attend avec tant d’impatience.

Mais la réponse de dona Philippa jaillit instantanément. Bien sûr, le principal intéressé, Rodrigo, est absent des débats, mais la maîtresse de maison s’empresse de rassurer celle qu’elle considère comme la belle-fille idéale.

Ne t’inquiète pas, ma chérie, je le connais par cœur mon Rodrigo. Notre Rodrigo. Je suis persuadée que tu lui manques énormément. Sa convalescence à Paris va certainement lui ouvrir les yeux. Lui permettre de réfléchir. En rentrant chez nous, il va se jeter à tes pieds, et ce sera le plus beau jour de votre vie. Et de la mienne aussi. J’en serai profondément heureuse pour toi et pour nos deux familles.

Puis, réfléchissant aux propos précédents de la jeune fille, elle hoche la tête en lui adressant un large sourire.

Tu envisages donc d’organiser une petite fête en l’honneur du retour de Rodrigo ? C’est une excellente idée, ma chérie. Nous irons toutes ensemble faire le tour des boutiques, et aussi dénicher quelques musiciens et danseurs pour animer les festivités. En attendant, regarde, j’ai quelque chose pour toi.

Dona Philippa tend à sa future bru un petit paquet mystérieux, joliment décoré de rubans multicolores. D’abord étonnée, dona Isabella le déballe vivement. Le cadeau est une jolie broche en or, sertie de petits diamants artistiquement disposés en forme de feuille de figuier.

Ce bijou est dans la famille depuis plusieurs générations. Il passe de mère en fille. Le figuier est, paraît-il, symbole d’amour et surtout de fécondité. Puisque tu vas devenir ma fille, je te l’offre bien volontiers, ma chérie. Oh, je sens déjà des odeurs de cuisine ! Allez vite vous rafraîchir un brin, je viendrai vous chercher pour l’apéritif. Mon mari est hélas un peu souffrant, j’ignore s’il nous honorera de sa présence …


Malika


Effectivement, un chemin de terre battue s'étire à perte de vue devant eux, descendant parfois le long du rivage, à quelques pas des moutons d'écume qui se fracassent contre le rocher, mais le plus souvent dominant de très haut l’Océan, à la peau frémissante et argentée, qui se perd dans les nuages de l'horizon.

Malika file comme le vent, mais Rodrigo est à la traîne. Elle a remarqué que son compagnon serre les dents, et qu'il porte régulièrement la main à sa hanche, sous sa chemise de laine. Elle l'a interrogé à plusieurs reprises, et il l'a rassurée d'un mot ou d'un baiser, mais cette fois elle décide d'en avoir le coeur net. Elle arrête sa monture près d'un amoncellement d'algues, d’ une barque en décomposition, et d’ une baraque en rondins de bois à la porte arrachée, puis elle l’ attend, tout en câlinant Rolio qui a choisi de s'accrocher à son cou.

Le jeune Portugais arrive enfin, il a le teint livide, les yeux rouges. Sa monture ralentit encore l'allure à la hauteur de la gitane qui s'empare des rênes d'une main sûre. Rodrigo grimace, amorce un pauvre sourire désabusé, puis glisse lentement en bas de son cheval.

Elle se précipite vers lui, soulève avec mille précautions sa chemise , constatant qu'elle est poisseuse et humide. Du sang ! Du sang partout, et déjà sur les mains de la petite gitane inquiète, elle ne s’affole pas son père lui a appris les gestes qui peuvent sauver. La blessure de son amant s'est rouverte, le pansement s'est désagrégé au fil des lieues, il pendouille à présent le long de sa hanche, inutile, imbibé de sang.

Malika saisit son compagnon sous les bras, et le tire à l'abri dans la cahute ou de vieux filets de pécheurs sont entassés dans un coin. Un hamac est encore fixé sur une poutre, elle y installe au mieux Rodrigo, près d’une cheminée envahie par la suie dans un angle. Elle ressort rapidement et ramasse des brassées de varech séché, jette le tout dans le foyer, bat le briquet. Les algues sèches s’enflamment, un petit feu assèchera un peu l’atmosphère poisseuse amenée par la proximité de l’Océan.

Elle nettoie la plaie avec une toile propre qu’elle avait dans sa besace. Le vieil Hyppolite lui a donné, en plus du pain et du fromage de ses brebis, une gourde d’un nectar assez fort qui réchauffe, elle en prélève et l’applique sur la plaie. Rodrigo se tortille en se plaignant « ça piqueee ! »

Mon cœurr tout va bien, ta plaie est proprre, le mal blanc ne s’est pas mis dedans, je vais te fairrre un bandage serré, mais il ne faudrra pas bouger de quelques jourrrs, que tout se referme, sinon il faudrra cautériser, et je n’aimerrai pas du tout devoir le fairrre.

Elle caresse avec délicatesse son front, écarte les mèches blondes collées par les gouttes de sueur, l’embrasse tendrement. Elle l’aide à boire de l’eau de vie à la gourde, il tousse, mais les couleurs reviennent sur ses joues. La douleur et la fatigue ont eu raison de lui, il s’est assoupi, et Malika dépose sur lui une couverture de laine.

Mon ange, je vais nourrrir les bêtes, repose toi, on mangerrra plus tard Une dernière caresse, un baiser déposé sur ses lèvres, un murmure à son oreille « szeret,svivböl szeret ! » (Amour, je t’aime d’Amour !)
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyDim 29 Mar - 23:35

Rodrigo


L’alcool généreusement appliqué sur sa plaie lui fait un mal de chien. Il serre les dents, il serre les poings, si fort que ses ongles entament la chair des paumes de ses mains.

Mais il a entière confiance en Malika. Ces soins un peu rudimentaires sont un mal nécessaire. D’ailleurs sa douce infirmière le rassure. L’infection n’a pas gagné sa blessure. Le mieux serait pourtant de rester immobile quelques jours.

Bercé par les caresses et les baisers de son amour de gitane, il s’endort sous une épaisse couverture, entendant à peine les derniers mots prononcés.

Un ou deux siècles plus tard, c’est à nouveau le doux contact des lèvres de Malika sur les siennes qui le tire du sommeil. Il a dormi un jour entier, puis toute la nuit. La belle tamponne délicatement son front avec un bout de tissus humide. Elle a le regard inquiet, mais son sourire est le plus merveilleux des remèdes. Rodrigo se sent beaucoup mieux que la veille, en effet. Le tendre dévouement de Malika l’a remis à neuf, et sa robuste constitution a également contribué à sa résurrection. Le jeune Portugais se tâte. Son ventre et ses hanches sont enveloppés d’un nouveau bandage propre, blanc comme la neige couvrant les montagnes qu’ils viennent de traverser. Aucune tâche de sang ne le souille.

Grimaçant légèrement, il pose un bras sur l’épaule de sa gitane. Aide-moi, amor, je vais essayer de me redresser. Nous touchons au but maintenant, et si ma grande carcasse le permet nous allons reprendre la route. J’ai vraiment hâte d’arriver, et de te présenter à mes parents. Je suis certain qu’ils vont t’adorer. J’aimerais aussi constater comment se porte mon père.

Visiblement, Malika ne l’entendait pas de cette oreille. Rodrigo écoute ses vives protestations, mais sa décision est prise. Il s’attendait à une telle réaction, et, bien sûr, sa compagne a parfaitement raison, ce serait plus prudent de rester sur place encore un jour ou deux, mais, c’est promis, ils vont chevaucher plus lentement. D’ailleurs le sentier semble bien entretenu, il offre peu de pièges ou de dangers. De plus, le temps s’améliore depuis qu’ils ont franchi les Pyrénées. Ca ira …

Malika hoche la tête, résignée. Elle a compris que son amant n’en démordra pas. Soit ! Elle remplit les fontes de sa monture avec les bibelots qui jonchent le sol de la cabane, puis aide son bien-aimé à se hisser en selle. Au petit trop, ils prennent la direction de la lointaine hacienda. Chaque foulée de leurs chevaux les rapproche des parents de Rodrigo, mais les angoisse un peu plus, même s’ils ne se l’avouent pas. Quel accueil leur sera t’il réservé ?


Malika


J’ai vraiment hâte d’arriver, et de te présenter à mes parents. Je suis certain qu’ils vont t’adorer.
Malika lève le regard sur lui, elle le voulait enjoué mais l’inquiétude la dévore. Comment peut-il penser que sa famille la recevra avec plaisir ? Elle, une étrangère, issue du métissage d’un homme des dunes et d’une fille des steppes. Même si elle a hérité de la blondeur et des yeux clairs de sa mère, elle ne sera pour eux qu’une usurpatrice, une aventurière, une gitano, une fille de rien.

Mais Rodrigo a tellement l’air d’y croire, qu’il lui donne le courage de les affronter. Elle leur fera voir à tous de quoi elle est capable, elle se coulera dans le moule de la noblesse et son élégance naturelle ressortira encore plus quand elle sera richement vêtue. Jusqu’à maintenant elle n’a jamais pensé à ces futilités, se contentant d’être elle, sans artifice.

Elle ne craint personne, sa culture multiple lui permet de se sentir à l’aise dans toutes les situations et dans tous les milieux .
Mais là, ce sont des parents qu’elle va rencontrer et qui, selon la lettre qu’il a reçue à Paris, ont déjà arrangé la vie de leur fils au mieux des intérêts familiaux.
Et Isabella ? Elle sera sûrement blessée dans son orgueil si ce n’est aussi dans son cœur, elle qui est promise à Rodrigo depuis l’enfance. Mille questions se heurtent dans sa tête.
Elle sourit à son amour, ne voulant rien lui montrer de ses inquiétudes.

En chantonnant une mélopée stsigane elle selle les chevaux, Terrra!!viens mon beau !On rrepart !Elle remet les fontes en place, roule les couvertures, et aide Rodrigo à enfourcher sa monture.

Le temps est assorti à l’Océan, d’un gris sourd et profond. L’orage gronde au loin, elle resserre sa cape et talonne Terra. Ils partent au petit trot après avoir échangé un très long baiser où toute la tendresse du désespoir caché se fait sentir.

Il lui répète qu’il l’aime, mais une fois de retour à l’hacienda, en sera t’ il toujours de même ? Soit ! Les dés sont jetés. Ils chevauchent toute la journée, ne s’arrêtant qu’un minimum. Depuis longtemps, les cimes enneigées des Pyrénées ont disparu. Leur route s’écarte à présent de l’Océan, ils sont aux portes de la Galice.


Rodrigo


Plus tard, deux jours après le malaise de Rodrigo et l’arrivée de dona Isabella chez dona Philippa.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Douce nuit dans une infâme gargote de pêcheurs hirsutes et débraillés, exhalant d’écœurantes odeurs d’algue et de morue. La petite chambre dont on leur a donné les clefs est située juste au-dessus du comptoir. Elle est encombrée de cageots, de filets, de rouleaux de cordages, qu’ils doivent enjamber pour gagner la couchette. Juste ciel ! A travers les cloisons modestes retentissent les rires et les vociférations des morutiers éméchés. Tant pis ! Ils n’ont pas le choix. De toute façon, les deux amants ne distinguent pas longtemps ces braillements. Seuls au monde, ils s’aiment tendrement, avant de s’endormir, épuisés, enlacés.

C’est le départ des matelots vers les débarcadères du port qui les réveille, et ils reprennent sans tarder la route, après que Malika ait changé les pansements de Rodrigo. Au bout de quelques longs galops, le paysage devient familier pour le jeune officier. Ici, ce ruisseau à l’eau claire et vive, il s’y baignait quand il était gamin. Là, ces arbres et ces talus, il les escaladait sous l’œil inquiet de dona Philippa, sa maman, lors de petites excursions dans la campagne, au printemps. Rodrigo revoit tous ces instants heureux d’un passé si proche encore, et il fait partager tous ses souvenirs à sa douce gitane.

Nous approchons de la propriété de mes parents, amor. Plus que quelques lieues … Ne t’inquiète pas, mon cœur, tout se passera bien.

Les voilà sur la colline, parfumée de mimosas et de muscats en fleurs. En bas, au bout d’un chemin tortueux, la blanche hacienda de la famille do Setubal, imposante, silencieuse, écrasée par le soleil de midi, entourée de vignes et de champs, à perte de vue. Le regard de Rodrigo se repaît de cette image enchanteresse. Il est chez lui, enfin. Comment a t’il pu quitter ce paradis si longtemps ? Il approche sa monture de Terra, et prend la main de Malika, doucement.

Nous sommes arrivés, mon ange. Regarde comme ce domaine est joli. Tu vois, là, au centre, c’est le patio, la cour intérieure …

Et, fièrement, du bout du doigt, il lui désigne toutes les pièces se dissimulant sous les toitures colorées. Puis, plus loin, les remises, les hangars, l’écurie, la chapelle, les jardins soigneusement entretenus. Une des passions de sa maman, qui aime y lire et y écrire dans le calme, assise sous la tonnelle.

Allons-y, amor. Un dernier effort. D’abord mes parents à te présenter, et m’enquérir de la santé de mon père, et ensuite un bon bain chaud. Ce ne sera pas du luxe, je pense.

Les deux cavaliers dévalent le monticule au galop, franchissent les barrières, puis se dirigent plus lentement vers les pièces de vie. Au loin, deux silhouettes descendent les escaliers, bras-dessus, bras-dessous. Le sourire de Rodrigo se fige. Aux côtés de sa mère, la belle Isabella, sa promise! Mais ce n’est pas lui qu’elle dévisage, c’est Malika, crinière au vent, un singe accroché à son cou.

Le jeune officier dégringole de sa monture, saisit délicatement sa gitane par la taille, et la pose à ses côtés, gardant un bras sur son épaule. L’instant est cruellement embarrassant. Comment éviter une prise de bec dès son arrivée ? Le regard de sa mère lui semble glacial. Mal à l’aise, il regarde les deux femmes plantées à trois pas de lui.

Euh … Maman, Isabella, je suis enfin de retour … Je vous présente Malika, mon … ma … mon amie.


Isabella


Dans sa chambre de poupée de cire, Isabella regarde son reflet, une dernière fois, avant de descendre rejoindre doña Silvia et doña Philippa, déjà toutes les deux prêtes pour l'arrivée du marin, de son époux promis.
Elle a accroché soigneusement la broche en forme de figuier offerte par sa belle-mère sur sa robe non loin de son cœur qu'elle sentait battre de plus en plus fort, battre d'amour pour son Rodrigo.

Et puis, un galop survient, un galop tant attendu, le galop du mois.

La belle Isabella sort de son boudoir, descend les escaliers en compagnie sa belle-mère et sa très belle mère. Son sourire est tellement large, tellement parfait, tellement lumineux qu'il pourrait illuminer toute la terre entière. Ses bras sont prêts à accueillir son tendre amour, ses doigts à le toucher et ses lèvres à l'embrasser ... ou lui parler de beaucoup de choses, de tous ces mois sans lui, de cette attente qui lui a paru interminable, et de ses sentiments qui n'ont fait qu'amplifier.

Pourtant, les pieds d'Isabella s'immobilisent, se stoppent dans leur élan, incontrôlables à l'entrée de la demeure, à la vue des chevaux. Son si joli sourire se transforme en une sorte de grimace -qui n'en est pas moins jolie, d'ailleurs-, ses sourcils se froncent en signe d'incompréhension et de surprise, ses yeux s'écarquillent, sortant presque de leurs orbites, sa bouche s'entrouvre pour laisser échapper un quelconque mot, mais rien n'y fait.
Tous ses plans pour ses retrouvailles avec Rodrigo font faillite, s'évanouissent, s'évaporent. Un nuage de fumée se forme au-dessus de sa tête. Son expression est des plus ébahies, presque comique, mais surtout inattendue en voyant SON marin et la femme à côté.

Toutefois, elle tente de reprendre les rennes de son cerveau en mimant un certain sourire et papillonnant des yeux.
Elle pose une main sur le bras de Philippa, se demandant si c'est qu'un simple cauchemar ou si c'est la triste réalité. Dommage pour toi ma belle, tout est bien vrai.

Ignorant les paroles de Rodrigo, Isabella dévisage hautainement la gitane à ses côtés, avec sa tignasse blonde et son animal étrange au cou. Cette fille n'a même pas sa vingtaine, ne porte visiblement pas de signe de noblesse, est habillée avec des chiffons trouvés dans la rue et des bijoux de misère. Bon sang, mais qu'est ce qu'elle fabrique ici, dans le domaine des Joao Do Setubal do Minho, l'une des plus riches familles du Portugal, dans les bras de son époux promis depuis sa plus tendre enfance ?!

Elle relève légèrement le menton, attrape sa robe pour descendre le palier et se dirige vers Rodrigo tout en s'éclairant la voix.
Cherchant à ce même instant le contact avec son marin, elle prend presque naturellement le bras posé sur l'épaule de Malika pour le remettre sur son épaule à elle, nue et toute à lui. Instinctivement, elle s'enfonce contre son torse, son nez à la recherche de son odeur qu'elle avait pas oubliée depuis son départ.
Puis elle se dégage et le regarde droit dans ses pupilles, sentant le sourire encourageant de sa belle-mère derrière elle et sûrement les yeux pleins d'envie de la gitane. Elle dépose un baiser, doux et plein de promesses sur sa joue.

Oh, Rodrigo, comme je suis heureuse de te revoir ! Oh... tu m'as tellement manqué, et à ta mère aussi ! Mais, tu dois être fatigué, allez, on rentre. Tu dois avoir faim aussi, et puis soif ! Viens, viens...

Elle passe un bras sur sa taille, l'entrainant lentement dans la demeure.
Tout en avançant, elle lui glisse à l'oreille, espérant ainsi qu'il sente son parfum de jasmin, son préféré :

Et... cette jeune fille... d'où vient-elle ? Pourtant, il me semblait que ta mère avait assez de domestiques, rajoute -t-elle on-ne-peut-plus-fort.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyMar 14 Avr - 23:20

Malika


Le bras protecteur de Rodrigo entoure ses épaules, elle est lasse , fatiguée et rêve d’un baquet d’eau chaude et parfumée, pour se débarrasser de cette poussière collante, redonner du brillant à ses cheveux et enfin sentir son envoûtant parfum de gardénia, au lieu de la puissant odeur de suint de cheval. Un flacon de verre de Venise en renferme toujours une bonne quantité et elle l’emporte toujours avec elle, où qu’elle aille .

Les deux femmes s’approchent, Malika ne s’attendait pas à un accueil des plus chaleureux mais comptait bien sur Rodrigo pour l’introduire en douceur dans sa famille. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres entrouvertes, et, le regard inquiet, elle est suspendue aux lèvres de son amour.

Euh … Maman, Isabella, je suis enfin de retour … Je vous présente Malika, mon … ma … mon amie.

Elle pâlit, son homme, son Capitaine se comporte comme un enfant pris en faute, il baisse les yeux, rougit même, elle à du mal à refouler les larmes qui montent à ses yeux, son sourire s’efface, son visage se ferme.

La plus jeune d’entre elles se rapproche, une lueur de haine dans son regard sombre, les lèvres figées dans un rictus qui se veut enjôleur.
Elle ignore Malika, se précipitant sur Rodrigo, l’embrassant, le détachant de sa gitane, l’entraînant, un bras entourant sa taille en signe de possession, vers le perron de la magnifique demeure .
Elle est pétrifiée et songeuse, des questions se heurtent dans sa tête.
« Comment se fait-il que ce soit Isabella qui les a réceptionnés, elle n’est pas chez elle ici, c’est la maîtresse de maison qui aurait dû le faire. La jeune femme aurait elle tant d’importance ? Son beau marin lui aurait-il menti ? »

Le groupe commence à s’éloigner, elle reste là, seule désemparée,appuyée contre Terra pour ne pas tomber, Rolio sur une épaule et Igor lui prend le poignet dans sa gueule, il sait, il sait qu’elle va défaillir….

Et... cette jeune fille... d'où vient-elle ? Pourtant, il me semblait que ta mère avait assez de domestiques.Dans un brouillard elle entend les dernières paroles prononcées perfidement par Isabella.

Sous l’affront son sang noir de gitane bondit dans ses veines, son regard devient aussi glacial qu’un torrent de montagne. Elle enfourche Terra, serre plus fort dans sa main la cravache de cuir.
Un appel sec « Parancsnok ! ( Capitaine) »
Happé par les deux femmes, Rodrigo se retourne pour la voir, fière, étriers aux pieds, ses cheveux fous entourant son visage d’un halo de lumière. Glaciale et lumineuse, elle se rapproche du groupe, un regard de dédain posé sur lui » Sais tu au moins ce que tu veux ? Parancnock ? »
Elle détourne la tête vers Dona Philippa, un sourire irrésistible » Senhorra, j’ose espérrrer que le retour de votrre fils rendrrra la santé au Seigneurr Joachim. »

Puis se rapprochant encore à toucher de ses bottes Isabella, ses yeux plantés dans les siens.
Chez nous Senhorrita, malgré votre fortune, mais par votre manque d’ éducation, et votrre ignorrance des lois de l’hospitalité,vous n’arriverrriez pas à la hauteurr de la cheville de n’imporrte quel domestique !

Son regard se porte alors sur Rodrigo
Capitan ! Il faut savoirr choisirr, tu as deux jourrrs, je reviendrrai dans deux jourrrs.

Pour la première fois elle éperonne Terra, qui se cabre, et ils s’éloignent sur le chemin soulevant derrière eux un nuage de poussière. Curieux équipage que cette jeune femme, accompagnée d’un grand chien noir et d’un petit singe, qui se dirige vers la ville la plus proche.


Rodrigo


Le voilà mal embarqué. Comme d’habitude, il se dégonfle comme un soufflé au fromage devant le regard de sa mère. Non, il n’a jamais été un fils révolté ou contrariant, en aucune circonstance. L’enfant gâté ne deviendra jamais un rebelle. Sa volonté s’effiloche un fois de plus. Et ses piètres explications n’ont pas été bien transparentes quant à la présence de Malika à ses côtés. Ni très franches, ce qui n’est pas en son honneur. Elles laissent la porte ouverte à toutes les interprétations. Et même si Isabella, au fond d’elle, a sans doute tout compris, elle ne se laisse pas déstabiliser. Elle se précipite dans la faille. Elle va s’accrocher bec et ongles à son Rodrigo, et à tous les projets d’avenir qu’elle a bâtis autour de leur union future.

Le baiser qu’elle lui donne le prend au dépourvu. Et déjà elle l’entraîne vers la demeure, le laissant pantois.

Quoi qu’il en soit, la situation se complique et risque même de s’envenimer. Il connaît très bien les caractères impulsifs et fiers de sa promise de toujours et de l’adorable gitane dont il est tombé sous le charme, comme ça, de manière totalement inattendue, alors que son propre destin semblait tracé comme une route rectiligne et sans obstacles.

La remarque perfide d’Isabella, prononcée volontairement pour que tout le monde puisse l’entendre, ne pouvait laisser la belle gitane sans réaction. Bien sûr, Malika n’apparaît pas à son avantage pour l’instant, et la gracieuse portugaise aux vêtements raffinés considère sans nul doute cette rivale inattendue comme une simple mendigote, comme une gueuse en guenilles. Oui, c’est exact, elle est couverte de poussière, depuis ses longues boucles blondes jusqu’à la pointe de ses bottes, sales et usagées. Mais elle n’est pas une moins que rien, et les mots de l’élégante et riche Isabella la mettent en rogne. Et toc. La réplique fuse comme ces éclairs qui déchirent le ciel. Aussitôt les doigts de sa promise se crispent sur son bras. Elle non plus n’apprécie pas d’être rabaissée au niveau d’une servante, ou plus bas encore. Les yeux des deux jeunes femmes s’enflamment. L’affrontement verbal semble inévitable.

Mais Malika, imprévisible, en décide soudain autrement. C’est à lui qu’elle s’adresse à présent. Deux jours. Elle va disparaître deux jours. C’est le délai qu’elle lui concède pour prendre une décision. Deux jours et rien de plus. Rodrigo est atterré par cet ultimatum. Il retrouvait un zeste de courage, et là voilà qui s’en va pour une destination inconnue. Où diable peut-elle aller ? Elle ne connaît personne dans ce pays. Il en reste muet, le bel officier. Oui, il s’est comporté comme un pleutre, et il le regrette. Mais là, tout au fond de ses entrailles, il n’a pas changé d’avis. Il espère que sa gitane va revenir bien plus vite que ça, et qu’il regagnera sa confiance, s’il l’a perdue. Il a tout gâché par sa seule faute, et son cœur saigne d’une immense douleur silencieuse.

Capitaine ! Ce surnom qu’elle lui donne n’est pas fait pour le rassurer, hélas. Elle ne l’utilise que lorsqu’elle est en colère.

Impuissant, il la regarde s’éloigner, esquissant malgré tout un geste dans sa direction pour la retenir. Geste bien dérisoire. Au galop, Malika disparaît déjà sur le chemin qui serpente à travers les champs, soulevant un épais nuage de poussière grise qui retombe lentement.

Muette jusque là, sa mère parle enfin. Elle va droit à l’essentiel. Cette fille peut revenir ou pas, ça n’a pas d’importance. Elle n’est pas la bienvenue. Elle n’est qu’une quantité négligeable. Une péripétie. Ils n’ont rien en commun. Et dona Philippa invite Isabella et Rodrigo à la suivre dans l’hacienda, plus précisément dans la chambre de son époux. C’est bien pour prendre de ses nouvelles que son fils est revenu, non ? Et ce n’est pas une aventurière surgie d’on ne sait où qui va contrarier ses plans.

Elle entrouvre silencieusement la porte de la chambre où son mari Joachim se repose. Mais Arminho, convalescent, dort profondément. Son souffle est puissant et régulier. Inutile de le déranger. Quelques heures de sommeil supplémentaires ne pourront que lui faire le plus grand bien, et hâter sa guérison. Le trio gagne les cuisines pour y prendre un rafraîchissement. Mais Rodrigo a les idées ailleurs. Même s’il essaie tant bien que mal de participer à la conversation, un peu laborieuse, seul son corps est présent.


Inès


Fidèle à ses bonnes habitudes, qui consistent à vouloir tout connaître, tout voir, tout entendre, Inès observait, depuis la fenêtre de sa chambre, les flâneries de sa jeune maîtresse et de dona Philippa entre les parterres en fleurs, et leur amicale conversation. Ces deux-là s’entendent à merveille, cela saute aux yeux, leur estime et leur complicité sont évidentes.

Inès sourit. Elle est en adoration pour l’altière dona Isabella. Les moindres confidences de sa part la réjouissent, l’honorent. Elle vit à travers elle. Elle partage ses émotions. Elle a le sentiment d’appartenir à son monde, à sa noblesse, d’être une personne importante parmi les représentants d'une classe sociale privilégiée, d’être bien plus qu’une modeste dame de compagnie comme il en existe dans toutes les familles bourgeoises.

Elle tend l’oreille lorsque les deux dames passent sous sa fenêtre, qu’elle a discrètement entrouverte. Elle ne distingue, hélas, aucun des petits secrets chuchotés en catimini. Seul le prénom de Rodrigo lui parvient, répété maintes fois, ce qui ne la surprend nullement.

Soudain, dans la cour, les deux bourgeoises s’immobilisent, fixant des yeux l’entrée du domaine. Deux cavaliers approchent, précédés d’un chien. Ah, un peu d’animation dans la tranquille hacienda baignée de soleil. Inès aperçoit enfin leurs traits. Voilà donc le retour du fils tant attendu, du fiancé tant désiré. Le beau Rodrigo. Mais … mais il est accompagné d’une jeune beauté blonde qu’il couve des yeux. Ce regard ne trompe pas Inès, femme d’expérience, d’une immense sagesse, et d’un jugement sans faille. Elle se penche pour ne rien perdre de la scène, dissimulée derrière une magnifique glycine en fleurs épousant étroitement le mur.

Et le ton monte entre dona Isabella et cette fille plutôt jolie mais sans aucune classe et mal fagotée. Cet empoté de Rodrigo semble mal à l’aise. Bon dieu ! Que nous a t’il ramené là ? Pas une catin française, quand même ? Il n’oserait pas. Inès enrage de n’entendre que quelques mots prononcés avec plus d’animosité.

Tiens ! Voici que l’inconnue talonne son cheval et s’éloigne sans tourner la tête. Personne ne la suit. Lui aurait-on promis quelques écus pour qu’elle disparaisse ? Que le diable l’emporte, cette donzelle ! Qu’elle aille donc exercer ses talents ailleurs. Et si jamais elle revient dans le but de ruiner les projets de mariage de dona Isabella, elle comptera en Inès une adversaire de taille, qui ne lui fera aucun cadeau.

Malika

Les yeux noyés, le souffle coupé, Malika se laisse porter par Terra. Elle ne voit ni les sombres forêts de chênes, ni les champs de vignes aux vertes feuilles naissantes, riches de futures récoltes, ni la chaleur du soleil, maintenant au zénith, qui cependant ne la réchauffe pas.

Elle suit la berge d’un rio. En longeant son cours il l’amènera bien jusqu'à la mer. Elle arrive enfin aux portes de la ville qui étale sa richesse, ses somptueuses maisons portant blason, ses promeneurs richement parés, qui détournent le regard sur son passage.

Ralentissant le pas de Terra, elle traverse des ruelles qui sentent bon la vie, des étals de fruits colorés, de légumes frais cueillis. Du coin de l’œil, elle voit Rolio se servir sans attirer l’attention des maraîchers, un fruit dans chaque main. Elle ne s’inquiète pas, il la rejoindra plus tard et plus loin.
Des échoppes de tisserands attirent son regard. Au travers des vitraux on y voit de beaux atours, des châles, des robes, des pourpoints. Plus loin une boulangerie fleure le bon pain frais. Elle s’y arrête un instant pour acheter une miche à la croute dorée et craquante, elle la partagera avec Igor.
Plusieurs tavernes bruyantes. Des maisons de prêts tenues par des usuriers vénitiens. L’influence maure se fait sentir. Il y a de beaux jardins, des fontaines rafraîchissantes. Au détour d’une venelle elle découvre un Hammam tenu par une matrone sans âge, assise devant sa porte.

Sa monture boite, elle ne l’a pas ménagé son bon vieux Terra, la route a été longue et sans repos. Ils arrivent sur une plage, et, d’un pas tranquille, ils atteignent les bords de l’océan, où les vagues vont et viennent dans un doux murmure, déposant une écume mousseuse vite avalée par le sable blanc .
Sautant à terre, elle desselle Terra, le bouchonne avec une brassée d’algues sèches. Il peut rester libre, elle n’a qu’à l’appeler pour qu’il revienne. Igor fait le fou avec une branche de bois blanchie par les vagues et le sel, Rolio arrive avec ses fruits chapardés.
Elle s’assied au pied d’une dune, les pieds dans le sable et les jambes au soleil. Elle savoure cet instant de bonheur. Rodrigo .... Devant ses yeux, l’image de Rodrigo et d’Isabella se matérialise, une douleur foudroyante la traverse, elle laisse libre court au torrent de larmes qu’elle ne peut plus endiguer.

Il faut qu’elle réfléchisse, deux jours c’est long et c’est court. Heureusement elle n’est pas sans argent, elle farfouille dans le sac de cuir, et sa jupe fleurie est bien là, avec dans l’ourlet les pièces d’or, d’argent et quelques pierres fines. Il y en a bien assez pour faire quelques achats et lui rendre allure humaine.
Perdue dans ses pensées, les heures passent, il faut qu’elle trouve un abri pour la nuit. Elle est méfiante, les tavernes ne sont pas faites pour une jeune femme, les moniales du couvent la regarderaient de travers . « Le hammam, oui, bien sûr, le hammam ». D’abord elle en a grandement besoin, ensuite connaissant l’hospitalité Maure elle y sera sûrement en sécurité. Elle reprend donc le chemin de la ville.

Malika arrive devant la porte de bois sculptée, quelques coups tapés, la vieille femme vient ouvrir, et lui adresse un grand sourire édenté.
« Salam jaddatoun (Bonjour grand-mère), je suis Malika, fille de Bachir El Mahassine El Kabir »
La vieille femme ouvre grands ses bras, serre la jeune fille sur sa poitrine. « Halama ebnati adkhala fi a’manzil » (Bienvenue ma fille entre dans ma maison ).Tu as faim ? Viens te désaltérer, viens prendre un bain.Ma maison est ta maison, entre petite reine. Je m'appelle Fatima.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyLun 20 Avr - 10:09

Isabella


Un nuage de poussière se lève sous les nez des bourgeoises et du marin, la gitane blonde filant au galop en direction du centre de la ville.
Qu'elle s'y perde, cette garce, et qu'elle ne revienne plus jamais mettre ses pieds sales dans ce domaine ou je m'occupe personnellement de son cas, se jure intérieurement Isabella tout en serrant le bras de Rodrigo qui hésite visiblement à la retenir.

Une fois réunis tous les trois, entre famille -enfin!-, la jolie héritière des Gonzales d'Almirante se remet à respirer normalement, relâchant la pression sur l'avant-bras de Rodrigo, se rendant compte que ses ongles s'étaient plantés dans sa chair.
Son visage reprend une expression normale, celle d'une jeune femme heureuse de voir son époux promis en compagnie de sa belle famille. Le regard haineux envers Malika lorsqu'elle lui avait répondu s'est transformé en des yeux de chat, doux et pétillants, on aurait même cru qu'elle était prête à ronronner en se frottant aux jambes de son maître, son amour.

Un fois sa colère redescendue dans le fin fond de sa gorge, elle commence à parler sur un ton assez surpris, tout en suivant doña Philippa, qui les emmène dans la chambre de Joachim, son mari convalescent.

Eh bien, quel caractère ! Vous avez vu comment elle a osé m'insulter ? Elle ne perd rien pour attendre, cette moins que rien. C'est tout toi ça, mon beau Rodrigo. Tu ramènes toujours des souvenirs de tes voyages mais j'avoue que cette fois, tu t'es légèrement trompé sur le cadeau ! Si elle se comporte comme ça dans la ville, elle peut très vite avoir un procès pour trouble à l'ordre public...

Le Seigneur de Joao Do Setubal do Minho, sur sa couche de roy, dort tranquillement. Isabella le regarde un moment, essayant d'éprouver la douleur de Rodrigo à ce même instant, en voyant son père, malade, vivant peut être ses derniers jours sur cette magnifique terre...

Enfin, magnifique. Elle l'aurait été encore plus si cette blonde aux cheveux frisés ne serait pas intervenue dans l'histoire. Maintenant, son tendre marin a l'air pensif, à des milliers de distances d'eux. Il ne parle pas, ne bronche pas, ne participe pas aux conversations. Bon sang, se serait-il attaché à cette gitane ?!

Ils descendent dans les cuisines, entre les gloussements des femmes, bientôt rejointes par la mère d'Isabella, et les silences de Rodrigo, qui ne cesse de soupirer.

Tandis que les deux vieilles femmes papotent, la jolie brune fait un signe de l'œil à Philippa puis entraine son fils dans le grand salon, vide et pourtant meublé de riches canapés et de tables, commodes,...
Elle lui adresse un doux sourire, s'assoit, l'invite à faire de même.

Tu t'en rappelle, c'est ici que nous jouions quand nous étions enfants... je me cachais dans la pièce et toi tu devais me retrouver. Qu'est ce que nous avons pu rigoler, tous les deux ! Je... elle se rapproche doucement de lui, ses genoux contre les siens. Moi je m'en rappelle parfaitement. J'y pense tous les jours, à notre amitié, à nos promesses, à nos rires... elle lève la tête, ses lèvres près de son oreille, lui murmure: tous ces mois sans toi ont été un supplice pour moi, quelques jours de plus et je mourrais de désespoir, finit-elle en rapprochant en posant ses lèvres sur sa joue et posant une main sur sa cuisse, puis, dans un souffle, elle dit : je vous aime tellement, Rodrigo don Setubal, tellement... cette fois, elle s'allonge à moitié dessus, passant ses mains autour de son cou et sa bouche à la recherche de celle de son marin mais...

La porte du salon s'ouvre et la voix de doña Philippa retentit, stridente et à la fois joyeuse, alors Isabella repousse Rodrigo, se remet assise correctement, toute affolée.

Les enfants, le dîner est prêt !


Rodrigo


Il se laisse entraîner dans le salon, sans comprendre ce qui lui arrive. Serait-il en train de déposer les armes, déjà ? De faire une croix sur Malika, par facilité, par faiblesse ? Ou bien est-il confiant dans l’épaisseur de sa propre carapace, et persuadé qu’il ne succombera pas à la tentation, ni aux efforts d’Isabella pour le reconquérir ? Toutes ces questions se posent à lui, et il en ignore les réponses.

Il la suit donc, et une énorme vague de nostalgie déferle en lui aussitôt qu’il pénètre dans le salon avec elle. Une pièce vide n’est pas toujours vide, non. Au contraire. Là, il entend leurs éclats de rire qui résonnent, jaillissant des quatre coins du salon. Là, il perçoit les odeurs de ces délicieuses pâtisseries au miel dont ils raffolaient tous les deux. Ici, il distingue le vacarme de leurs courses, de leurs jeux, de leurs poursuites. Et les mots d’Isabella réveillent en lui un cortège de souvenirs heureux. Oui, le revoilà, il a dix ans. Le revoilà, mignon bout de chou obéissant et pacifique, caché derrière le canapé où ils sont assis à présent.

Vive et espiègle, narquoise et turbulente, Isabella pénètre en coup de vent dans le salon. C’est à son tour de retrouver son petit compagnon de jeu. Elle a un an de moins, mais elle est diablement futée. En quelques instants, la mignonne a exploré toutes les cachettes possibles. Il ne reste que le divan, où plutôt l’espace minuscule entre le mur et le divan. Et la fillette rieuse escalade le dossier puis se laisse glisser à côté de son camarade. Voilà, je t’ai trouvé, comme d’habitude. J’ai encore gagné ! C’est à moi maintenant. Rodrigo n’a pas le temps de prononcer deux paroles que déjà Isabella est disparue dans une autre pièce, telle un tourbillon insaisissable.

Fin du flash-back. Une main fine glisse le long de sa jambe. Revoilà l’Isabella conquérante et possessive, lui parlant d’amour avec flamme et passion. Le ramenant ainsi aux interrogations du présent. Elle est presque sur ses genoux, cherchant ses lèvres. Et lui ne sait comment réagir à ce contact qui se veut enjôleur et tendre. Il se sent coupable, il se sent lâche, il se sent sale. Il est conscient qu’il va briser les rêves de sa promise. Mais comment le lui annoncer ? Il recule légèrement son visage, juste assez pour éviter sa bouche, sans heurter son amour-propre, sans la blesser dans ses illusions.

Attends, Isabella, il faut que je te dise que …

Soudain, la porte s’ouvre à la volée, et sa maman apparaît. Un sourire satisfait illumine son regard. Elle ébauche un petit rire complice qui signifie « je vous ai vus, les tourtereaux, et ça me comble de joie ! ». Oui, ses « enfants » partagent le même divan, assis l’un contre l’autre, Isabella manifestant un trouble évident dès son entrée. Aah, quel coquin son Rodrigo, à peine revenu il avait déjà les mains baladeuses. Oui, décidément, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ils pourront bientôt officialiser leur union. Cette maudite aventurière est déjà totalement oubliée.

Isabella et Rodrigo se lèvent, rejoignant leurs mères respectives autour de la table joliment décorée et abondamment garnie. Le pichet de vin rosé passe de mains en mains. Mais la bonne humeur de Rodrigo n’est qu’une façade, à nouveau. Il est urgent de mettre les points sur les i, de donner les explications nécessaires, mais d’abord à la jeune femme, et pas devant tout le monde. Le moment viendra bientôt, après le repas, sans doute, s’il ne tombe pas comme une masse après cette journée épuisante.

Les trois femmes parlent de toilettes, de bijoux, d’une fête en honneur de son retour. Il sourit, il approuve, il hoche la tête. Oui, oui, bonne idée. Mais son esprit n’est pas à la fête. Il écoute à peine. Une vive inquiétude le taraude. Il a les mains moites. Il se maudit de ne pas avoir tenté de suivre sa gitane. Où est-elle en ce moment ? Que sait-elle des dangers qui peuvent la guetter ? Où va t’elle passer la nuit ?


Malika


Enfin, un visage ouvert et amical ,Malika rentre dans la maison au jardin ombragé ,une écurie jouxte le hammam ,Terra et Igor seront aussi à l’abri. La vieille femme la fait asseoir sous un olivier, lui porte quelques pâtisseries parfumées à la fleur d’oranger et un thé à la menthe des plus revigorant.

Petit à petit la gitane se détend, un sourire revient sur son visage encore poussiéreux. Il émane de Fatima une grande bonté, elles commencent à parler, et la vieille est intarissable. Elle connaît de réputation le père de Malika, l’homme qui vivait dans les étoiles, toujours à essayer de comprendre ce qui ce passait dans le ciel, à passer des nuits entières à étudier les cartes des astres.

Les poèmes qu’il écrivait sont toujours lus dans tous les palais d’orient.
Puis cet homme avait quitté l’Andalousie pour suivre une Tsigane à la crinière blonde comme les blés en été, aux yeux transparents comme des lacs de montagne et qui chantait comme un rossignol. Elle avait eu la sagesse de laisser ce grand savant vivre comme il le voulait et pour les choses qu’il aimait. Il avait trouvé auprès d’elle la paix un épanouissement total, la liberté et un immense amour. Il était devenu une légende. « Tout comme toi, petite Reine. Savais-tu que ton prénom, Malika, signifie « petite reine ». D’ailleurs tu ressembles à ta maman, mais ton cœur est celui de ton père »
Son départ de Hongrie, soutenue par sa grand-mère, pour fuir un mariage imposé, son arrivée à Paris à la cour des miracles à la recherche de son cousin qu’elle n’a jamais trouvé .
Cette immense déception de se retrouver dans une ville sale, malodorante, sans air et sans lumière. Comment, pour gagner sa vie, elle chantait dans les tavernes et les bordels, et aussi l’agression qu’elle avait subie de la part de trois soudards ivres.
Puis sa rencontre avec Rodrigo,Officier de marine, un coup de foudre réciproque. Elle l’avait suivi jusqu’ici parce qu’il l’avait voulu ainsi, pour voir son père mourant. Mais……….Mais…… « Voilà grand-mère tu sais tout »

La vieille Fatima la regarde avec une ombre de tristesse.

Ne crains rien ma fille, c’est l’histoire qui s’écrit à l’envers, mais si cet homme t’aime, toute les richesses apportées par Dona Isabella Gonzales d’Almirante, ni même sa beauté, ni l’amour qu’elle peut lui porter, ne pèseront bien lourd face à toi, petite Reine.

Après un long silence. « Si c’est l’inverse, tu n’auras rien perdu »

L’imposante Fatima se lève et invite Malika à venir dans la salle humide et chaude du hammam. La jeune gitane descend trois marches et entre dans une piscine d’eau tiède et parfumée, où des pétales de roses flottent à sa surface. L’eau est délicieuse, le bien-être complet. Avec délice elle se laisse couler pour ressortir un peu plus loin en riant, puis Fatima la fait s’allonger sur une table recouverte de mosaïques colorées, commence à recouvrir son corps de terre d’argile, pour poursuivre par de savants massages, lui faisant une peau neuve et douce, l’épilant avec du sucre et du citron mélangés, finissant son travail avec des huiles adoucissantes et parfumées.

Dans une douce béatitude l’esprit de Malika s’envole vers Rodrigo, vers ses bras autour d’elle, ses lèvres douces, ses mains caressantes, les mots qu’il murmure à son oreille…

La voyant partir sur l’autre rive, celle du sommeil, Fatima la sort de son rêve, lui proposant d’aller rejoindre la couche qu’elle a préparée dans l’alcôve de sa maison. Fatima lui porte un dernier gâteau au miel, un bol de thé « Repose toi petite Reine, demain tu auras encore une grosse journée, mais de plaisir cette fois. Nous irons te faire très élégante »

La vieille femme dépose un doux baiser sur son front. Malika se glisse entre les draps frais et doux, épuisée par les émotions, la course folle, et la détente apportée par Fatima, puis elle sombre dans un sommeil profond.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyVen 24 Avr - 20:24

Joachim


Une paupière s’ouvre, puis la deuxième, doucement Joao s’éveille. La journée passée au lit a été salvatrice. Entre réalité et imaginaire, les images et les sons se sont succédés ; difficile de faire la part du réel dans un demi-sommeil.
La somnolence mélange tout ; l’irréel devient notre propre univers.
Notre inconscient submerge notre conscience.
Les désirs, les envies, les phobies, les regrets, les projets s’enchevêtrent pour créer leur propre histoire, ils prennent possession de notre esprit.
Cette réalité alternative devient une deuxième vie ; aussi légitime que la première, elle prend corps et le ressenti est aussi fort que notre vie quotidienne. Le subterfuge du cerveau est puissant et nous nous laissons emporter par son flux continu d’images, de sonorités, de reliefs et de douleurs…

Joaquim lentement se défait de ces rêves et cauchemars qui ont habité son esprit.
Il émerge.

Les paupières se sont ouvertes et Joao s’est éveillé !

Le volcan reprend ses effusions de lave, ses volutes de fumées, ses crachats de poussières.
Une santé de fer l’habite…

Un appétit d’ogre le pousse à aller aux cuisines. Avec la faim qui le tenaille, il se sent prêt à avaler un sanglier tout entier.

D’un pas nonchalant, il contemple les pierres de son château.
Il croise un de ses domestiques qui s’incline et salue son seigneur, ce dernier est surpris de voire le maître lui rendre son bonjour d’un air guilleret.

Au détour d’un long corridor, il aperçoit le régisseur de son domaine tout acquis à la cause d’Arminho. Celui-ci, aussi vieux que son seigneur, avait du servir sous ses ordres pendant ses campagnes de mercenaire, mais nul ne connaissait son passé. Personne n’aurait songé à lui poser la moindre question.
Il accompagnait Joaquim à son retour sur ses terres.
Sous la protection d’Arminho, aucun des habitants du château n’aurait mis en cause la fidélité de ce serviteur aussi malin que costaud. Haut comme un peuplier, fort comme un chêne, ce fidèle des fidèles obéissait à son maitre et lui était dévolu.

Aussitôt la conversation s’engagea entre les deux hommes…

Le géant lui appris que son fils était de retour… qu’il était accompagné d’une magnifique jeune femme… que son fils avait l’air d’être très épris de cette beauté dorée… il lui expliqua comment elle fut accueillie par l’assistance féminine… il répéta toute la scène avec gestes et imitations…
Au fur et à mesure du récit et sans trop savoir pourquoi la colère montait en Arminho…

Tout d’abord elle fut dirigée contre son fils, elle effaçait la joie de son retour… puis sa colère se détourna de son enfant pour se diriger contre Isabella et dona Philippa… une multitude de sentiments, de questions l’assaillaient… Comment son fils avait-il pu trahir sa confiance et ramener une soubrette… il avait trahit ses parents, sa promise…
Puis son incompréhension s’effaça et il se fit protecteur…
Comment pouvait-on s’en prendre à son fils…
Qu’est ce cette mégère et cette pimbêche avaient fait… Humilié son fils en public, expulsée la jeune dulcinée de Rodrigo…

Joao s’était promis de faire le bonheur de son fils, ce serait son ultime cadeau…

Même si son fils n’avait pas respecté ses plans et dieu sait qu’il détestait qu’on remette en cause ses projets. Il se rappela la promesse qu’il s’était faite : le bonheur de son fils…

Comme son fils, Joaquim a sillonné les routes, bourlingué. Il connaît la valeur des rencontres que l’on peut faire sur les chemins et au fil des aventures. C’est dans de telles circonstances que l’on reconnait la valeur des hommes et des femmes que l’on côtoie.
Si Rodrigo s’est amouraché de cette jeune donzelle, alors c’est que son choix est le meilleur.
Les réflexions de Joao défilent à une vitesse folle, elles se contredisent, se croisent, se confirment.
A la fin, il voit clair, il se rangera du côté de son fils…
Il appela son régisseur à la peau mate…

- Alif (ami) sais–tu ou est allée cette « beauté dorée » ?
- Elle est partie en direction de la ville.
- Bien, je te charge te la retrouver et de me la ramener. Bien sur dans la discrétion la plus complète.
VA !

Le gigantesque maure s’exécute, son maître ordonne, il obéit.
Ce qui les unit ne date pas d’hier : les combats, les massacres, les geôles, la faim, les maladies, la gloire, les butins…
Ils ont connu tout ça dans leur jeunesse commune.

Avant de courir l’aventure, il servait un tout autre personnage, là bas en Andalousie, un sage, un poète. Pourtant il n’avait pas hésité à lui dérober quelques biens avant de s’enfuir. Il lui restait un gout amer de cet acte.
Depuis son enfance tout le monde l’appelait Kahdim, un nom qu’il avait voulu effacer… Qui pourrait vouloir porter le nom de Khadim (serviteur)…
Non il partirait vers le nord, vers les richesses, il se ferait un nom. Peut être deviendrait-il pirate ou chef de bande, le plus grand des bandits…

Enfin de compte, il croisa sur la route de la gloire Joaquim, qui le prit sous son aile, lui, le maure gaussé de tous… Sous la protection de Joaquim, il reçut le nom de Sajara (arbre)…
Sa masse imposante, son physique aura finalement choisi son nom. Il en était fier. Sajara le fort, le puissant… Sa compagnie était rassurante dans les batailles. Arminho et Sajara était devenu un binôme invincible.
Puis de fil en aiguille les deux hommes étaient devenus inséparables, Sajara s’était promis de servir le seigneur portugais jusqu’à la mort.


Sajara déambulait dans les rues et ruelles de la ville, posant questions, ratissant le moindre coin, n’oubliant aucune taverne, ni auberge. Las de ne rien trouver, il décida de s’octroyer un moment de détente, il prit la direction du Hammam. Son amie Fatima, le recevrait avec plaisir. Ils deviseront dans leur langue. Le maure lui récitera les poèmes de son ancien maître. Tout cela lui avait mis l’eau à la bouche…
Il frappa à la porte de bois sculptée, une vieille femme vint ouvrir, et lui adressa un grand sourire.

Les deux complices traversèrent un jardin ombragé, passèrent devant une écurie jouxtant le hammam. La vieille femme le fit asseoir sous un olivier, lui apporta quelques pâtisseries parfumées à la fleur d’oranger et un thé à la menthe.

- Comment te portes-tu mon amie ? lança Sajara.
- Très bien…
Sajara bu son thé à la menthe et soupira.
- Que se passe t-il ? s’enquit Fatima.
- Je n’arrive pas à remplir ma mission. C’est peut être la plus importante, la plus noble. Il leva la tête vers le ciel. Et je suis en train d’échouer.
Sans brusquer le vieux régisseur, Fatima, lui demanda de tout lui raconter…



Fatima



Le regard doux et protecteur de Fatima ,se pose sur Malika elle surveille encore durant quelques instants le sommeil de son invitée imprévue.
Emue par ses confidences, touchée par son désarroi. Ecœurée à jamais par la cruauté des hommes, et surtout par celle de ces trois soldats en goguette qui ont pris de force cette jeune enfant blonde. Trop blonde, trop belle …
Dans son pays de sable et de vent, au-delà de la mer, famille et amis se seraient joyeusement chargés de leur couper les attributs, les laissant ensuite mourir dans d’horribles souffrances, abandonnés dans les dunes de sable, le corps déchiqueté par les vautours. Mais est-ce la bonne solution ? La vengeance est un démon impitoyable. N’est-il pas préférable d’oublier ? Ou d’essayer d’oublier ?

Elle se lève en poussant un long soupir. Et murmure : Dors petite Reine, va rejoindre au galop ton bel officier. Tu le trouveras au détour de tes rêves, sur la colline, tendant les bras vers toi … Et demain tu seras la plus belle. D’ailleurs tu l’es déjà. Je ne sais pas si de luxueux vêtements y changeront quelque chose. Si son amour est sincère, ton Rodrigo ne t’en aimera pas davantage. Mais si tu le fais plutôt pour rabattre le caquet de ces nobles dames prétentieuses et malveillantes, tu as mille fois raison. Puissent leur rage et leur colère les étouffer !Al kalba !( les chiennes)

Et Fatima s’en repart grignoter un gâteau au miel et débarrasser la table en chantonnant. L’épuisement et la révolte ont eu raison de la résistance de Malika, mais il est encore tôt. Le jour décline à peine, sa douce clarté s’éteint lentement. C’est bientôt l’heure de méditer et de prier sous l’olivier, dont l’ombre va peu à peu se mélanger aux ténèbres de la nuit.

Soudain, la porte d’entrée résonne de quelques coups discrets, retenus. Une visite ? Un client pour le hammam ? C’est bien tard ! A la vue du visiteur, son visage s’éclaire. Son ami Sajara est toujours le bienvenu pour partager quelques friandises et le thé traditionnel, et surtout pour discuter pendant des heures. Cependant, le visage cuivré de cette force de la nature semble particulièrement soucieux. Sajara est confronté à un douloureux problème, à une mission primordiale, lui confie t’il.
Son ami lève les yeux au ciel, comme si la solution était inscrite entre deux nuages de chaleur, et allait se révéler à lui, comme par magie. Puis il soupire, et il parle, d’une voix vibrante d’émotions mal contenues.


Isabella


La cuisine est immense, brillante, riche, parfaite, impeccable, silencieuse.
Surtout silencieuse et partagée en deux camps invisibles.
A notre droite, il y a les femmes. Clan uni, composé de la fille, de la mère et de la belle-mère. Bourgeoises, coquettes, pestes, et toutes les autres caractéristiques requises pour faire partie de cette classe. Prêtes à tout pour réussir. Prêtes à tout pour avoir ce qu'elles veulent. La plus jeune d'elles, Isabella, l'oiseau aux ailes d'argent, le renard à la fourrure rare, belle et précieuse, c'est la protégée des deux autres doñas. La femme promise, dont chaque homme rêve, dont la réputation atteint les sommets, dont le coeur est épris par un marin déchu.

A notre gauche, le marin en question, le beau Rodrigo, aventurier malheureux à ses heures perdues. Le pauvre, il ne sait plus où se donner la tête ni quoi faire. Trois paires d'yeux fixés sur lui, les oreilles suspendues à ses moindres paroles, prêtes à riposter et contre attaquer.
Bientôt, il est rejoint par son père qui est accueilli par un silence respectueux -comme il se doit pour un guerrier en convalescence, malade et très vieux-. A 2 contre 3 (sans compter la pauvre Inès, qui tend la tête à peine discrètement derrière la porte de la cuisine).

Isabella mâche lentement un morceau de viande, les yeux dans son assiette, toujours aussi gênée par l'intervention de doña Philippa tout à l'heure dans le salon, alors qu'elle était inévitablement en train de grimper sur Rodrigo et essayer ses premières tentatives de séduction. Toutefois, des fois, elle osait lever sa tête pour le regarder en esquissant un sourire, admirant son visage serein, droit et à la fois distant. Sous la table, son pied frôle le sien. Oups alors!

Elle boit une gorgée de vin, repose délicatement le verre.

Alors Rodrigo, raconte nous ton voyage ! Et comment as tu rencontré cette fillette ? Comment s'appelle t-elle déjà ? Ma... Camila ? Makila ? glousse stupidement la bourgeoise, suivie aussitôt par Silvia et Philippa.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyVen 1 Mai - 22:59

Rodrigo


L’apparition de son père lui donne l’occasion de s’arracher aux regards inquisiteurs posés sur lui. Le voici pleinement rassuré, Rodrigo. Le patriarche de la famille est décidément invulnérable. La lame qui viendra à bout de sa carapace n’est pas encore forgée.

Avec délicatesse, avec une douceur inattendue, le jeune officier serre don Joachim entre ses bras. Les deux hommes semblent émus. Rodrigo n’a pas la forte personnalité de son père, du moins pas encore, mais leur estime et leur complicité sont évidentes. Elles sautent aux yeux.

Je suis heureux de te voir sur pied, papa. C’est un réel soulagement pour moi. Je me faisais beaucoup de souci bien que je sache que tu as la peau dure ! Il faudra que tu me racontes tes aventures en détail. Mais en attendant …

Rodrigo lâche les épaules de son père et se rassied à la table, devant une assiette copieusement garnie à laquelle il a à peine touché.

En attendant, c’est à moi de vous retracer mon voyage, mais surtout de vous en révéler les derniers épisodes, qui risquent de vous surprendre et de vous déplaire, je le crains. Mais nul n’est maître de son destin, ni de ses sentiments.

Ce préambule, particulièrement prudent et mystérieux, amène pâleur et interrogation sur les visages qui l’entourent. Oui, Rodrigo est conscient qu’il va provoquer l’indignation et la colère, mais il est résolu à tout dévoiler, quoi qu’il arrive. Il dévisage un instant don Joachim, espérant trouver en lui de la compréhension, de l’indulgence. Espérant trouver en lui un allié. Il en aura bien besoin. Puis il poursuit son monologue, fixant son verre de vin qu’il fait tourner distraitement entre ses doigts, sans le voir vraiment. Il poursuit, oui, se retenant de réagir à la boutade d’Isabella qui estropie volontairement le prénom de sa gitane. Inutile de lui chercher noise, se dit-il, la querelle viendra suffisamment tôt. Il est des promesses et des arrangements qu'on n'efface pas ainsi, du revers de la main.

Voilà. Je vous passe ma blessure et les soins que j’ai reçus. A la fin de ma convalescence, je me suis beaucoup promené dans les ruelles de Paris, pour tuer le temps. Aussi bien dans les quartiers luxueux que dans les recoins les plus misérables. J’y ai croisé quelques marins de ma connaissance, et j’ai passé du temps en leur compagnie. Un beau jour, cependant, ils n’étaient point à notre rendez-vous. C’est ainsi que …

Un instant d’intense réflexion. Inutile d’évoquer la cour des miracles, ses mendiants et ses voyous. Laissons plutôt régner le flou sur certains détails. Rodrigo triture nerveusement un coin de la nappe blanche. Bah, allons-y, il n’y a pas mille manières de présenter la chose. Et puis, bon dieu, arrête de prendre cet air coupable. Sois calme, sois digne, mais surtout sois ferme !

C’est ainsi que la jeune personne qui m’accompagnait tout à l’heure, mais que vos sarcasmes ont fait fuir, est entrée dans ma vie. Et son prénom est Malika ! Oui, Malika, retenez le bien ! Et non elle n’est pas de haute noblesse, même si son père est quelqu’un d’important ! Et non elle n’est pas fortunée ! Mais, sachez le, c’est elle que j’ai choisie …

Sans s’en rendre compte, Rodrigo s’est redressé. Son ton est sans réplique. Sa voix est décidée. A cet instant, il est bien le fils de son père. Le jeune homme dévisage les personnes assises autour de lui, attendant les larmes ou la tempête. Ou la résignation générale. Mais il ne croit guère en cette dernière possibilité.


dona Philippa


C’est une véritable catastrophe ! Dona Philippa est pétrifiée par les derniers mots de son fils. Le voilà donc amoureux de cette aventurière sans le sou et mal fagotée ! Comment est-ce possible ? On peut dire que cette créature de Satan a habilement tissé sa toile. Elle n’a pas perdu de temps pour envoûter son Rodrigo, et ce nigaud n’y a vu que du feu. Il est tombé pieds et poings liés dans le piège grossier tendu par cette intrigante ambitieuse .

Non ! Foi de Philippa, cette maudite gitane n’arrivera pas à ses fins. Elle ne mettra pas en péril son beau projet, patiemment élaboré, de réunir les propriétés des familles do Setubal et Gonzales d’Almirante par un mariage de leurs enfants. D’ailleurs l’héritière de leurs voisins sera l’épouse parfaite. N’est-elle pas l’amie, la complice de toujours, et sans doute déjà l’amante ? Cette union des enfants et des domaines sera la conclusion idéale de cette histoire.

Dona Philippa adresse un regard noir à son fils. Elle enrage. Elle va lui jeter au visage que …

Non ! Elle est sage et cultivée. Elle a parfaitement compris que Rodrigo va s’accrocher à son caprice. Ce voyage l’a formé. Il a mûri. Avant cela, jamais il ne se serait ainsi rebellé. Ses propos et ses attitudes sont désormais ceux d’un adulte, indépendant et obstiné.

Non ! Elle va prendre patience, se taire et agir dans l’ombre. Si cette « moins que rien » est de retour dans deux jours, comme elle l’a affirmé, Philippa trouvera bien un moyen de l’éloigner définitivement. En lui offrant par exemple quelques poignées d’écus, de la même manière qu’on lance quelques poignées de maïs aux poules de la basse-cour. Ou même en utilisant des procédés beaucoup plus expéditifs, si cela s’avère indispensable. Elle a rendu suffisamment de services autour d’elle pour escompter obtenir en retour l’aide précieuse de quelques individus décidés.

Elle se tourne vers Isabella, visiblement stupéfaite au point d’en rester muette. Comment sa future bru va t’elle réagir dans les secondes qui suivent ?


Joachim


Arminho, surpris toute l’assemblée en arrivant dans la pièce. Il vit son fils ; se planta devant lui ; et le serra dans ses bras.
Une étrange émotion l’envahit…
La filiation suscite des sentiments très forts que l’on croit à tort enfouis. Ils ressurgissent à chaque péripétie de l’existence.
Revoir son fils émeut profondément le vieillard querelleur.

Sans jeter le moindre coup d’œil aux grandes dames estomaquées par tant de manque de savoir vivre, il embrasse son fils.

A ce moment, seuls le père et le fils ressentent le lien profond qui les unisse.
Sous le coup de l’émotion le vieux lion s’est fait chaton. Aucune parole ne peut plus sortir de son gosier.

Calmement, il salue les dames d’une révérence respectueuse.

Mais, déjà, Rodrigo prend la parole et expose une partie de son voyage.


Après ce récit, Joao sent à nouveau le sang circuler dans ses veines, le battement revient à ses tempes. Le rythme lent et régulier du flot de sang commence à rasséréner le briscard.
Il reprend ses esprits…


- Mon fils comme je suis heureux de te revoir. Je respecte ta décision, mais une chose comme celle-ci ne se prend pas à la légère.

Tranquillement, il se tourna vers les dames installées autour de la table.

- Mesdames, je vais devoir parler à mon fils. Le genre de discussion qui ne se déroule qu’entre un père et son fils.

Personne n’avait osé contrarier le maître des lieux.

Et bien que Joaquim remarqua la sombre mine de sa femme, il ne lui fit aucune remarque.
Au contraire, il se sentit de nouveau imprégnée de cette hargne qui le caractérisait.

- Ah mesdames ! Quelle joie de retrouver mon fils !
Comme son père il a le sang chaud et comme chaque étalon de la famille, il honore chaque contrée.

Après un rire gras, il reprit :
- Laissons de côté nos divergences.

Avec son plus grand sourire, il s’adresse à dame Silvia :
- Alors ma chère voisine, votre pleutre de seigneur et maître n’est point venu…

Et se tournant vers Isabella, il continue son numéro,
- Heureusement que sa fille n’a pas hérité de sa couardise.
Prenant avec délicatesse la main de la jeune fille, il déposa dans les règles de l’art un baiser respectueux.
Avec solennité et paternalisme, il lui demanda comment elle allait ? Si elle avait fait bon voyage…
Malgré les récents évènements, un lien presque filial existait entre ces deux là. La question était de savoir si ce lien n’allait pas se désagréger.
Joaquim avait sauvé la vie et l’honneur de la jeune noble au péril de sa vie. Il avait le plus grand respect pour la sublime Isabella.


Dame Philippa, gênée, n’eut aucune réaction face au comportement de Joaquim. Elle connaissait bien ce rustre. Jeune, elle avait été séduite par ces manières.
L’événement ne choqua pas outre mesure. Tout le monde dans la région connaissait le caractère indocile d’Arminho. Ce bâtard de roi était craint dans toute la région, plus personne ne s’offusquait de son âpre « politesse ». Dame Silvia vexée n’osa se fendre d’une remarque, elle rongea son frein, et maudit cet Arminho de malheur et son mari, trop lâche pour affronter ce voisin effronté.


- Veuillez-nous excuser gentes dames et charmante damoiselle, je dois parler à mon gredin de fils.

Après avoir salué ces dames, Joaquim ordonna à son fils de le suivre.

Une courbette de circonstance mi-respectueuse mi-malicieuse vint conclure l’apparition du châtelain.

Dans le couloir, un rictus aux lèvres, il prit Rodrigo par l’épaule :

- Maintenant que je t’ai arraché aux griffes de ta mère et de toutes ces pestes, on va parler entre hommes. Tu as beaucoup de choses à me raconter.
Et surtout n’omet rien !
Je crois, mon petit père, que tu vas avoir besoin d’un sacré coup de main !
Je vois que ton joli minois a fait des ravages à l’étranger. J’aimerai vivement que tu me présente ta dulcinée… et je crois que tu vas le faire plus tôt que prévu…


Rodrigo


Une rapide courbette à gauche, une demi-courbette à droite, et Rodrigo s’empresse d’emboîter le pas à son père. L’humour et les premières considérations de Joachim ramènent l’ombre d’un sourire sur le visage soucieux du jeune officier. C’est vrai qu’il s’est un peu emporté à la fin de son récit, lorsqu’il a expliqué très clairement sa volte-face inattendue et la passion soudaine et violente qu’il éprouve pour Malika. Ah non, il ne supportera pas qu’on se moque de sa gitane, qu’on se le dise !

Cette sortie précipitée à la suite d’Arminho va sans doute permettre aux deux mamans et à Isabella de s’indigner encore davantage. Mais soit, le soutien de son père lui semble acquis et c’est cela l’essentiel.

Rodrigo l’écoute en hochant la tête, mais soudain il sursaute en entendant les derniers mots ! Comment ça ? La lui présenter plus vite que prévu ? Non, c’est impossible ! Sa belle ne doit pas revenir avant deux jours, ce qui est diablement long. Joachim disposerait-il déjà de certaines informations alors qu’il n’a même pas croisé Malika dans l’hacienda ? Le seigneur de Setubal a beau avoir le bras long et de nombreuses relations, ça lui semble difficilement envisageable qu’il puisse retrouver la trace de sa bien-aimée en un délai si court.

Le jeune marin fixe son interlocuteur d’un air interrogateur. Un espoir fou vient de naître en lui. Mais non, Arminho reste mystérieux, et se contente d’attendre son récit complet. Bon. Pas le choix, alors. Rodrigo se lance.

Voilà. Malika est une jeune bohémienne qui recherchait un cousin à la cour des miracles. Pour subsister, elle dansait et chantait dans les rues, ramassant ainsi quelques écus de temps en temps. Entre nous, le singe qui ne la quitte pas a des talents cachés. Personne n’est plus habile que lui pour soustraire quelques bourses rebondies aux bourgeois qui s’encanaillent dans les quartiers louches, ou simplement quelques fruits aux étals des commerçants.

Cette confidence amène un petit sourire sur les lèvres de Joachim. Cette façon de se débrouiller semble l’amuser beaucoup.

Tout ce que je vais te raconter à présent est confidentiel. Je sais que je peux te faire une confiance absolue. Un soir, Malika a été agressée par trois soudards ivres. C’était peu de temps avant que je ne la rencontre. Elle en conservait un profond dégoût des hommes, et surtout une vive appréhension à leur approche. Une terrible angoisse à l’idée du moindre contact physique. Mais j’étais incroyablement attiré par elle, et j’ai réussi à vaincre ses inquiétudes, à déjouer ses répulsions.

Il secoue la tête en signe de réflexion. Déjouer … Le mot est très mal choisi. Il ne s’agit pas d’un jeu. Rodrigo est bien résolu à tout mettre en œuvre pour retrouver ces trois canailles, même si Malika dispose de peu d’indices. Mais pour cela il leur faudra retourner à Paris et remuer ciel et terre. Cela va prendre du temps. Il leur faudra de l’aide. Rodrigo hésite un instant puis confie ce dangereux projet à son père.

Voilà, tu sais tout à présent. A la réception de ta lettre, nous nous sommes empressés de revenir à l’hacienda. Le voyage a été très éprouvant, d’ailleurs. Tout particulièrement la traversée des Pyrénées. Nous avons eu de la chance de rencontrer un vieux paysan qui nous a gentiment aidés, sinon nous ne serions pas encore là. Je pense même que je vais aller me coucher, après une courte prière. Demain j’aurai une explication plus complète avec Isabella. J’espère qu’elle ne se fait plus d’illusions, et j’espère qu’elle me comprendra.

Après une longue accolade avec Joachim, Rodrigo contourne la maison et va se recueillir sur un banc de la petite chapelle. Enfin seul, il peut réfléchir aux derniers événements de cette journée épuisante.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyVen 15 Mai - 23:41

Isabella


Mais ?? Mais que fait-il ? A t-il attrapé une de ces épidémies qui vous retournent la tête lors de son séjour dans le royaume de France ? Non, il n'a visiblement pas de fièvre et ne manifeste aucun signe de maladie. Il est totalement sobre, presque en colère, et pourtant dans ses pupilles se lit une pointe de malice et de fierté lorsqu'il rétorque haut et fort que c'est cette gitane blonde qu'il a choisi, au lieu d'elle, la magnifique et grande Isabella, fille héritière des Gonzales d'Almirante !

L'incompréhension se lit également dans les regards des deux autres femmes, plus particulièrement doña Philippa, qui ne peut éviter de lancer des regards noirs à son fils et à son mari, le don Joaquim, particulièrement d'humeur taquine après sa longue sieste. Il semble même content de Rodrigo, approuvant en silence ses dires aussi indignes soient-ils pour sa mère !

Le repas se termine alors sans les deux hommes. Les trois femmes, encore sous le choc de la prestation du diné, n'osèrent guère lever la tête, chacune ayant peur de laisser éclater la boule de nerf coincée dans leur gorge. Pourtant, leurs pensées se rejoignaient. Rodrigo a été envoûté par cette misérable qui a sûrement du user de ses potions aux plantes maléfiques pour parvenir à ses fins. Et cette garce à réussi ! Qu'est ce qu'il est devenu ? Il ose maintenant se rebeller envers sa mère. Faire une scène à table. Bon dieu, et si c'était le diable en personne qui avait pris possession de lui ?

Isabella boit une dernière gorgée de vin pour rafraîchir son gosier. Sa tête tourne, sa vision se brouille lentement. Encore une gorgée, pour la tête. Puis encore une autre, pour voir mieux. Et encore une. Et encore. Et...
Sa mère pose la main sur la bouteille que la jeune fille commence à agripper des deux mains en tentant bien que mal de remplir son verre.

Il ne veut plus de moi... vous avez bien vu, non ? Alors j'ai...

Mais, voyant le regard sévère des deux vieilles femmes, elle laisse tomber. Noyer ses problèmes dans l'alcool, c'est n'importe quoi. C'est pour les paysans, pour les moins que rien, pour les gitans comme cette Malika ! Elle, elle va se débrouiller pour reconquérir son marin, son amour de toujours, son âme sœur. Lui ouvrir les yeux pour lui montrer qu'au fond, c'est elle qu'il l'aime, qu'il a juste un caprice, une envie de voir ailleurs, d'essayer autre chose... de toute façon, il n'ira pas bien loin avec cette gamine des champs. Jamais il ne sera riche. Jamais il ne sera respecté.

Je dois prendre l'air...

Elle se lève de table en posant sa main sur son front... bouillant. Et oui, elle tient difficilement l'alcool la p'tite.
D'une démarche peu rassurée, elle sort de la cuisine, traverse les couloirs en accélérant le pas, et lorsqu'enfin elle se trouve à l'extérieur, elle prend une grande et longue inspiration, retrouvant aussitôt les idées claires.
Regagnant de la lucidité, elle fait le tour de la vaste demeure, savourant l'odeur des fleurs du jardin soigneusement entretenu, les cheveux dans le vent telle une princesse perdue à la recherche de son prince charmant...
En parlant du prince, la voilà qui passe devant la petite chapelle et voit Rodrigo, assis, la tête penchée, sur un banc par une petite fenêtre. Elle retrouve le sourire, comme d'habitude, adoucie par cette image de son aimé, il a l'air si vulnérable, tout le contraire de tout à l'heure...

A pas de loup -pourtant pas très discrètement, à cause des quelques grammes d'alcool dans le sang-, elle rentre dans le lieu saint, traverse la nef et s'assoit à ses côtés. Ne voulant le perturber dans ses prières, elle murmure à voix basse, le regard fixé sur l'autel :

J'avoue que j'ai été surprise par tes paroles, à table. Très surprise et même que...

Elle se tait. Non, pourquoi lui montrer une facette méchante et audacieuse d'elle ? Non. Elle est bien plus intelligente que ça.

Mais je comprends très bien ta décision... j'espère toutefois que ça ne gâchera pas notre amitié, car tu comptes énormément pour moi.

Elle ose un petit regard sur lui. Ohhh... qu'est ce qu'il est beau !
Le voilà qui la dévisage de ses petits yeux marrons. Ohhh...
Elle pose un baiser sur sa joue, ne tenant pas tout ses lèvres. On va mettre ça sur le compte du vin et du fait qu'elle ne peut plus très bien maîtriser ses gestes. Et peut être aussi ses paroles.

J'aimerai beaucoup que tu me parles de cette jeune fille... je me suis mal comportée à son arrivée. Si elle compte à tes yeux, c'est que ce n'est pas n'importe qui !

Bien sûr que si.


Rodrigo


La porte de la chapelle s’entrouvre un court instant, en grinçant légèrement, déchirant le silence lourd et quasi monacal, troublant le recueillement et les pensées de Rodrigo. Quelqu’un s’approche d’un pas hésitant. Il tourne la tête : Isabella ! La jeune femme qui était encore sa promise, quelques minutes auparavant, l’a donc suivi dans ce vieux sanctuaire que sa famille entretient depuis des générations.

Les premiers mots d’Isabella laissent présager le pire. Ce n’est pourtant pas l’endroit le plus approprié pour des éclats de voix, a t’il le temps de penser ! Mais s’il le faut, il répondra présent, même si l’agressivité n’est pas dans sa nature.

Isabella s’en rend-elle compte, ou bien a t’elle d’autres raisons ? De manière inattendue, son ton s’est adouci instantanément. La riche héritière lui parle posément, affectueusement. Oui, elle désire garder son amitié précieuse. Oui, elle veut tout savoir à propos de Malika et de leur rencontre.

Mouais … Rodrigo est conscient de la rouerie des femmes. Il connaît par cœur la jeune portugaise, elle n’échappe pas à la règle. Elle n’est pas différente des autres, au contraire. Son rang , son éducation et sa beauté lui permettent souvent d’atteindre les buts qu’elle se fixe.

Il la dévisage longuement avant de lui répondre, plongeant son regard dans ses yeux sombres. Que dissimulent-ils ? Ruse et fourberie ? Désir de vengeance ? Ou bien sont-ils francs et sincères, tels qu’ils veulent apparaître ? Ces phrases amicales sont-elles destinées à l’amadouer, voire même à le reconquérir ? Cela fait beaucoup de questions pour le jeune officier fatigué par sa longue chevauchée, diminué par sa blessure récemment réouverte, même si sa gitane l’a soigné de son mieux, avec énormément de tendresse. Pour toutes ces raisons, en cet instant précis, Rodrigo se sent incapable de voir clair dans le comportement d’Isabella. Mais puisqu’elle reste calme et sereine, et ne lui adresse aucun reproche, il peut sans doute lui laisser le bénéfice du doute. Oui, il va satisfaire sa curiosité au sujet de Malika, tout en taisant les aspects trop intimes, trop personnels. Il n’y croit guère, mais pourquoi ne deviendraient-elles pas des amies, plus tard, lorsqu’il aura épousé sa douce gitane ?

Vois-tu Isabella, Malika n’a pas la chance d’appartenir à notre monde, tu l’auras remarqué. Mais elle a d’énormes qualités que tu découvriras peu à peu si tu t’en donnes la peine. Elle n’est pas intéressée par la fortune, par le pouvoir. Je suis certain que notre amour est sincère, et le seigneur, là-haut, vient de me rassurer. Je sais qu’elle reviendra dans deux jours comme elle l’a promis. Elle est issue d’un peuple craint et souvent pourchassé, un peuple de parias, mais elle n’a qu’une parole. Puisque tu désires rester mon amie, ce serait gentil de l’accueillir avec plus de chaleur, plus de sympathie. Je pense que tu n’as rien à lui reprocher. Nous nous sommes aimés dès le premier regard, et elle ignorait totalement ton existence.

Il lui sourit. Parler de Malika lui fait du bien. Il a décidé de faire confiance en la race humaine, tout en restant vigilant, cependant, en ce qui concerne Isabella.

Je suis content que tu me comprennes, que tu sois mon amie, et que tu ne veuilles pas m’arracher les yeux. Si tu veux, on en reparlera demain. A présent je vais me coucher, je suis au bout du rouleau.

Rodrigo se lève, embrasse doucement le front d’Isabella, puis quitte la chapelle sur un signe de croix. Quelques instants plus tard, il tombe comme une masse dans son lit de célibataire, qu’il a hâte de partager avec sa tendre Malika.


Inès


Silhouette furtive, constamment à l’affût d’une indiscrétion ou d’une nouvelle stupéfiante, Inès a assisté, sans se montrer, à la conversation dans la salle à manger entre les membres des deux familles voisines, mais aussi et surtout elle a clairement entendu les confidences que ce Rodrigo de malheur a chuchotées à son père, ce vieux grognon d’Arminho. Dissimulée derrière d’épaisses tentures, invisible, retenant son souffle, elle est totalement comblée lorsque les deux hommes se séparent et s’éloignent chacun de leur côté. Oui, comblée, et ce qu’elle a entendu confirme ce qu’elle craignait. Cette maudite gitane n’est donc qu’une fieffée voleuse, en plus d’une « moins que rien » s’exhibant à demi-nue dans les tavernes, et s’offrant à la convoitise des hommes pour quelques écus.

Son viol par des soldats ? Sa soi-disant indifférence pour l’argent et la réussite sociale ? Baratin que tout cela ! Du vent ! Et ces deux nigauds ont tout avalé aussi rapidement qu’un poisson avale un moucheron, se laissant apitoyer par cette aventurière. Rodrigo d’abord, et son père ensuite, ce-dernier se fiant uniquement aux affirmations de son fils. La réputation de ce vieux dur à cuire n’est pourtant pas d’être crédule à ce point !

La dame de compagnie quitte sa cachette, avec la plus grande discrétion, afin de rendre compte à sa jeune maîtresse de ces informations renversantes. Par une fenêtre donnant sur l’arrière de la propriété, elle aperçoit dona Isabella pénétrant dans la chapelle quelques instants après Rodrigo. Adoptant un air nonchalant, elle se dirige dans cette direction, attentive à chaque bruit, à chaque mouvement.

Et le fils de dona Philippa lui apparaît à nouveau, seul et apparemment pressé. D’un bond elle se tapit dans l’ombre naissante pour ne pas être vue, puis, lorsque le jeune homme s’est éloigné, elle s’empresse de pénétrer dans la chapelle. Dona Isabella est en train de méditer, agenouillée sur un banc.

Inès la rejoint d’un pas rapide, et lui expose sans rien omettre tout ce qu’elle vient d’apprendre au sujet de cette gitane, rusée sans doute, mais pas autant qu’elle. Oui, cette Malika n’est qu’une voleuse, une dévergondée. Elle a réussi à émouvoir Rodrigo en imaginant ce viol dont elle aurait été la victime, et l’a attiré dans son lit. Balivernes que cela, c’est évident. Mais que faire à présent de tous ces renseignements, puisque don Joachim et son benêt de fils sont déjà au courant de toute l’histoire ? Ahh, tout serait si simple si cette souillon, cette intrigante, pouvait disparaître dans la nature ! Tout rentrerait dans l’ordre …

Prête à tout, Inès dévisage sa jeune maîtresse, n’osant toutefois pas lui proposer la méthode radicale et expéditive qu’elle a en tête.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyVen 5 Juin - 12:57

Isabella


Le baiser déposé sur le front lisse et doux de Isabella la fait frissonner, de haut en bas, elle en a les cils papillonnants. Les lèvres de Rodrigo sont tellement tendres, expriment tellement de choses pour elle. Alors les avoir posées sur une partie de son corps -que ça soit pour une raison malintentionnée ou non-, la fait planer à cent mille. Même si ce n'est qu'un baiser purement amical et surtout, respectueux, pour la saluer. Rien de plus. Enfin, peut être que si... dans son regard, quelque part au fond de ses pupilles doit bien se trouver une étincelle, celle qui déclencherait un tourbillon de sentiments chez lui et qui lui donnerait un peu de courage pour la demander en mariage... hors, ce n'est pas le cas. Du moins, pas maintenant.

Pourtant, ses doutes et ses fantasmes se dissipent lorsque sa dame de compagnie, la vieille et sage Inès, fait irruption dans la chapelle, juste après le départ du jeune marin.
Sa langue se délie et la voilà qui commence à parler, raconter tout ce qu'elle a entendu et vu, dissimulée derrière des murs, des portes, telle une espionne à l'affut de la moindre information capitale pour sa mission.
Malgré son âge, comparé aux vieux croutons des villages, Inès est encore très en forme, surtout lorsqu'il faut aider sa jeune protégée ainsi que sa famille. Dévouée aux Gonzales d'Almirante, à la vie, à la mort !

Au fil et à mesure des mots qui s'enchainent, prennent sens dans la tête d'Isabella, son visage change d'expression. De la douceur à la colère. Du rose tendre au rouge piment.
Cette mendiante des rues a réussi à charmer SON époux promis avec des balivernes, c'était sûr. Cette histoire de viol, du pipeau. Une simple excuse pour que Rodrigo prenne pitié d'elle, et puis, il devait être tellement épuisé de son voyage qu'il ne s'est même pas rendu compte qu'en quelques secondes seulement elle se trouvait sur sa couche, toute à lui. Comme si elle ne voulait pas de son argent, mais bien sûr! Toutes les femmes disent ça avant de s'emparer des biens de leurs soi-disant "maris". Toutes, sauf Isabella. Elle a déjà tout ce qu'il faut, pas besoin de plus.

Pauvre Rodrigo, il ne mérite pas tout ce mensonge et cette malhonnêteté. Ca fait tellement beaucoup pour lui, pauvre marin, à peine revenu de voyage. Il faut régler tout ça au plus vite, avant que ça ne s'aggrave et que ça n'aille plus loin : laisser une gitane prendre le pouvoir dans la famille des do Setubal.

Lentement, elle se lève du banc, la tête emplie de pensées et de réflexions, les unes plus compliquées que les autres. Il faut l'aider, mais si elle lui en parle elle connait déjà sa réaction. Il veut toujours se débrouiller seul et avoir de l'aide de la part de quelqu'un d'autre ferait sûrement du mal à son égo. Donc, possibilité à rayer.
La deuxième serait celle de demander un éventuel coup de main à doña Philippa. Un sourire machiavélique prend forme sur les lèvres de la jeune femme.

Tout en sortant de la chapelle et en prenant la direction du domaine sous le soleil couchant, Isabella explique brièvement son plan. Voyant la mine réjouie d'Inès, la jeune fille sourit de nouveau. Une fois de plus, elle a une idée de génie.

Une fois à l'intérieur, elles se séparent aux escaliers qui mènent à leurs chambres respectives. Avant de monter, Isabella lui dit : demain, à l'aube, viens dans ma chambre. Tu m'aideras à me préparer, puis nous passerons à l'attaque. Léger clin d'œil et elle entre dans sa chambre, se déshabille puis file sous les draps douillets en baissant les paupières. Le sommeil lui vient facilement, après une telle journée, après tout, ça se comprend...


Le lendemain.

Dépêche-toi Inès! Bon sang, regarde cette mèche! C'est... c'est tellement...

Avant même qu'elle n'ai le temps de pouvoir sortir un de ses jurons favoris de lorsqu'elle est stressée, la gouvernante donne un coup de peigne dans sa tignasse.

Merci, quand même, dit Isabella en soufflant. Un dernier regard dans le miroir. Elle était habillée sobrement, d'une robe rouge en soie qui épousait parfaitement ses courbes, les cheveux lâchés avec une rose rouge attachée grâce à son oreille, un collier avec un pendentif en forme de "I" délicatement posé dans son décolleté, des sandales pratiques pour faire une longue marche.

Tirant à moitié Inès derrière elle, à pas légers, elle avance dans les couloirs jusqu'à arriver devant la chambre de doña Philippa. Certes, cela ne se faisait pas de déranger quelqu'un aussi tôt le matin, mais la cause en valait la peine.

Doucement, elle toque à la porte, recule d'un pas pour être à la hauteur de sa gouvernante. Sa belle-mère ouvre la porte, un livre à la main. Au moins, elle n'est pas dérangée pendant son sommeil ! Elle ouvre la bouche pour les questionner de leur venue de si bonne heure mais les yeux alarmants d'Isabella la font taire.

Il y a urgence, doña Philippa. Elle se tourne vers Inès, qui s'empresse de tout lui raconter, de A à Z. Le comment du pourquoi de cette rencontre avec la gitane blonde. Une fois fini, la jeune héritière des Gonzales d'Almirante pose ses genoux à terre, le regard implorant et légèrement mouillé :

S'il vous plait, aidez-nous ! Nous devons nous débarrasser de cette manipulatrice... elle va tout casser entre moi et votre fils... et notre avenir ? Qu'est ce que nous allons faire ? Nous avions tout prévu, TOUT ! Je ne sais plus quoi faire... je suis perdue...

Elle baisse la tête pour essuyer une larme. Ou du moins quelque chose qui y ressemble.



Dona_philippa



Dona Philippa est émue par le chagrin de la jeune fille. Par son désarroi. Elle laisse parler son cœur, tout en écoutant également ce que lui dicte sa raison. Et, pour une fois, cœur et raison travaillent la main dans la main. Ils ne sont pas en totale opposition, ils agissent en symbiose, ils n’écartèlent pas, comme c’est si souvent le cas dans les délicats problèmes familiaux et dans les histoires sentimentales les plus complexes. Avec beaucoup d’empressement et de familiarité, elle invite donc Isabella à pénétrer dans sa chambre, et sa protégée est suivie comme son ombre par Inès, qui s’est révélée diablement précieuse une fois de plus. La maîtresse de maison prend gentiment la belle héritière entre ses bras, et caresse doucement les longs cheveux qui lui couvrent la nuque. Les sanglots d’Isabella se calment peu à peu, tandis que Philippa réfléchit intensément, gagnée par une sourde colère. Non ! L’heure n’est plus à l’abattement, à la résignation. L’heure est à la ruse, à la détermination.

La maman de Rodrigo indique un fauteuil à Inès, et repousse délicatement Isabella qui s’assied sur un coin du lit, triturant entre ses doigts un mouchoir de soie. Dona Philippa s’installe à ses côtés et lui prend la main. Protectrice, apaisante. Elle hésite un instant à parler devant Inès, mais la dame de compagnie semble totalement dévouée à sa jeune maîtresse. Et puis le temps presse, il faut accorder les violons.

Je suis de ton côté, ma chérie. Bien-sûr. L’apparition de cette aventurière me contrarie au plus haut degré. Tout d’abord parce que je t’apprécie énormément, et que je suis convaincue que tu seras la bru idéale. Mais aussi parce que ce mariage réunira nos deux domaines à tout jamais. Nous en avons déjà beaucoup parlé précédemment. Nous ne pouvons abandonner tous nos beaux projets au profit de cette intrigante surgie de nulle part … même si nous devons pour cela utiliser les grands moyens.

Elle dévisage ses deux interlocutrices, obtenant instantanément leur accord muet. Les voilà solidaires. Les voilà complices.

Je n’irai pas par quatre chemins ! Si cette bohémienne a le culot de revenir à l’hacienda, nous devrons nous débarrasser d’elle. Il y a pour cela plusieurs formules. Je pensais tout d’abord lui proposer une somme rondelette pour qu’elle aille se faire pendre ailleurs, mais le résultat n’est pas garanti. Elle est bien capable d’accepter les écus, puis d’en réclamer toujours plus, ou de continuer à aguicher mon fils malgré tout. Dès lors nous utiliserons une méthode plus radicale. A son retour, nous l’accueillerons cordialement, nous jouerons les résignées, mais, à la première occasion, nous allons l’enlever. A nous trois, je pense que nous y parviendrons sans difficulté. Ce n’est qu’une gamine maigrichonne, après tout.

Un sourire moqueur apparaît sur son visage. Elle a hâte d’y être, c’est évident.

Dans le village voisin, un commerçant ambulant, originaire d’Afrique du Nord, s’occupe de fournir les riches sultans du désert en filles provenant du continent européen. En toute discrétion, bien entendu. Ces filles sont très recherchées pour les harems de ces puissants berbères. Mes sources sont sûres, je connais très bien cet homme et il m’est redevable d’un service. Nous pourrons compter sur lui pour faire disparaître notre victime.

Dona Philippa lève à nouveau les yeux vers ses voisines, qui l’écoutent attentivement en hochant la tête de haut en bas. Isabella a retrouvé son beau sourire. Sa dame de compagnie paraît enchantée par ce plan.

C’est d’accord, nous agissons ainsi ? Pas un mot à quiconque, bien entendu …




Ines




Dieu que les dernières paroles de dona Philippa sont agréables à entendre. Inès se sent appréciée, Inès se sent importante. La voici membre d’un trio poursuivant un but unique, dont les deux autres individualités comptent parmi les personnalités les plus influentes et les plus respectées du nord du Portugal. Elle est pratiquement leur égale dans cette stratégie qui ne comporte finalement que peu de risques. Leur cible lui semble en effet bien vulnérable. C’est juste une petite voleuse sans envergure qui profite de ses charmes, discutables d’ailleurs, et de la naïveté d’un jeune homme fortuné. Cette Malika a sans doute avancé un pion en séduisant don Rodrigo, mais la partie est loin d’être terminée. La jeune aventurière ne disposera d’aucun soutien dans la région. Elle ne pourra s’opposer à la volonté inébranlable de leur trio. Oui, elle a avancé un pion, mais elle sera bientôt «échec et mat».

Le plan de la maîtresse de maison est d’ailleurs très proche de ce qu’Inès avait imaginé. La dame de compagnie se serait même volontiers montrée plus impitoyable. Plutôt que d’exiler cette maudite gamine dans un lointain harem, perdu dans l’infinité des sables, elle lui aurait carrément coupé le cou, si elle avait pu diriger la manœuvre. D’ailleurs, qui sait ce que l’avenir réserve, elle en aura peut-être l’occasion un jour. Inès n’est plus de première jeunesse, mais elle est solide, et elle se sent parfaitement capable des pires extrémités afin de venir en aide à dona Isabella. Mais cela, elle préfère le tenir pour elle.

C’est un excellent plan, dona Philippa. Cette « rien du tout » n’aura que ce qu’elle mérite. Qui sème le vent récolte la tempête. Quand elle comprendra ce qui lui arrive, elle sera au service exclusif d’un sultan. Que rêver de mieux ?

Un sourire répondant à un autre sourire. Les dés sont jetés. Il reste donc à attendre le retour probable de la gitane. Don Rodrigo semblait persuadé qu’elle reviendrait, comme promis. Inès ne sait plus si elle doit ou non le souhaiter. Elle s’agite un peu sur son fauteuil. La discussion est terminée, et elle regagnerait volontiers sa chambre, mais la curiosité l’emporte. Sa jeune maîtresse ajoutera t’elle un commentaire au plan élaboré par dona Philippa ?




Sajara





Sajara ruminait toujours sous son arbre.
Il regarda Fatima avec un air de chien battu, quand il perçut chez celle-ci un éclair dans le regard. A ce moment, il se rendit compte qu’elle savait quelque chose. Fatima avait des yeux et des oreilles partout dans cette ville ; aucun évènement ne lui échappait. Sajara se sentit ragaillardi, dès à présent il savait que sa quête reprenait. Ce n’est certes pas cette fois qu’il décevrait son maître et ami Joao.

Il se prosterna devant la maîtresse de maison, et la supplia de lui fournir le moindre détail lié à son affaire.
Il indiqua à sa vieille amie qu’il était là pour la bonne cause, se justifia mille fois de ces intentions. Il prit les postures les plus respectueuses, changea des dizaines de fois sa voix, ses intonations. Il sollicita la donzelle à maintes reprises, fit des centaines de grimaces, déforma sa bouche,… Il en était presque à pleurer comme un enfant devant une friandise qu’on lui refuse. Le spectacle tirait entre la tragédie, la scène la plus triste d’un drame et la scène grand-guignolesque de la plus ridicule des comédies.

Devant cette représentation des plus sincères, nul doute que Fatima céderait…

Après tant d’émotions, il avait le gosier aussi sec qu’une éponge dans le désert. Il se saisit de sa gourde. Un breuvage issu des meilleurs ceps de Bordeaux vint lui caresser les papilles. Quel réconfort que ce rouge élixir, autre chose que tout ce que pouvait offrir d’autres « sous-alcool ».

Planté devant Fatima, Sajara ne la lâcherait pas tant qu’il n’aurait pas eu ce qu’il désirait…
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyVen 5 Juin - 23:57

Fatima


Fatima comprend à demis-mots que la mission de Sajara est de retrouver la petite reine qu’elle abrite en ce moment même et qui doit dormir à poings fermés, épuisée par les émotions et ce long voyage .

Elle le laisse parler, l’écoute en silence. Son ami use de mille facéties pour l’amener à se dévoiler, elle n’est pas dupe, mais elle a une confiance absolue en Sajara. Elle sait qu’elle peut se confier à lui. Jamais il n’utilisera ses paroles pour nuire à son adorable protégée. Surtout en sachant qu’elle est la fille du grand sage chez qui Sajara était en service autrefois.

« Pourquoi tu fais le singe ? Tu veux m’attendrir ? Alors écoute moi, mon ami, écoute, je vais te dire … »

Et elle-même se laisse aller à la confidence, elle poursuit son monologue, devant l’intérêt évident et la vive attention exprimés par le visage de Sajara. Elle lui raconte toute l’histoire.
Qui est Malika, comment elle a connu Rodrigo, le voyage dans lequel il a voulu qu’elle l’accompagne, et comme il a pu le constater par lui-même, comment la blonde Malika a été accueillie très fraîchement et d’une manière insultante à l’hacienda, particulièrement par l’ancienne promise de don Rodrigo.

Elle a riposté fièrement, mais elle a été très touchée dans son amour-propre et sa sensibilité. Ainsi, elle a décidé de riposter avec des armes typiquement féminines. De jolis atours, une toilette somptueuse, un visage frais, reposé, et joliment maquillé. Elle veut paraître au moins aussi élégante et désirable que cette péronnelle qui s’est moquée de son apparence.
D’ailleurs, dès le matin, Fatima l’accompagnera dans les boutiques les plus réputées de la ville, pour la chaperonner et ne pas laisser seule, et la cavalière fatiguée et poussiéreuse se métamorphosera en une délicieuse dame du monde, puisque tel est son désir. D’ailleurs Dame nature a déjà été particulièrement généreuse avec elle. Malika sera très belle, et cette Isabella en crèvera de rage et de jalousie.

Mais il est tard. Fatima propose un lit à Sajara, mais ce-dernier souhaite réfléchir et méditer encore un peu sous les étoiles. Et la gardienne du hammam rejoint sa couche pour une courte nuit alors que son vieux complice s’éloigne lentement dans les ténèbres.


Malika


Sa nuit a été peuplée de cauchemars, elle y a vu son marin la laissant sur le chemin, et trois vieilles femmes lui jetant des pierres en visant son visage. En larmes et en sang elle le regardait s’éloigner sur un cheval noir, dans un nuage de poussière, la belle Isabella amoureusement serrée contre sa poitrine. Elle tend les mains vers lui, ses pieds sont cloués au sol, Rolio git éventré dans l’herbe verte, une broche en or fichée dans son cœur. Un vieil homme aux cheveux blancs accompagné d’un maure sans âge galopent vers elle, la ceinturent par la taille, celui-ci la hisse sur son cheval … et …

Un cri, le front moite, les mains crispées sur le fin drap de lin, Malika se réveille en sursaut, son cœur bat la chamade, un nœud d’angoisse noue sa gorge.

Un regard vers la fenêtre encore voilée par un lourd brocard qui l’empêche de voir si la nuit est encore là, puis d’un bond elle se lève, écarte le rideau, et ouvre en grand les persiennes.
Le jour est là, le soleil pose ses rayons sur ses cheveux dorés, fini la noirceur, fini les mauvais rêves.
Elle respire à plein poumons l’odeur des orangers en fleurs, et peu à peu les battements de son cœur s’apaisent. Encore un grand soupir, puis elle se retourne pour voir que la maternelle Fatima a déposé pendant son sommeil un grand verre de lait et quelques pâtisseries, et même un petit bouquet de fleurs, le tout harmonieusement disposé sur un plateau de cuivre ciselé. Un sourire vient illuminer le visage de Malika, avec gourmandise elle dévore un gâteau à la cannelle…

Un peu plus tard, rassasiée, ses ablutions faites, le cœur plus léger, elle enfile une chemise de fin linon blanc, une jupe rouge, un corselet assorti. Elle discipline même ses cheveux, qu’elle coiffe en catogan, elle met un bonnet de dentelle. Il faut qu’elle ait belle mise pour faire bonne impression dans les échoppes des tisserands où Fatima doit l’amener pour acheter le nécessaire pour rivaliser d’élégance avec la brune Isabella.

Dans les fontes de cuir déposées au pied de son lit, elle prend une grosse poignée de pièces d’or, puis elle en repose quelques unes. Dans son for intérieur, la jolie gitane trouve que ces dépenses sont bien superflues. Si elle s’écoutait, elle préfèrerait acheter deux beaux étalons et tout leur équipage, mais il fallait se battre avec les même armes que l’ennemie, armes bien dérisoires, mais « dans le monde, fait comme dans le monde et soit la première », lui aurait dit son père.

« Abi khasssara iba’ana », mon père tu seras fier de moi … ( très approximatif )


Fatima


Dans le patio Fatima cueille quelques roses, elle voit Malika se diriger vers elle un grand sourire aux lèvres. Elle serre la jeune fille contre elle, il est inutile qu’elle lui parle de la visite de Sajara.

« Merci Fati, tes gâteaux sont merveilleux »

« Ce n’est rien ma fille, alors c’est le grand jour aujourd’hui ? Je vais t’accompagner dans les échoppes, je te servirai de chaperon, une jeune fille comme il faut a un chaperon ! »

Cela fit rire la jolie gitane se disant que là ou elle était passée durant sa courte vie, un chaperon aurait été bien utile…
Les voilà déambulant dans les ruelles ombragées, les échoppes ne manquent pas, elles entrent dans l’une pour après aller dans une autre. Chez Don Espano, Malika trouve enfin ce qu’elle souhaite.

Attendrie, Fatima la regarde essayer divers atours, en silence, elle l’observe. La petite a un gout très sûr, elle prend deux robes de jour, une bleu pale brodée de fils d’argent, l’autre d’un ton abricot qui met son teint éclatant en valeur, une escarcelle brodée se portant sur la hanche. Elle regarde aussi deux hennins, les posant tour à tour sur ses cheveux dorés. Avec une petite grimace sur son visage, elle les repose sur le présentoir.
Un collier de simples perles fines éclaireront ces tenues. Il lui fallait aussi une robe de diner, et son choix se porte sur une robe crème rebrodée de perles à l’encolure, un voile de mousseline posé sur un tambourin vient parfaire l’harmonie. De fines chaussures ton sur ton terminent élégamment l’ensemble.

La petite en a assez, elle veut rentrer, mais au moment de partir, son œil est attiré par une tenue d’amazone, une chemise blanche a col échancré, une robe de cuir marron, de superbes cuissardes lustrées, d’un rouge profond. Elle se décide à la prendre aussi.

« Tu vois Fati je donnerai toutes les robes du monde contre cette tenue, je ne me sens pas à l’aise avec toutes ces fanfreluches »

Fatima sourit largement, elle est heureuse de voir sa jolie petite reine si belle, elle hoche la tête en se disant que ce petit seigneur avait bien de la chance qu’elle l’aime. Toutefois elle pressentait des complications à venir ! Inch allah ! Une silhouette rassurante lui apparaît de temps en temps dans les miroirs des boutiques. Sajara veille discrètement sur elles, ainsi qu’elle s’y attendait.

« Don Espano vous ferez tout livrer au hamman des Etoiles, dans l’après midi ce sera très bien »

Reprenant le chemin en sens inverse Fatima la trouve bien silencieuse sa petite reine, le regard perdu et triste.

Qu’as-tu ma fille ???

« Fati , je voudrai repartir ce soir même, je ne veux plus passer encore une nuit loin de Rodrigo. J’ai peur sans lui, j’ai peur pour lui, pour nous ! »
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyDim 14 Juin - 9:51

Rodrigo


Aube d’un jour nouveau. Espoir d’une vie nouvelle.

Un visage blond ne l’a pas quitté de la nuit, mais l’angoisse le saisit à la gorge dès son réveil. Attendre ? Attendre encore ? Non ! Même s’il n’a qu’une chance infime de retrouver Malika, il va tout tenter. Il n’y a rien de pire que ce doute, que ces interrogations qui l’obsèdent. Non, il n’a pas la patience d’attendre plus longtemps. Malika a besoin de lui, il a besoin d’elle. C’est comme ça. C’est gravé au fond d’eux. D’ailleurs il est grand temps qu’il se mette à gérer lui-même ses actes, qu’il prenne enfin le contrôle de sa vie. Qu’il se dégage du tendre carcan maternel. N’est-il pas le fils de l’illustre Arminho, que diable ! Même s’il ne cautionne pas toujours le comportement excessif de son père, il faut qu’il s’inspire de sa forte personnalité. Le jeune officier doit devenir le seul maître de son destin.

Il se hâte vers l’écurie et selle son cheval préféré, celui qui l’a accompagné dans toutes ses courses folles d’adolescent privilégié et insouciant. Sans remarquer le visage d'Inès, partiellement dissimulé par les rideaux de sa chambre, il se lance au galop, saute la barrière, grimpe la colline par l’unique chemin qui mène à l’hacienda. Là, ce nuage clair et immobile dominant les massifs de mimosas en fleurs, c’est le corps de Malika. Là, ce reflet dans l’eau limpide de la rivière endormie, c’est le visage de son amour. Oui, il a été un bel empoté de la laisser partir ainsi. Le fougueux cavalier galope droit devant lui, le cœur inondé de tendresse, mais les tripes rongées par une vive inquiétude. Il galope, il galope, jusqu’à …

Jusqu’à ce maudit croisement, où trois directions s’offrent à lui. Voilà son bel élan ébranlé. Le voilà bien embarrassé. Ces chemins, il en connaît chaque pierre, chaque ornière, il les a parcourus à maintes et maintes reprises. A droite, vers l’océan, vers les quelques villages de pêcheurs éparpillés le long de la côte. Droit devant, c’est la vieille ville de Ponte de Lima, et, beaucoup plus loin, Braga. A gauche, Ponte da Barca, une bourgade animée. Cruel dilemme. Son enthousiasme en prend un sacré coup. Rodrigo descend de sa monture, et s’assied pesamment sous un arbre, les épaules basses. Ses doigts se crispent sur son visage défait.

Oui, il a été un bel empoté de la laisser filer ainsi.


Malika


Malika presse le pas, elles arrivent rapidement devant la porte du hammam, puis dans les jardins où une dizaine de femmes attendent Fatima. Un mariage se prépare et elle doit s’occuper de leur beauté.

Pendant ce temps Malika va aux écuries. Terra est reposé, à ses pieds est couché Igor, elle les caresse tous les deux, Rolio toujours perché sur son épaule. Elle les cajole longuement. Fatima aurait voulu qu’elle achète un équipage, un autre cheval et une voiture, mais non, la gitane n’en veut pas, elle se sentirait stupide. Elle embrasse Terra sur les naseaux « Mon Terra nous avons parcouru tellement de chemins ensemble, on ne se quittera jamais, c’est toi seul qui me portera ou mon cœur veut aller. »

Don Espano a tenu parole, ses paquets soigneusement pliés lui sont livrés tôt dans l’après midi. Tels que, elle les mets dans les fontes, sauf sa tenue de cuir, qu’elle enfile rapidement. Un regard dans le miroir, elle est superbe, le long manteau s’ouvre largement devant, les braies sont douces à porter et ses cuissardes rouges sont du plus bel effet. Elle attache ses cheveux bouclés et fous avec un lien de cuir. Malika n’a plus qu’une idée en tête, c’est partir, partir au galop vers l’hacienda, même si elle doit se mesurer à ces harpies.
Un moment déstabilisée par l’accueil des femmes de l’hacienda, elle a maintenant repris de l’assurance et ça se voit dans son maintien et son regard. La voilà prête.

Les adieux avec Fatima sont émouvants mais pas tristes. Son amie, sa protectrice, la serre fort dans ses bras « Sois bénie ma fille, que le très haut soit avec toi ! Inch allah !»

Malika enfourche Terra, elle se penche vers Fati les yeux pleins de larmes.
« Je ne t’oublierai jamais Fati, on se reverra je te le promets ».
Elle traverse la ville, retrouve aisément la route, le soleil est encore haut et chaud, le ciel sans nuage. Elle talonne Terra.
La chevauchée est longue, déjà quatre heures qu’ils ont quitté la ville, les champs de blés succèdent aux vignes, la route est sèche, elle laisse derrière elle des traces volatiles de poussière blanche .
Ils vont arriver à un croisement, Terra ralentit le pas, la fatigue se fait sentir pour tous. Une forêt de chênes offre une ombre bienveillante, ils vont s’y arrêter pour prendre un peu de repos. Ils ne doivent plus être bien loin maintenant, ils repartiront avant que la nuit n’arrive.
De loin elle aperçoit un homme seul, assis au pied d’un vieil arbre, la tête dans ses mains, elle ne voit pas son visage.
Mais……..ces cheveux ! cette carrure…. Rodrigo !

Rodriiiigggoooo !!!! RODRRRRRIGOOOOOOOOOO !


Rodrigo



Un cri, un appel, cette voix qu’il chérit plus que tout, et le monde se métamorphose, en bleu tendre, en rose. Et Rodrigo est l’aveugle qui aperçoit la lumière. Il jaillit de sa prostration profonde comme un diable jaillit de sa boîte. Il hurle comme un muet qui découvre sa voix et ne se lasse pas de l’entendre.

Malika … Mon amour … Enfin !

Et l’émotion, la joie, ont en un instant englouti tous ses doutes, comme ces tempêtes soudaines qui surgissent du néant et engloutissent les bateaux jusqu’au plus sombre de l’océan.

Il court, il court, et à chaque pas il est plus heureux. Malika, ange gracieux, n’a pas le temps de poser un pied sur le sol qu’elle est emportée par deux bras solides qui la soulèvent et l’enveloppent. La belle rit, suffoque, sous les baisers de son ardent compagnon. Et les lèvres de Rodrigo redécouvrent sa bouche, au parfum de fruit mûr, ses joues de porcelaine fine et les fossettes qui s’y creusent à chaque éclat de rire, sa nuque fragile sous les lourdes boucles blondes qui s’échappent du délicat ruban de cuir souple.

Il dépose son précieux fardeau contre l’écorce lisse d’un chêne, et quatre mains impatientes s’abandonnent à un effeuillage impétueux, mais encore beaucoup trop lent en raison du désir qui les submerge. Braies, chemises, et bottes s’entassent au pied de l’arbre, dans un charmant désordre. Et les amoureux enfin réunis se serrent dans une étroite étreinte dont nul ne pourrait les soustraire. L’adorable gitane se cambre à s’en briser les reins, offrant ses seins nus aux baisers répétés de son amant, s’abandonnant toute entière à ses caresses de plus en plus précises. Leurs ventres et leurs cuisses s’épousent délicieusement, exacerbant leurs envies. Bon sang comme il a furieusement besoin d’elle, besoin de la pénétrer. Tout son être attendait désespérément cet instant.

Rodrigo la saisit délicatement sous les fesses, soulève son bassin, et s’insinue doucement en elle. Malika noue ses longues jambes minces autour de sa taille, ses doigts se crispent sur ses épaules, et leurs corps ondulent en cadence, lascivement, tendrement. Puis ils se laissent emporter par une même vague puissante, un même rythme frénétique, leurs yeux se troublent, leurs souffles se mêlent, leurs mots d’amour se répondent, leurs gémissements de plaisir se font écho, jusqu’à l’extase qui leur arrache une longue plainte incontrôlable.

Ils se laissent ensuite glisser sur le sol, toujours enlacés, continuant à s’aimer du bout des yeux. Rodrigo plonge dans le regard de son amour, et murmure ...

Je ne veux plus que tu me quittes. Jamais.

Un nouveau baiser, infiniment tendre, et le jeune officier tend à Malika ses jolis vêtements. Il l’observe pendant qu’elle s’habille. Elle est merveilleuse et diablement attirante avec ses cuissardes et ses braies moulantes. Ils sont prêts tous les deux, et regagnent leurs montures. Ils arriveront à l’hacienda pour le repas du soir, si la passion ne les pousse pas à nouveau sous les branches.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyVen 26 Juin - 14:14

Sajara


Malika semble prise d’un soudain désir, on dirait une furie qui vient d’avoir une illumination.
Sajara n’en croit pas ses yeux et ses jambes, la petite blonde se transforme en véritable tornade.
Quelle mouche la pique !
Il lui faut presser le pas tout en restant discret pour ne pas perdre sa proie et surtout ne pas l’apeurer en se faisant repérer. Pas à pas, il la suit comme son ombre, s’immisçant dans les moindres aspérités, interstices, reliefs, ou recoins que lui offrent les ruelles de la vieille cité.
Un seul but : devenir la deuxième peau de Malika.
Anticiper, ruser, coller, camoufler, suivre…

La voilà qui se dirige vers les écuries…
Mais, oui, bien sur c’est évident, la donzelle va rejoindre son prince charmant !
Son regard d’acier ne trompe pas le vieil homme.
Il pense, réfléchit aux différentes options ; une seule est valable : elle retourne au château…
La jeune femme semble s’être préparée pour une guerre. Sa détermination sent la vengeance.


Un règlement de compte entre femmes… Il vaut mieux ne pas être dans les parages. Les vengeances de femmes entre elles… ça sent la poudre !
En l’espace d’un instant Rodrigo remonte dans l’estime de Sajara. Le pauvre se dit-il, au milieu d’une telle confrontation, il ne tiendra pas bien longtemps.

Pendant que Malika fait ses adieux à Fatima, le géant en profite pour sortir sa monture, il file vers la sortie de la ville, où il prend position pour suivre de loin la blondinette.

Les routes et la végétation laissent le maure suivre Malika sans aucune difficulté.
Même un cul de jatte pourrait le faire en fermant les yeux.

Bien trop facile tout ça ! Sajara en vient même à regretter qu’aucun bandit ne bouscule cette promenade de santé.
Allez ! Juste un petit incident ! Juste un petit cul terreux en mal de sensations fortes, juste pour me dégourdir les bras et les jambes !
Hélas rien ne se passe, toujours cette chevauchée. La petite a l’air exténué.

Dans son art de la poursuite et de la protection, coupant à travers champs, usant de mille astuces, esquivant les aléas du terrain, prenant des raccourcis, doublant l’amazone sans la perdre de vue, le voici en vue d’un carrefour…

Une silhouette ! Enfin un divertissement !
Sajara plisse les yeux…
Nom de nom ! Voilà bien notre petit seigneur !
Alors, là ! Ce petit commence à me plaire.

Malgré la prostration de Rodrigo, Sajara lui reconnait une fière allure, il perçoit même dans la dégaine du jeune homme, la prestance de son père.
Décidément bon sang ne saurai mentir !

Ma mission se termine ici, pense le garde du corps.
S’éloignant dans la plus grande discrétion, il laisse les deux amants s’interpelaient.

Un dernier regard, les voici dans les bras l’un de l’autre.
Une mission de plus accomplie pour le compagnon de Joao.
Pas mécontent de la situation, Sajara reprend la direction du château, il en aura à raconter à Joaquim.

Il lui reste cependant une interrogation : que vont faire les deux amoureux, rentrer au château ???



Malika




Instant unique, instant de folie, d’intense bonheur. Leurs corps sont emportés dans une passion étourdissante que l’angoisse d’être séparés a décuplée. Ils sont seuls au monde sous ce soleil encore ardent, seuls dans l’herbe verte où ils se dévorent de leurs bouches ardentes, de leurs yeux joyeux. Sourires, baisers échangés, souffles mêlés … leurs corps s’appellent, leur désir efface ce qui les entoure, plus rien n’existe, ils ne font qu’un.

Apaisée, heureuse, elle se blottit dans les bras de Rodrigo. Il la couvre à nouveau de baisers, ils ont tant de choses a se dire.

Je ne veux plus que tu me quittes. Jamais.

« Non, plus jamais, mi amorré. Loin de toi, rrrien n’est beau, et je ne suis pas vivante. »

Amoureuse, mais coquette comme toutes les jolies femmes, elle déplie les toilettes achetées avec Fatima. Son amant regarde les ensembles avec des yeux admiratifs, même si c’est nue qu’il la préfère. Elle le sait, et Rodrigo le lui confirme en embrassant délicatement ses petits seins qui se dressent vers lui. Malika frémit de plaisir. Elle est bien, infiniment bien. Elle ferme les yeux, elle s’abandonne.

Lentement, entre deux baisers, elle répond à toutes les questions qu’il lui pose. Il était inquiet, son bel officier, tout autant qu’elle. Elle lui explique en détails son heureuse rencontre avec Fatima, qui l’a logée, nourrie, consolée, rassurée. Elles ont couru les boutiques comme deux amies impatientes de tout voir.

Tout en se racontant, elle replie soigneusement ses achats. Ses armes pour clouer le bec aux élégantes. A la demande de son aimé, elle remet sa tunique et ses cuissardes rouges, qui n’ont pas trop souffert du tendre effeuillage. Le regard passionné de Rodrigo s’illumine de fierté et d’émerveillement. Elle a fait le bon choix, la jeune gitane.

Son doux amant lui explique ensuite sa soirée de la veille. Les questions, les insinuations malveillantes, les railleries. Malika veut tout savoir. Mais il s’est montré très ferme, très précis, surtout avec Isabella. Il n’a qu’un amour, et c’est elle, sa fleur de Bohème. Malika en tremble d’émotion. Ses yeux se remplissent de larmes. Elle a eu si peur. Mais là, contre son amant, un sentiment de confiance, voire d’invulnérabilité, s’éveille en elle. Elle va les affronter, ces bécasses, forte du soutien de son Rodrigo. La voici impatiente d’en découdre. Bien-sûr, elle s’attend à un accueil glacial, mais elle n’a plus peur. Elle n’aura plus jamais peur, désormais.

Ils reprennent la direction de l’hacienda. Au bout de quelques minutes, leurs montures les mènent dans la cour. Rodrigo saute de son étalon, accroche les deux chevaux à la barrière, et dépose Malika sur le sol. Précieusement. Te voilà chez toi, amour, lui murmure t’il.


Inès


Une maille à l’endroit, une maille à l’envers. On la croirait concentrée sur son tricot, mais ses yeux n’ont pas besoin de suivre le ballet saccadé des aiguilles. Leur mouvement se répète mécaniquement des milliers de fois, comme à chaque fois que dona Isabella lui laisse disposer de son temps à sa guise. Non, Inès rêve. Dans sa chambre, au premier étage de l’hacienda de ses patrons, don Diogo et dona Silvia, ses armoires et ses tiroirs regorgent de brassières, de chaussons, de couvertures pour petit lit de bébé, tricotées avec amour. Elle est persuadée qu’ils serviront un jour, pour une nouvelle génération de bambins mignons comme leur mère.

Elle se voit, radieuse, cajolant les enfants futurs de dona Isabella, reprenant ainsi son rôle préféré de nounou. Mais pour cela, il faut un mari, dans la bonne société portugaise. Et qu’adviendra t’il à présent des fiançailles avec ce lourdaud de Rodrigo ? Nul ne peut le prédire depuis l’apparition de cette maudite gitane.

Une maille à l’envers, une maille à l’endroit. Soudain, un galop de chevaux résonne dans la cour ! Inès sursaute, lève les yeux. Depuis le matin, même en vaquant à ses occupations, elle guette le retour du jeune homme. Ici, elle est parfaitement installée, dans un fauteuil d’osier, face à la fenêtre. Bon sang ! c’est exactement ce qu’elle redoutait ! Don Rodrigo a retrouvé la trace de cette mijaurée. Tiens, qu’a t’elle donc de changé ? C’est ça … Elle est vêtue de neuf. Sans doute grâce à de l’argent volé, comme d’habitude.

Inès se lève, se penche pour ne rien rater de la scène, blottie derrière la glycine. Regardez le donc, ce jeune blanc-bec ! Il traite cette « moins que rien » comme une grande dame, à présent. Et vas-y que je te prends par la taille, vas-y que je te bécote, vas-y que je te chuchote un tas de niaiseries qui les font sourire. Inès est en rage. Elle leur plongerait volontiers ses aiguilles dans le cœur, en commençant par celui de cette blondasse.

Bon ! C’est l’état d’urgence. Il faut qu’elle prévienne dona Isabella, dont la chambre est à l’arrière du bâtiment, au calme. A petits pas pressés, Inès se précipite dans le couloir. Voilà. La porte du boudoir de dona Isabella. Elle toque.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyMer 1 Juil - 18:05

Isabella


Je l'aime, il m'aime, nous nous aimons...
Nous nous entendons à merveille,
Il me dit que je suis l'air de ses poumons,
Et que j'ai la grâce d'une abeille,
Mais un jour une vieille mégère,
Vient mettre son nez dans nos affaires,
Alors moi j'ai sorti mon balai,
Pour lui mont...

On toque à la porte. La voix d'Isabella s'arrête net. La belle s'adresse un sourire fier en se regardant dans le miroir, pose sa brosse à cheveux sur la petite table au milieu des flacons de parfums et d'accessoires. Elle en a tellement dans la tête cette jeune fille... une imagination si débordante, une voix tellement fluette, une intelligence sans limite. Et même si un jour, elle se retrouve seule et sans argent, elle pourrait chanter dans les rues et devenir connue. C'est ça, quand on est une Gonzales d'Almirante. On sait tout faire, à n'importe quel moment, dans n'importe quel lieu.

Derrière la porte, c'est de nouveau sa gouvernante, les joues gonflées de rage lorsqu'elle raconte en bref ce qu'il se passe à l'extérieur. Cette fois ci, nous sommes en alerte rouge! L'ennemi est dans la cour, accompagnée de sa proie. Il faut passer à l'attaque, immédiatement, avant qu'elle ne puisse s'imaginer pouvoir tout faire dans ce domaine ! Y rentrer sans avoir l'autorisation c'est une chose, mais se bécoter à l'entr...
Isabella pose sa main sur la bouche d'Inès. Pas besoin de commentaires de ce genre avant d'avoir vu la chose de ses propres yeux. Déjà qu'elle avait prévu de rentrer au bout de deux jours, voir même jamais ! Elle est maintenant au seuil de l'hacienda, sûrement parée à recevoir des coups de tous les côtés.

Elle marche à pas lents et prudents dans les couloirs, tandis que la vieille nounou se dépêche d'aller chercher doña Philippa pour descendre toutes ensemble. La jeune fille réfléchit à toute vitesse à la stratégie proposée par cette dernière. Être gentille, serviable et accueillante avec cette garce pour ensuite l'enlever et la faire disparaitre à jamais dans un harem en Afrique. Quelle bonne idée belle-maman, on a l'impression que vous faites ça tous les jours!

Un regard compatissant et plein d'assurance à Philippa, un autre à Inès, et les voilà qui descendent à trois l'escalier se tenant par les bras, comme pour mieux se préparer à ce qu'elles allaient affronter. A voir leur tête, on pourrait croire qu'elles vont subir une guerre, une catastrophe naturelle. Mais non, c'est juste une petite gitane blonde amoureuse d'un marin de la classe aisée.

Dehors, Rodrigo et Malika sont près de leurs chevaux. Cette vision d'eux, à moitié en train de s'embrasser, enlacés et plus amoureux que jamais dégoûte Isabella qui ne peut s'empêcher de froncer les sourcils, à moitié cachée derrière les deux femmes qui les regardent également en silence.
Plusieurs secondes s'écroulent, apparemment personne n'a envie de faire le premier pas...

Bonjour Rodrigo. Bonjour Malika... je voudrai d'abord m'excuser pour tout ce que j'ai pu vous dire la dernière fois... je me suis légèrement emportée...
Tu parles, j'avais plutôt raison. Et encore, j'étais gentille. Cette peste méritait bien plus que ça! Elle a même de la chance que doña Philippa était là, sinon j'aurai pu sortir mes griffes.
Je pense que nous devons recommencer tout à zéro.
Ou continuer la guerre que nous avons commencé...
Et tutoyons nous, d'ailleurs, maintenant que nous sommes amies.
Ennemies.
Je heureuse de te revoir, ainsi que Rodrigo.
Seulement lui. Toi, tu aurais mieux fait de ne jamais revenir ici !
Je m'en suis rendue compte et je comprends, vous êtes amoureux...
Tu le manipules depuis le début petite gitane, et il tombe dans le panneau !! Ouvre les yeux Rodrigo, elle ne veut que ta fortune ! Elle se sert de toi!
...et moi je ne veux que son bonheur. Alors je voudrais me rattraper sur certaines choses...
Son bonheur, c'est avec moi qu'il l'aura ! Pas aux côtés d'une pauvrette misérable.
Déjà, pourquoi n'irait-on pas boire un thé ? Ou, comme des vraies copines, nous pourrions monter dans ma chambre. Je pourrais te montrer quelques unes de mes robes.

Elle baisse le nez pour observer la gitane de plus près. Depuis le début de la conversation, elle ne faisait que de regarder à côté d'elle, ou bien le pendentif qu'elle tenait entre ses mains.
La blonde s'était refaite une beauté. Ou du moins, elle a été faire un tour au marché pour essayer de ressembler à quelque chose d'autre qu'une "fille du vent". Avec quel argent ? Bonne question ! Sûrement a t-elle déjà trouvé des clients au Portugal.

Oh... ces cuissardes sont très élégantes. J'aime beaucoup. Le rouge te va à ravir.
Oh mon dieu, quelle horreur ! Comment ose t-elle sortir avec ça ? Jamais personne ne pourrait acheter cette chose infirme. Enfin, elle, ça se comprend... elle n'a pas du être éduquée dans un milieu très modèle.
Et ce manteau ? Est-ce du vrai cuir ? elle touche. Mais oui ! J'en ai jamais vu d'aussi beau. Tu l'as acheté ici, n'est-ce pas ? Tu devras me donner l'adresse de ce marchand !
Encore plus pire. Ne sait-elle donc pas que c'est totalement démodé ? Surtout pour une femme. En plus, ça la boudine et la rapetissit de plusieurs centimètres. Il est trois fois trop grand pour elle. Alors comme ça une gitane ne sait même pas trouver des affaires à sa taille ? Ca doit être trop demandé pour son petit cerveau.

Allez, allez, entrons... restons pas dehors, en plus le temps commence à se couvrir. Je ne voudrais pas que vous attrapiez froid !


Sajara



En arrivant en vue du château, Sajara pris ses précautions, et se fit le plus discret possible afin que nul ne remarque son arrivée. Maître en la matière, il n’eu aucun mal à s’exécuter.
Son cheval aux écuries … Le voilà se dirigeant vers les quartiers de son maître… Il gravit rapidement l’escalier en colimaçon ; se poste devant l’ouverture de la porte…
…Entrebâillée, elle laisse échapper un râle et quelques grognements…
On dirait des ronflements !
Sajara se trouve fort surpris. Il entre subrepticement. Il trouve Joao la tête baissée. Par instant, celle-ci se soulève avec un bruit de succion, puis replonge doucement dans un soupir infini.

Le maure ne sais comment régir, décontenancé, il s’approche du vieux lion. Que faire ? annoncer son arrivée en toussotant… faire du bruit pour prévenir l’endormi… appelé Joao ?

Perdu dans ses interrogations et parvenu à sa hauteur, Sajara se retrouve plaqué contre le mur sous l’emprise de la puissante main du châtelain. Vexé de s’être laissé abusé, mais rassuré sur les capacités intactes de son ami, il demande pitié…
Il a l’impression que sa gorge va éclater. La force de Joaquim est encore puissante.

Sajara fixe son vieux maître dans les yeux, celui-ci, le regard encore embrumé, relâche sa prise.

Aussitôt, le géant s’incline.

- Je viens te faire mon rapport maître !

Rasséréné Joaquim relève son ami.
- Excuse mes manières de cuistre mon ami. Tu m’as surpris.
Avec un sourire, le seigneur détend l’atmosphère et efface la tension qui régnait dans la pièce.

Le maure relate ses dernières heures vécues... Se tenant prêt pour une nouvelle mission…


Malika


A peine arrivée, elle voit descendre par le majestueux escalier les trois femmes, bras imbriqués les uns dans les autres. L’union fait la force, pense Malika. La troisième, elle ne l’a jamais vue, elle est sensiblement du même âge que dona Philippa, elle ne peut être que cette Inès, que Rodrigo lui a dépeint entre deux baisers.

Soit ! L’arrivée de l’héritier et de sa gitane a rapidement fait le tour de l’hacienda. Quelqu’un les guettait, c’est évident. L’affrontement semble désormais inévitable. Rodrigo lui serre un peu plus fort ses doigts entre les siens, pour la rassurer. Et pour se rassurer lui-même, sans doute. Dommage que don Joachim ne soit pas présent, son soutien leur aurait été infiniment précieux, puisqu’il se range, lui a-t-il dit, de leur côté. Ils en auraient bien besoin !

Quelques longues secondes s’égrènent, pesantes. Mère et fils s’observent fixement. Mais Rodrigo ne parlera pas le premier. L’atmosphère s’alourdit d’un coup, l’excellent éducation qu’il a reçue et son respect filial lui intimeront de se tenir légèrement en retrait à attendre que ce soit sa Mère qui commence à parler. Ce sont les règles du jeu dans ce milieu cossu, mais elle connait ça Malika, même chez elle, les enfants doivent le respect aux anciens. Elle attend, silencieuse, un peu en retrait. Est-ce qu’un orage verbal va éclater ? Avec une légère révérence, elle présente ses respects à Dona Philippa.

Isabella se tient face à elle, à côté d’Inès. Malika la dévisage. La petite gitane n’est nullement impressionnée. Son moral est au zénith, à présent. Elle aime et elle est aimée.
Isabella fait un pas dans sa direction. Malika se raidit, inconsciemment, et écrase la main de son amant entre ses doigts fins de poupée délicate. Mais le visage de sa rivale est étonnamment serein et amical.
Méfiante, mais souriante, Malika écoute la litanie d’Isabella, ses paroles lénifiantes ont l’air aussi sincères qu’un âne qui recule…

Bonjour Rodrigo. Bonjour Malika... je voudrai d'abord m'excuser pour tout ce que j'ai pu vous dire la dernière fois... je me suis légèrement emportée...
Je pense que nous devons recommencer tout à zéro.
Ce n’est rrien Isabella, c’est tout a fait norrmal, vous ne pouviez pas savoirrr que Rodrigo m’aimait à ce point, et qu’il vous aimait désorrmais comme une sœurr !
(Te voilà au courant maintenant, je te vois éclater dans ta robe ridicule !)

Et tutoyons nous, d'ailleurs, maintenant que nous sommes amies.
Mais bien sûrr ma chèrrre !
( c’est ça compte la dessus, je ne tutoie que mes amis !)

Je heureuse de te revoir, ainsi que Rodrigo. !
Mais bien sûrr , moi aussi je suis ravie, nous étions parrties surr un mauvais pied !
(Je vais te croire, tiens, tes petits yeux porcins en boutons de bottines disent tout le contraire..)

Je m'en suis rendue compte et je comprends, vous êtes amoureux...
Malika serre un peu plus fort encore la main de Rodrigo, son sourire est éclatant et ses yeux transparents.
Oui je crois que cela se voit.
...et moi je ne veux que son bonheur. Alors je voudrais me rattraper sur certaines choses...
Déjà, pourquoi n'irait-on pas boire un thé ? Ou, comme des vraies copines, nous pourrions monter dans ma chambre. Je pourrais te montrer quelques unes de mes robes.
C’est trrès aimable à vous Isabella , une autrrre fois peut êtrer. Quand je serrrai un peu reposée , nous sommes appelées a nous rrevoir souvent !

Oh... ces cuissardes sont très élégantes. J'aime beaucoup. Le rouge te va à ravir.
Et ce manteau ? Est-ce du vrai cuir ? elle touche. Mais oui ! J'en ai jamais vu d'aussi beau. Tu l'as acheté ici, n'est-ce pas ? Tu devras me donner l'adresse de ce marchand !
Allez, allez, entrons... restons pas dehors, en plus le temps commence à se couvrir. Je ne voudrais pas que vous attrapiez froid !

Chez Don Espano le meilleurr couturrier de la ville ! D’accorrd je viendai voir votre garde robe .
( Mais qu’elle est superficielle ? et bla bla… je ne suis pas comme toi, pas besoin de chiffons assemblés pour ressembler à quelque chose, je voudrais bien te voir sans fard et les cheveux défaits.. Enfin, elle arrête de caqueter, heureusement que le temps s’est légèrement couvert, et qu’elle prend soin de notre petite santé.Mais pourquoi Dona Philippa la laisse prendre autant d'initiatives?)
Malika ne lâche pas la main de Rodrigo lorsque ceux-ci se dirigent vers la grande porte qui mène à l’intérieur de l’Hacienda.En montant les marches, il pose un bras protecteur autour de sa taille, fière, elle se redresse et plonge ses yeux de jade droit dans les yeux noirs d'Isabella,un demi sourire aux lêvres.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyMer 1 Juil - 20:37

Dona Philippa



Cette diablesse surgie des confins du continent africain est donc de retour, triomphante, au bras de Rodrigo. Dona Philippa prend enfin le temps de la détailler, ce qu’elle n’avait pu faire complètement lors de son premier passage à l’hacienda. Il est toujours utile de jauger une rivale, afin d’éviter toute surprise. Afin de pouvoir s’en débarrasser sans aucun risque.

Car les dés sont jetés, à présent. Le retour de Rodrigo et Malika signifie la mise en oeuvre de leur plan, de leur stratagème, pour la renvoyer au plus tôt, ficelée comme un saucisson, d’où elle vient : l’Afrique profonde, et plus particulièrement, cette fois, un quelconque harem tapis au centre de ce désert immense et infranchissable sans une connaissance approfondie des mers de sable, des oasis, et des caravanes de chameaux menées par des tribus de touaregs.

Curieuse situation, que cette élégante et noble Portugaise et cette blonde gitane qui se font face, qui se détestent, mais dont les propos sont d’une gentillesse et d’un raffinement exquis. Silencieuse, dona Philippa écoute attentivement le chassé-croisé de leurs questions et réponses. Isabella est une excellente comédienne. Elle est rusée et intelligente. Elle applique à merveille le subterfuge qu’elles ont imaginé avec Inès. Complimenter, rassurer, convaincre qu’une nouvelle amitié est en train de voir le jour. Si l’enjeu n’était pas si important, dona Philippa applaudirait à tout rompre.

Et l’autre, l’aventurière aux cuissardes ridicules, derrière ses yeux clairs et son sourire radieux, est-elle en train de tomber dans le piège ? Ou bien ruse t’elle également ? Difficile de se forger une opinion, la connaissant si peu. Elle est bien jeune encore, peut-être n’a t’elle pas assez de vécu, assez d’expérience, pour flairer le coup qui se prépare en douce. Un détail retient l’attention de la propriétaire de l’hacienda. Une jolie manœuvre d’Isabella. A force de discuter de toilettes, elle a convaincu Malika de venir admirer sa garde-robes et de discuter chiffons. Aucun moment précis n’est fixé, sans doute le lendemain, mais ça leur donnera peut-être l’occasion d’agir. Pourquoi attendre ? Réglons donc ce problème au plus vite. Après l’enlèvement, il suffira d’affirmer en chœur que Malika n’a pas rejoint la chambre d’Isabella, et le tour sera joué.

Les deux jeunes filles se sont tues. Malika profite de chaque occasion pour se couler dans les bras de Rodrigo. Ca doit bouillonner dans la tête d’Isabella. Dona Philippa se décide à présenter également ses excuses. Elle a horreur de ça, mais c’est pour une bonne cause. Le bonheur de Rodrigo avec Isabella, et l’épanouissement de leurs deux domaines enfin réunis par leur mariage.

Je suis sincèrement désolée pour notre accueil peu amical, Malika. Tu permets que je t’appelle ainsi, n’est ce pas ? Je m’étais habituée à l’idée d’une union prochaine entre mon fils et Isabella, mais puisque Rodrigo t’a choisie, c’est que tu es quelqu’un de bien également. Vois tu, Malika, il passe peu d’étrangers ici, notre hacienda est à l’écart de la ville, et nous nous méfions des voyageurs. A tort, sans doute. L’inconnu est parfois inquiétant, tu l’admettras. J’espère que tu ne m’en tiendras pas rigueur. Et puisque Isabella se propose de te chaperonner, je te conseille d’en profiter, elle a toujours d’excellents conseils.

Dona Philippa jette un coup d’œil vers le ciel maussade.

Oui, rentrons, ce sera d’ailleurs bientôt l’heure du repas du soir. Je vais faire ajouter une assiette. Rodrigo, peux tu indiquer une chambre d’ami à ta … à Malika.


Rodrigo


Non, il n’existe pour Rodrigo aucune mission plus délectable, plus séduisante, que celle d’escorter sa tendre gitane, surtout vers un endroit tranquille où ils ne seront qu’eux deux. Ce sera également une occasion pour eux d’échanger leurs points de vue sur l’accueil que les habitantes de l’hacienda leur ont réservé à leur retour. Ils abandonnent donc Philippa, Isabella et Inès à leurs conversations, confient Rolio et Igor à un jeune valet, et le bel officier emmène sa douce compagne vers une des nombreuses chambres d’ami du premier étage. Et non pas vers la sienne, hélas, malgré la tentation, puisqu’il faut bien respecter les convenances et les traditions bourgeoises.

Rodrigo porte son choix sur une petite pièce lumineuse et joliment aménagée, un ancien boudoir, qui présente l’avantage immense de jouxter à sa propre chambre. Dans le hall, il indique à sa fleur de Bohème les deux portes, également contiguës.

C’est provisoire, amour, bientôt nous occuperons le même chambre, plus vaste, plus aérée. Il faut laisser le temps à ma mère de s’habituer à cette idée. Mais ce soir, après le repas, on se retirera discrètement, prétextant la fatigue du voyage, et je te rejoindrai dans ton petit lit douillet dès que l’hacienda sera endormie. J’ai hâte d’y être, ma princesse. Et on ne se quittera plus jamais, désormais, amour.

La chambrette de Malika contient un minuscule cabinet de toilette, prévu pour une seule personne, mais ils parviennent à s’y caser tous les deux en riant, semant derrière eux leurs vêtements qui s’amoncellent sur le parquet ciré, couvert de-ci de-là de tapis anciens. Les tourtereaux prennent tout leur temps, se câlinant et s’embrassant tendrement, avant de se rafraîchir brièvement.

Rodrigo disparaît quelques instants dans la chambre voisine, d’où il revient élégamment vêtu d’une chemise claire, largement ouverte sur son torse bronzé, et d’un pantalon blanc. Il sourit en observant Malika qui hésite devant les superbes robes qu’elle a alignées côte à côte sur le lit. La belle semble détendue, heureuse. Elle se pend à son cou dès qu’elle l’aperçoit, petite fille espiègle et joyeuse, jeune femme amoureuse et désirable.

Habille-toi, ma chérie, je pense que nous sommes déjà sérieusement en retard. Dis-moi, que penses tu du comportement de ma mère et d’Isabella ? Elles ont été charmantes, non ? Bien-sûr, elles doivent être très contrariées, mais je les connais bien, elles n’oseront jamais s’opposer à notre amour, tu verras. Nous serons heureux ici, ma princesse. J’abandonnerai la marine portugaise pour me consacrer à toi, et rien qu’à toi.

Les mains de Malika courent d’une robe à l’autre, tandis que son amant, debout derrière elle, embrasse doucement ses épaules nues, effleurant ses petits seins du bout de ses doigts.


Joaquim


Joaquim s’était installé dans une des tours de son château qu’il avait transformée en quartier général.
De cette position, il pouvait observer tous les mouvements extérieurs : les départs, les arrivées…

Un nid fortifié qu’il considérait comme son repère. Affalé sur un tabouret, la tête collée contre le mur, le vieil Arminho s était assoupi…

S’est presque en l’étranglant qu’il accueillit Sajara, surprit par cette visite impromptue.
Se reprenant, les idées devenant plus claires, il s’aperçoit qu’il étrangle son ami. Il le relâche…

Quelle brute ! Quel vieux fou ! Je vais finir par tuer un proche sans m’en apercevoir. Il est grand temps que je tire ma révérence. En attendant il faut que je m’en tire à bon compte. Il ne faut pas que Sajara s’aperçoive de mes errances.

Le maure s’inclinant s’apprête à lui faire son rapport.
Joaquim s’excuse auprès de son ami, lui arguant qu’il est dangereux de surprendre le seigneur des lieux.


A l’écoute du récit, il se dit satisfait :
Tout à l’air de bien se goupiller, c’est parfait…

Prenant une inspiration, il ajoute :
Il faut que tu continues à assurer la protection de ces deux tourtereaux.
La châtelaine ne va pas laisser son rejeton épousailler une bohémienne. Elle veut du sang noble pour sa descendance. Du sang bleu !
Pfffffff…
Et moi qui suis bâtard de roi. Quelle ironie non !
Ce serait à moi de demander du sang pur…
Pourtant je n’ai que faire de cette « pureté », c’est bon pour les cochons et les animaux domestiques. Nous, on est des bêtes sauvages épris de liberté. Pas de vulgaires bestiaux qu’on mène à l’abatage ou qu’on présente comme un trophée orné de ses plus beaux atours.

Le sourire aux lèvres, le vieux, se revoit sur les routes de sa jeunesse. Il lui suffit de fermer les yeux pour revoir la bohème de ses jeunes années, la brigande, les troupes qui suit leur chef, les rapines, les embuscades, les beuveries, les catins des bordels français, les massacres, le sang qui dégouline du visage après une bataille riche en boucherie, les poursuites, la perte de frères d’arme…

Sajara figure évidement dans ces souvenirs pléthoriques. Le géant indestructible, fidèle des fidèles, les voici rajeunis de dizaines d’années, qu’ils ont fière allure. Alliant la puissance et la grâce, ils écument les batailles avec autant de facilité qu’ils troussent les soubrettes le soir après une dure bataille.

Bon sang que la jeunesse est belle !

Quelle décrépitude que la vieillesse pour des hommes comme nous !
Nous méritons comme les valeureux vikings de mourir l’épée à la main pour rejoindre les plus grands héros au Walhalla. Nous méritons d’être tués en trucidant nos ennemis pour défiler sur les « champs Elysées » comme ces petits romains de l’antiquité.

Joaquim fait les cent pas dans sa tanière. Il commence à s’énerver, la colère gronde en lui, elle monte… les veines du vieillard bouillonnent… Sa tête commence à brûler d’un désir de violence, la brute est prête à s’échapper du carcan des convenances… Les barrières de la bienséance et de la société s’estompent, leurs rôles de garde-fous ne font plus effet…

Il faut toute la compréhension de Sajara, pour que Joao lise dans son regard l’intérêt de garder son calme et sa mesure… Petit à petit, le lion recouvre ses esprits et sa plénitude.

Bon dieu de bon dieu, voit ce qu’on récolte à ce jour une bande de vieilles « ababinas », vieilles sorcières aveuglées par les convenances qui plaisent à de petits seigneurs incapables. Le modèle hypocrite d’une bande de sodomites, de petits sacs à foutre, dont le vit n’est capable d’engrosser que des baronnes… Frigides en société, elles sont les pires catins dans les alcôves.


Respirant comme un taureau en rut, Joao est répugné de se battre contre des mégères, il préférerait sortir son épée et pourfendre mille ennemis…
Jouer les hypocrites, les diplomates n’est point son fort…
Mais pour son fils, il est prêt à tout ; il en a fait le serment.

Allons Sajara ! s’exclame t-il.
Je vais descendre l’heure de la soupe est venue. Souhaite moi bonne chance, je vais soutenir mon fils et sa jolie donzelle. Il aura besoin de moi devant ces « ababinas ».
Et comme dit le peuple de sa douce dulcinée : Bahtalo drom ! Bonne chance sur les routes !

D’un rire qui se répercute sur les murs, il prend les escaliers…
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyDim 12 Juil - 20:55

Inès


Dona Philippa et dona Isabella s’impatientent dans la salle à manger, attendant le retour de Rodrigo et de sa gitane, et s’interrogeant au sujet de don Joaquim. Daignera t’il les honorer de sa présence, et, dans l’affirmative, sera t’il d’une humeur de chien ? L’heure traditionnelle du repas du soir est largement dépassée, ce qui indispose particulièrement la maîtresse de maison, respectueuse des us et coutumes. Nerveusement, elle se sert un nouveau verre de vin, renvoyant d’un geste brusque la cuisinière qui vient aux nouvelles. Quelle idiote, celle-là, incapable de constater par elle-même que la plupart des chaises sont encore inoccupées.

Pendant ce temps, Inès, qui n’est pas conviée au repas des riches propriétaires de l’hacienda, a grignoté quelques abricots dans sa chambre. L’inaction lui pèse, et elle entreprend de déambuler dans les couloirs, à l’affût de l’une ou l’autre indiscrétion ou d’une découverte intéressante. Elle entend soudain des rires, des propos joyeux, et se tapit vivement derrière une imposante armure montant la garde au premier étage, depuis des décennies.

Inès n’en croit pas ses yeux ! Mais où va le monde aujourd’hui ! De sa cachette elle aperçoit don Rodrigo attirant tendrement cette Malika dans sa chambre, et la gitane est entièrement nue ! En deux pas, ils disparaissent dans la tanière du jeune homme, négligeant dans leur empressement de fermer complètement la porte de la chambrette de la Bohémienne. Une vive curiosité s’insinue aussitôt dans l’esprit d’Inès, et la pousse à s’approcher silencieusement et à jeter un œil indiscret par la porte entrouverte. De somptueuses toilettes sont alignées sur le lit de l’aventurière, ainsi que les vêtements légèrement défraîchis qu’elle portait à son arrivée. Cette maudite compte sans doute rivaliser d’élégance avec dona Isabella lorsqu’ils se décideront enfin à rejoindre la salle à manger. Elle a décidé de ne plus ressembler à l’épouvantail à moineaux qu’elle est habituellement.

Comment résister à la tentation ? La dame de compagnie n’hésite pas longtemps. Ca devrait contrarier la jeune intrigante si tous ses vêtements luxueux disparaissaient tout-à-coup. Et peut-être même la dégoûter à tout jamais de séjourner dans l’hacienda. Inès tend l’oreille, et perçoit des soupirs et des chuchotements lascifs dans la garçonnière de don Rodrigo. Mon dieu, quelle éducation ! Mais en attendant, la voie est libre. Il ne lui faudra que trente secondes à peine. Pas de temps à perdre !

Hop ! Inès plonge vers le lit, ramasse précipitamment toutes les toilettes, délaissant uniquement ces affreuses cuissardes rouges beaucoup trop encombrantes à emporter. Elle jette le tout sous son bras, et court vers sa petite chambre. Voilà. Sans attendre, elle glisse les robes de la gitane dans une large gibecière de toile qu’elle dissimule au fond d’une armoire, sous ses effets personnels. Jamais on ne soupçonnera la très digne et irréprochable dame de compagnie de dona Isabella. L’hacienda est remplie de jeunes serviteurs qui seront les premiers suspects de cet emprunt.

Une idée lui vient à l’esprit à ce moment précis. Cette Malika sera sans doute contrainte de faire appel à dona Isabella pour dénicher une ou deux tenues décentes, ce qui leur donnera peut-être une possibilité d’agir et de l'éliminer …


Malika


Dans les bras de Rodrigo la blonde gitane sourit, quelques baisers échangés, quelques caresses subtiles, un câlin débridé, mais il faut songer à se préparer, ils ne peuvent pas se permettre d’arriver en retard à la table familiale !
Amorr ! souffle t’elle à l’oreille de son amant, je vais me fairrre belle, un rire, pour séduirre mon beau papa ! Je mets la rrobe bleu ? Ou l’Orrrange ? Dis moi ?

En franchissant la porte de sa chambres, elle porte le regard sur son lit et …..
Et là plus rien ! Ses robes, ses voiles, ses chaussures, tout à disparu ! Il ne reste que ses bottes jetées dans un coin de la pièce et de vieilles braies. Si un domestique avait pris le soin de ranger ses vêtements, il aurait aussi rangé ses bottes, non ?

Aussi nue que sa mère l’a faite, elle cherche dans les coffres et même dans la grande armoire. Rien ! Il faut se rendre à l’évidence, une personne malveillante a fait disparaître ses précieux atours.
Les larmes lui brûlent les yeux, mais sa colère est telle qu’elles se tarissent immédiatement. Elle se précipite dans la chambre de Rodrigo.

Paranscnok !! Mes robes ? Elles ont disparrru ? Que se passe t’il dans cette maison ? Döghalàl ( peste noire), dans les palais il n’y a que des bandita ! Des sôtet alak ! (bandits, personnes louches.)

Rodrigo la serre fort dans ses bras, et bien sûr il n’y est pour rien son marin. Du coin de l’œil, elle avise, posée sur le dossier d’une cathèdre, une chemise de Rodrigo. Blanche, un col élégant, échancrée sur le devant. Sur la table, un ceinturon en cuir de Cordou orné de pierres et de cuivre repoussé. Elle rafle le tout, retourne dans sa chambre. Elles vont voir ces sorcières !

Devant le miroir, elle torsade ses cheveux qu’elle remonte en couronne d’or sur la tête, elle ombre son regard de khôl, rosit ses joues et ses lèvres, se parfume d’un peu d’essence de gardénia. La chemise échancrée met sa poitrine en valeur, le ceinturon souligne sa taille souple et fine, elle enfile ses cuissardes sur ses longues cuisses brunes qui contrastent avec la blancheur immaculée de la chemise.
Un regard à son reflet qui lui confirme qu’elle n’a rien a envier à personne, le dénuement de ses vêtements met sa beauté en valeur.
Elle se sourit dans le miroir. Curieux accoutrement, mais pas laid du tout ! Elle a belle allure.

Amorrr !!!! Tu viens ? Je suis prrrète !

Les yeux de son amant la rassurent encore plus. Elle se sent jolie et désirable. Main dans la main, ils pénètrent dans la salle à manger.


Isabella


La brune aux yeux verts et à la langue de vipère regarde s'éloigner Malika et Rodrigo, enlacés et plus amoureux que jamais, l'une le regard fier et la tête haute et l'autre, heureux de voir sa compagne en harmonie parfaite avec sa famille. Entre elles venait de se passer un affrontement, la première bataille, la première manche. Match nul. La gitane s'est montrée parfaitement docile et gentille. Beaucoup trop, au goût d'Isabella. Il y a anguille sous roche, là-dedans, pense t-elle, avant de rentrer à son tour dans l'hacienda, les deux autres femmes derrière elle.

Je vais aller me préparer pour le diner. Inès, je vais avoir besoin de ton aide. Elle adresse un grand sourire bienveillant à doña Philippa et monte dans son boudoir accompagnée de sa domestique.
Une fois la porte de la chambre claquée, elle explose.

Bon sang! Mais t'as vu comment elles fripée? Et de quelle audace ose t-elle...elle... m'affronter ?! Et ses yeux ? Tu as vu ? Elle se prend pour la reine de France ou quoi ? Comment a t-elle réussi à gagner autant d'assurance en une journée ?!

Ses yeux brillent, des petites larmes de colères coulent sur ses joues tandis qu'elle essaie tant bien que mal d'enlever sa robe, l'arrachant presque de ses propres mains. Heureusement, Inès vient à son secours pour l'aider et la calmer, avec des paroles qui réussissent à rassurer la jeune fille. En même temps, la vieille nounou, elle a l'habitude des crises. Elle a les mots justes, doux mais à la fois durs, qui permettent à Isabella de se ressaisir.

Je vais lui montrer de quoi je suis capable... qui est Isabella Gonzales d'Almirante. Elle a pas fini d'en baver cette blondasse de gitane! et ainsi, elle continuait à jurer, à baver des méchancetés sur Malika, critiquer et comploter des sales coups à lui faire, les phrases et les pics qu'elle pourrait lui lancer pendant le diner alors qu'Inès l'habillait, la coiffait et la maquillait tout en acquiesçant, sourire aux lèvres, contente que la jeune fille ait aussitôt repris son sang froid et ses vieilles habitudes.

Une fois fini, elle congédie sa dame de compagnie, préférant rester quelques instants seule avant de descendre en bas.
Elle ouvre un tiroir de sa coiffeuse, en sort une petite boîte à bijoux pourpre avec écrit dessus "Isabella" en lettre dorées. Dedans, une fine chaine en or avec un pendentif en forme de coeur que l'on peut ouvrir, contenant un "R" joliment gravé à l'intérieur. Elle l'attache autour de son cou, laissant le coeur tomber dans le décolleté plongeant de sa robe couleur rouge, comme la colère, assortie à la rose dans son chignon qu'elle n'a pas enlevé.

Belle comme le feu, brûlante comme la braise, et surtout impatiente d'assister au repas en compagnie de la gitane, elle descend en bas dans la salle à manger, où doña Philippa l'attend déjà. Isabella s'assoit à ses côtés.

Don Joaquim va venir, vous pensez ? Je me demande bien comment il va réagir en voyant Malika. Bien, vous pensez ? J'espère toute fois qu'il n'y aura pas de scandale à table, comme la dernière fois. Elle se penche un peu plus vers sa future-belle-maman. Et puis, vous savez, je pense que votre plan marche à merveille... cette gitane est de moins en moins méfiante, il faut continuer ainsi. Bientôt viendra l'heure à laquelle on la kidnappera... j'espère que votre marchand est prêt à intervenir.

Du bruit ! Isabella se redresse, affiche un léger sourire presque naturel qui augmente à la vue de Rodrigo et Malika... elle a une énorme envie d'éclater de rire en la voyant, mais se retient. L'une des premières choses qu'on apprend dans une famille noble : savoir contenir ses émotions.
Pendant quelques secondes, elle analyse l'accoutrement de la gitane. Il suffit qu'elle se penche en avant pour qu'on voie son derrière, elle est prête à le parier, Isa. Et bon dieu, encore ses cuissardes rouges. C'est d'un vulgaire ! Comment ose t-elle rentrer dans la salle à manger, à moitié nue ? Dans la demeure du noble don Joaquim ! Elle se croit dans un bordel ?!

Asseyez-vous mes amis. Malika... tu es splendide ! Est-ce une nouvelle tendance, cette chemise et... ce ceinturon ? Est-ce un habit traditionnel là où tu habites ? D'ailleurs, d'où viens-tu ? Nous ne savons rien de toi !

Elle fait une petite moue en passant délicatement sa main dans ses cheveux pour en enlever la rose qui s'y trouve. Elle la tient près de ses narines pour pouvoir respirer la délicieuse odeur qui s'en dégage et oublier un instant celle de la gitane qui se tient en face d'elle. Un léger battement de cils à Rodrigo, qui, elle l’espère, louche sur son décolleté et reconnait le joli collier qu’il lui a offert pour ses 14 printemps. Elle espère aussi qu’il a toujours le sien, où un « I » est gravé.
Revenir en haut Aller en bas
Pluie
Admin
Pluie


Messages : 111
Date d'inscription : 08/10/2008

La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda EmptyMar 14 Juil - 12:51

Rodrigo


Bien-sûr, la tenue de Malika n’a rien de conventionnel dans ce monde d’élégance raffinée et de sophistication extrême. La surprise sera de taille lorsqu’ils rejoindront la tablée, mais Rodrigo, lui, la trouve ravissante. Les petits seins de sa gitane se dressent avec arrogance sous sa chemise largement décolletée, et le haut de ses cuisses, joliment hâlées, jaillissent hors de ses cuissardes écarlates. La sylphide a des allures d’amazone, ainsi vêtue. Ils descendent l’escalier, et, sans la moindre hésitation, Malika l’attire à sa suite vers la luxueuse salle à manger. Rodrigo lui murmure dans le creux de l’oreille qu’elle est superbe, et que tout va bien se passer, mais la belle est visiblement résolue à affronter fièrement les regards de sa rivale, quoiqu’il arrive. Ses doigts frêles serrent cependant la main de son amant avec plus d’insistance lorsque Isabella prend la parole.

En effet, pour la seconde fois, c’est son ancienne promise qui joue avec talent les maîtresses de maison, montrant de cette façon qu’elle est ici chez elle, en terrain conquis, qu’elle a le soutien illimité de dona Philippa, et qu’elle n’envisage nullement de renoncer au jeune officier. Son accueil est cordial, mais l’ironie pointe derrière chaque mot. Ses yeux moqueurs ont un instant considéré de haut en bas les formes minces et gracieuses de la gitane, avant de retrouver une lueur plus réservée, plus mesurée. Rodrigo connaît par cœur son amie d’enfance, il est persuadé qu’elle va chercher à se maîtriser devant la propriétaire des lieux.

Isabella est également à son avantage, dans une somptueuse robe rouge. Avec une nonchalance charmante, mais feinte, elle manie délicatement une rose pourpre retirée de son lourd chignon. Son cou est orné d’un discret collier d’or fin, garni d’un pendentif en forme de cœur que Rodrigo identifie aussitôt, puisqu’il s’agit là d’un cadeau qu’il lui a offert pour ses quatorze ans. L’opération « séduction » est lancée, par l’utilisation judicieuse de ce souvenir commun de leur tendre enfance, de leur insouciance, de leur complicité d’autrefois. Bien joué, Isabella, Rodrigo est troublé un instant par cette réminiscence d’un passé pas si lointain, mais il se ressaisit. Tout ça, il veut l’oublier. Il a fait son choix. Son présent, son avenir, c’est Malika, et personne d’autre.

Le jeune marin déplace une chaise à l’intention de sa gitane, puis s’assied à la table, à côté d’elle. Face aux deux nobles portugaises. A sa droite, le siège réservé à son père, Joachim, lequel se révèle peu soucieux d’arriver à l’heure précise du repas, comme d’habitude. La main de Rodrigo caresse doucement le genou de Malika, sous la table. Mettant fin à un silence devenant pesant, il se tourne vers sa mère, occupée à détailler la jolie fille de Bohème avec des yeux ronds et un sourire légèrement narquois.

Maman, je t’arrête tout de suite. Je n’en reviens pas ! Quelqu’un a osé dérober les nouvelles toilettes de Malika pendant que je lui montrais … enfin soit ! C’est vraiment inconcevable qu’il puisse se dérouler de tels actes dans notre hacienda. J’ignore ce que père en pensera. Mais voilà, c’est ce qui explique que Malika a du enfiler en hâte une de mes chemises. Ses robes sont sans nul doute déjà loin, maintenant, avec les allées et venues du personnel, mais demain je visiterai quand même la bâtisse de fond en combles, ainsi que les annexes et les écuries.

Il empoigne le pichet de vin joliment ciselé trônant au centre de la table.

Non, Isabella, ce n’est pas une nouvelle mode ni une tradition issue de la contrée où Malika a grandi. C’était la seule possibilité qui s’offrait à nous. Bon, un petit verre, senoritas, avant d’appeler le maître d’hôtel ?


Sajara


Les talons de Joaquim ont à peine disparu que Sajara se précipite dans l’autre aile du château. Prenant coursives, raccourcis et passages discrets, le maure a tôt fait d’apparaître au niveau des appartements des deux tourtereaux.

Il prend place discrètement.
Déjà, sa garde n’est point inutile ; il aperçoit la vieille chouette avec parures, robes et autres fanfreluches sous le bras.
Intrigué, Sajara, observe la vieille pie qui se rend dans sa chambre. Il a juste le temps de retrouver sa position d’oiseau de proie, quand il entend une discussion assez vive dans la chambre de Rodrigo.
Faisant le lien entre les deux affaires, il écoute attentif, espérant comprendre.
Quel est tout ce cirque !

Recoupant ce qu’il a vu, entendu, et ce qui se déroule. Il en conclut le vol des vêtements de la petite.

Toutefois, sa mission lui interdit d’intervenir. Dommage, il aimerait tant aider la petite gitane, la tirer de ce mauvais pas. Une envie de vengeance s’empare de lui. Il irait bien tordre le cou de la vieille décrépie.
Jouer les espions nécessite également une grande maîtrise de soi si on veut récolter le maximum de renseignements.

Mais sa stupeur est si grande quand il voit paraître Malika habillée comme une aventurière qu’il réprime in extremis un gloussement de satisfaction.

Y pas à dire elle en a dans le ventre la jouvencelle pense t-il.

Sa mission se poursuit jusqu’à la salle à manger.
Tapi dans un endroit sombre. Il attend son maître pour le tenir au courant.


Philippa


Surprise, indignation, colère ! Ces trois sentiments mélangés se bousculent dans sa tête dès que Malika pénètre dans la salle à manger, au bras de son fils. Sainte vierge, quel déguisement, quelle impudence, quelle vulgarité ! Un tel accoutrement est tout juste bon pour ces filles de petite vertu qui rodent sur les docks de Porto, attendant que les marins revenant de la pêche à la morue aient touché leur solde. Bien entendu, cet idiot de Rodrigo la dévore des yeux comme s’il s’agissait de la huitième merveille du monde. Heureusement que les « do Setubal » ne reçoivent aucun invité de marque pour le repas du soir, la maîtresse de maison ne résisterait pas à une telle honte, un tel déshonneur.

Oui, dona Philippa manque d’étouffer tant sa stupeur est immense. Cependant, son fils semble trouver l’attitude de cette aventurière tout à fait ordinaire, naturelle. Il doit donc y avoir une explication logique à un comportement aussi inqualifiable … fais donc preuve de sagesse et de retenue, Philippa, attends que les choses se décantent avant de décider s’il y a lieu ou non de pousser une gueulante …

Après quelques paroles ironiques d’Isabella, auxquelles cette maudite ambitieuse ne daigne même pas répondre, c’est Rodrigo qui apporte la mise au point indispensable. Un vol ? En effet, comment est-ce possible ? Dona Philippa est aussi scandalisée que son fils.

Tu as raison, Rodrigo, c’est incompréhensible ! je pensais fermement que nous ne risquions pas ce genre de mésaventure dans notre auguste demeure, alors que nos gens de maison sont choyés et ne manquent de rien. Oui, demain, fais donc le tour complet de l’hacienda, tu retrouveras peut-être ces toilettes. En attendant, Malika, je me sens responsable de ce qui arrive, tu as du dépenser une véritable fortune pour ces achats, et je te dédommagerai, bien entendu. Peut-être qu’Isabella aura la gentillesse de te prêter quelques robes, vous pourriez en discuter dès demain.

Les yeux de dona Philippa se posent alternativement sur les deux jeunes femmes assises face à face. Elles n’ont rien en commun, à part une grande beauté. Une blonde sauvageonne, et une dame du monde élégante et raffinée. Ses préférences iront toujours à la seconde, quoiqu’il arrive. La classe naturelle d’Isabella est incomparable, elle sera la belle-fille idéale. Comment son fils ne réalise t’il pas cette évidence ?

Elle devine à la position du bras de Rodrigo qu’il est occupé à pétrir la cuisse de sa nouvelle conquête. Les prunelles de son héritier ne mentent pas, il est sous le charme. Il faut vraiment qu’elle mette un terme à cette situation dans les plus brefs délais. Demain, dès l’aube, elle enverra son majordome porter un courrier urgent à ce marchand d’esclaves. Elle a du travail pour lui.

Dona Philippa lève son verre et se tourne vers la gitane, lui adressant son plus charmant sourire.

A ta santé, Malika. J’espère que ce regrettable incident ne nous empêchera pas de passer une soirée agréable en famille et entre amis.

Elle hèle ensuite le maître d’hôtel, le priant d’apporter les plats sans plus attendre.
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé





La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty
MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda Empty

Revenir en haut Aller en bas
 
La cour des miracles - Roulotte et hacienda
Revenir en haut 
Page 1 sur 4Aller à la page : 1, 2, 3, 4  Suivant

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Tendres rencontres :: Rencontres :: Rp de Malika et Rodrigo-
Sauter vers: