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 La cour des miracles - Roulotte et hacienda

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Pluie
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyVen 15 Jan - 12:12

Isabella


De nouveau, les pupilles des deux femmes se provoquent en duel. Regards de braise, poings serrés et sourcils froncés ne manquent pas au rendez-vous. L'une ne lâchera pas les yeux de l'autre, au risque de perdre à l'opposition.
Un énième affront parmi les multiples qui se sont produits à l'hacienda.
Bien sûr, les mains ont envie de prendre place dans la partie. Sauf que l'une ne peut car elle est ficelée de la tête aux pieds... et l'autre n'a pas le droit de céder à la tentation, bien trop luxueuse pour elle, tentation qui peut lui coûter cher -bien que l'argent ne soit pas réellement un problème, non, le problème c'est Malika-.

Le noir de la haute bourgeoisie contre le bleu de la bohème, le ying et le yang, la mer et le désert. Deux femmes différentes, totalement, que tout oppose, en passant par la classe sociale, les manières, le langage. Différentes ou presque, car une seule chose les unit : l'amour qu'elles éprouvent pour Rodrigo, et le désir de le rendre heureux.
Mais, dans le cercle très privé des femmes, c'est bien connu qu'un homme, ça ne se partage pas, et si la loi est enfreinte, la guerre est déclarée. Tous les coups sont permis, manipulation, trahison, alliances, tortures. Eh oui, qui a dit "solidarité féminine"?

Donc, bref. Nous en étions aux regards noirs échangés des donzelles. Heureusement, Omar le marchand s'intercale entre elles deux, les pressant quelque peu, clamant le départ.

Isabella se retourne vers doña Philippa :

Nous nous quittons ici, comme prévu. A mon retour à l'hacienda, nous allons fêter ça. Un bon repas, et du vin. Ça suffira à embrumer un peu le cerveau de Rodrigo et ainsi, l'oubli de la gitane se fera sans mal. Je m'occuperai de lui, ne vous inquiétez pas. Il doit être encore perturbé, mais il se rendra vite compte que ses espérances sont vaines...

Elle embrasse la vieille femme, non sans murmurer discrètement à son oreille : Et comme prévu, nous étions en promenade, à la découverte de nos terres. Je reviens vite.

Un dernier signe de la main, et elle grimpe sur son cheval, sous les yeux attentifs des complices du marchand. Malika, elle, est jetée sur le canasson comme un vulgaire sac à patates sous les yeux satisfaits d'Isabella.

Et c'est ainsi que démarre l'escorte vers le port et son bateau de la délivrance. Seul les sabots des chevaux sur la terre battue cassent le mur du silence qui s'est imposé depuis le début. Ils ne trottent que depuis quelques minutes mais...

Eh, le marchand, t'as pas à boire ? dit-elle en s'épongeant le front de la main, alors que le soleil au zénith renvoie des rayons de lumière de plus en plus chauds.


Joaquim


Voyant arriver Rodrigo, Joao le prit par les épaules :
- Malika court un grand danger, ta mère et Isabella l’ont enlevée pour la vendre à un marchand d’esclaves… Ils ont rendez vous en ce moment même… Un espion de la troupe de ce misérable les surveille, mais nous devons intervenir au plus vite… Prépare toi en vitesse…

Rodrigo devint blême… puis rouge de rage…
Transfiguré par cette nouvelle, on dirait qu’il va abattre à lui seul toute une armée…

Son père tenta de le rassurer…
- Sajara et moi t’accompagnons, à nous trois nous allons mettre fin à ce vil commerçant.
Le regard de Joao devint noir, cette caractéristique apparait quand la bête surgit de ses entrailles les plus sombres.
Le sang allait une nouvelle fois couler, tel un vampire il savourait déjà cette texture si particulière.
L’adrénaline et le flux sanguin lui procuraient une sensation de bien être qui le rendait invincible.

Les trois hommes sont maintenant à cheval.
Arminho se tourne vers l’espion :
- Hé la fouine, je compte sur ton appui, gare à toi si tu me déçois…
Un sourire en coin ponctue sa réflexion.
Faisant signe de la main :
- En Avant, les enfants !


Rodrigo


Des envies de meurtres dansent dans ses yeux clairs. Son front se plisse sous l’effet de la surprise, puis un rictus de haine déforme sa mâchoire volontaire. Ses mains deviennent des poings fermés. Oh oui, des têtes vont rouler à ses pieds, dans la poussière. Le sang va gicler comme l’eau d’un geyser jaillissant furieusement des entrailles de la terre. Personne ne pourra le retenir. Celui qui touchera à un seul cheveu de sa bien-aimée le paiera de sa vie.

Malika … Malika … Il répète son prénom d’une voix où l’angoisse et la colère se rejoignent. Ainsi elles ont osé comploter pour se débarrasser de sa princesse ! Quoi de plus ignoble de la part d’une mère ? Quoi de plus fourbe de la part d’une amie ? Et ce procédé écœurant ! Engager un esclavagiste pour la vendre comme une marchandise à un vieux porc qui abusera d’elle ! Les doigts de Rodrigo se crispent sur le pommeau de son épée. Il est prêt à en découdre avec la terre entière pour délivrer sa gitane, quitte à y laisser sa peau.

Les chevaux ont quitté l’hacienda au grand galop. Mais ce n’est pas suffisant pour le jeune officier. Plus vite, père … crie t-il en talonnant les flancs de sa monture d’un geste rageur.

De sombres pensées l’assaillent alors qu’il chevauche juste derrière Joaquim et Sajara, eux seuls connaissant précisément le lieu de ce rendez-vous secret où se joue le destin de Malika. Mon pauvre amour, tu dois être terrorisée, à la merci de cette bande de brutes immondes et de ces deux sorcières. Bon sang, j’aurais du me méfier davantage. Leur haine crevait les yeux. Et cette maudite Isabella qui a déjà cherché à t’ébouillanter en simulant une maladresse ! Comment ai-je pu être aussi naïf, aussi crédule? Il y a de quoi être dégoûté de la race humaine !

Un lourd sentiment de culpabilité l’oppresse à présent, en plus de cette inquiétude qui lui ronge le ventre.

Il se porte à la hauteur des deux anciens, alors que les sabots de leurs destriers, harnachés comme pour un départ en guerre, martèlent l’humus baigné d’ombre d’un sentier grimpant vers la colline.

Est-ce encore loin, père ? Plus vite, par pitié, nous allons arriver trop tard pour la secourir ! Savez-vous où ils veulent l’emmener ?
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Pluie
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyLun 18 Jan - 0:29

Omar


La violente prise de bec entre les deux élégantes bourgeoises et la blonde intrigante se prolonge longtemps. Trop longtemps. Cet échange de menaces farouches, cette surenchère de promesses de représailles sanglantes, l’a fait sourire un instant, mais ça suffit ! Il est temps de reprendre la route vers le port, tandis que la reine-mère regagne ses foyers après d’ultimes manigances avec la brune aux nichons proéminents, qui paraît soudain également très pressée.

Une idée germe lentement dans l’esprit cruel et tortueux d’Omar. Bien-sûr la journée s’avère déjà particulièrement bénéfique, grâce aux sept cents écus encaissés et à la blonde croquignolette qui peut en rapporter cinq fois plus, au bas mot. Avec le temps, elle fera une épouse soumise, c’est évident. Mais pourquoi se contenter de cela ? La brune doit aussi valoir son pesant d’or. Qu’elle soit bourgeoise ne change rien, elle sera domptée comme toutes les autres. Il lui trouvera sans mal un acquéreur fortuné dans ce labyrinthe d’oueds desséchés et d’oasis rongées par le soleil et le sable blanc qu’il connaît comme sa poche. Sa capture sera un jeu d’enfants, il suffit d’attendre l’instant propice. Au cœur de ces chemins déserts, s’insinuant entre les bosquets, c’est une manœuvre aisément réalisable de s’emparer d’elle.

Les yeux d’Omar se posent sur ses rusés compères, accrochant leurs regards. D’un signe discret du menton, il leur indique la brunette. Les mots sont inutiles. Ils ont interprété le signal. Leurs montures encerclent subrepticement celle de la jeune femme.

Cette-dernière rompt soudain le silence, et réclame de quoi se désaltérer. Bien. Omar arrête son cheval et tend une gourde d’eau fraîche à la brune, qui allonge le bras pour s’en saisir. Et le piège se referme instantanément sur elle. Les trois malabars l’immobilisent sans peine tandis qu’Omar lui emprisonne les poignets entre ses grosses pattes velues. La fière donzelle a juste le temps de pousser un cri de stupeur, et la voilà ligotée sans ménagement, puis jetée en travers du canasson du gros Paco, devant sa monstrueuse bedaine qui s’échappe de son pantalon miteux. Le front dégoulinant de sueur, l’obèse plaque aussitôt ses doigts bouffis sur le dos de la brune, l’empêchant de se débattre davantage, et profitant lâchement de la situation pour tripoter ses courbes généreuses. Les quatre fripouilles éclatent de rire devant les efforts inutiles de la brunette. L’affaire est dans le sac.

L’occasion fait le larron, dit-on, et les brigands reprennent leur trot en direction du bateau. Ce n’est qu’une péripétie de plus dans leur business habituel. Un épisode qui n’a pris que quelques secondes.

Bien joué, les amis, lance Omar dont le visage s’est illuminé. Elle nous rapportera un bon paquet. Si elle gueule, Paco, donne-lui donc quelques gifles, je suis certain que tu adorerais ça. Allez, bientôt nous serons au port avec nos deux drôlesses.


Isabella


Mais ?!

Un hoquet de surprise, un petit cri d'incompréhensibilité, et voilà que la bourgeoise est vulgairement jetée sur le dos du cheval, ligotée de la tête aux pieds. Sur le coup, elle ne comprend pas vraiment, mais lorsqu'elle sent des doigts -dotés d'une délicatesse d'ours- se balader sur son dos, elle pousse un hurlement terrifiant, à en faire trembler le plus épouvantable des brigands, à en briser les tympans les plus solides.

Elle se débat, donnant des coups de pieds dans l'air, se balançant de gauche à droite, tapant de ses poings attachés sur le flanc du canasson, comme une furie. Mais les mains du dénommé Paco stoppent vite sa frénésie, pressant un peu plus sur son dos, écrasant presque ses omoplates.

L'avertissement est donné par le chef des marchands, "si elle gueule, donne-lui quelques gifles". Les yeux d'Isabella se brouillent légèrement. L'impression -bien vite concrétisée- d'une bedaine grasse et nue se frottant à elle à chaque enjambée du cheval donne un laisser-passer en terre ferme à son repas de midi, d'autant plus que son nez est enfoui dans la longue crinière puante du cheval. Ô quel supplice pour une femme entretenue, propre et maniaque. La soupe et les crachats de la gitane ne l'ont en rien aguerri dans ce domaine.

Vite, réfléchis, réfléchis, ne te laisse pas déstabiliser !
A l'intérieur de sa botte est caché le poignard qu'elle avait volé à Malika, mais impossible de l'atteindre, à moins de faire une tentative de diversion digne des plus grands malfrats, ou esquisser une pirouette acrobatique, un pied en avant qui atterrirait en pleine face d'Omar, l'autre faucherait ses trois complices, le tout dans une rapidité qui ne dépasse pas les deux secondes. Malheureusement, Isabella n'est qu'une simple bourgeoise, et pas une mercenaire-ninja-yamakasi.

Dégage tes pattes de là, sale pouilleux! crie t-elle à l'intention de Paco. Puis, un peu plus fort, pour que les autres marchands l'entendent : Attendez, y a un malentendu, c'est pas moi l'esclave, et puis, je ne vaux rien dans votre pays... une légère grimace se dessine sur son visage, n'en croyant pas ses oreilles de ce qu'elle venait de dire. Bien sûr qu'elle vaut quelque chose, et ce dans n'importe quel pays. Tous les sultans du monde se l'arracheraient !
Vous ne savez pas ce que vous faites... vous perdez votre client le plus prometteur !!
Et, se rappelant que ces malfrats ne marchent que par l'argent...
Je vous donne encore plus que le prix de départ ! Le double si vous voulez ! Et... et je vous fait même un acompte, je peux déjà vous donner une petite partie... que j'ai sur moi !


Paco


Le gros Paco. C’est tout un poème. Un cerveau de piaf sous un crâne éternellement luisant de sueur, en forme de demi-pastèque. Des pattes d’ours des cavernes, aussi épaisses, aussi velues, et aussi sales. Un cou de taureau. Un ventre monstrueux. Lorsqu’il pénètre dans un endroit public, on voit d’abord apparaître sa bedaine, puis après, longtemps après, le reste de son individu. Bref, un personnage hors du commun, une force de la nature, à la cervelle « mononeuronique », toutefois.

En résumé, ce débile profond, sans doute bercé trop près du mur lorsqu’il était bambin, est entièrement dévoué à Omar. Vivant presque dans son ombre. Mais il comprend tout avec un temps de retard, sinon deux.

Sauf …

Sauf lorsqu’on parle d’argent, ou d’or, ou d’écus, ou de récompense, ou d’acompte, ou de « double du prix ». En entendant un de ces mots, sa grosse masse flasque frétille comme un poisson tiré hors de l’eau et jeté dans la barque. Des piécettes scintillantes défilent aussitôt devant des yeux avides. Piécettes qu’il entasse à l’avance, avec délectation, sous son matelas maintes fois rembourré.

Et là, en cet instant précis, son neurone crie « hip, hip, hip, hourra ! »

Le gros Paco en oublie même le « sale pouilleux » que la captive lui a craché à la face, et qui, en des temps moins cléments, lui aurait valu une solide paire de claques sur son popotin rebondi, coincé entre les cuisses du pachyderme et la crinière du canasson. Hé oui, Paco jubile en cet instant, et ses grosses mains aux doigts boudinés s’infiltrent, se forcent un passage dans les poches de la brunette, sous le regard amusé de ses trois acolytes. Et vas-y qu’il trifouille à gauche, à droite, malmenant le tissu, ne ménageant ni ses efforts ni la peau de satin de la donzelle, qui ne peut remuer que le bout des orteils, ce qui s’avère peu utile en l’occurrence.

Un sourire resplendissant apparaît soudain sur la face rubiconde du gorille. Il brandit comme un trophée une aumônière de soie pourpre, brodée de fils d’or et d’argent, aux formes joliment grassouillettes. En hâte il délace les cordelettes de cuir qui défendent l’accès à ce trésor. Le joyeux cliquetis des écus lui arrache un rire gras. Et il compte tout haut … Non, plutôt tout bas, pour éviter les moqueries habituelles de ses compagnons, du fait que ses additions donnent toujours des résultats surprenants. Qu’importe ! Il renonce très vite et tend la bourse à Omar, très fier de sa trouvaille.

Voilà patron, à ajouter à la cagnotte …

Au-dessus de leurs têtes tournoient les premières mouettes.
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptySam 23 Jan - 11:47

Malika


Mains douloureuses à force d’être encore liées, corps rompu d’être encore jeté en travers d’un cheval, Malika se laisse aller au désespoir .
Non, elle ne pleure pas, mais elle passe du plus profond abattement à une colère dévastatrice. L’altercation avec Isabella l’a vidée de ses dernières forces, que peut-elle faire contre sa ravisseuse ? Rien, elle est toujours en position de faiblesse et elle enrage. Arffff ! Si seulement elle était libérée de ses liens.

Ils reprennent la route, et la brune au chignon toujours parfait veut absolument les accompagner, sans doute pour savourer sa victoire ou être sure de son embarquement vers l’Afrique.
« Komisz szajha »( sale garce)

Elle entend Isabella réclamer à boire … « Elle peut pas tenir cette dinde ? »
Les hommes réduisent le pas des chevaux, s’arrêtent et se rapprochent du cheval de l’arrogante Isabella. « Non, c’est incroyable, ils vont lui donner à boire ? »

La gitane soulève la tête pour voir ce qui se passe ? Isabella allonge le bras pour se saisir de la gourde, juste au dessus d’elle, mais les trois hommes se précipitent, la projettent à terre, la ligotent et le Gros Paco, la mine réjouie, la met en travers de sa selle avec une rapidité surprenante pour un homme de sa corpulence.

Malika ne peux pas se retenir de sourire, puis d’éclater de rire, la voyant ainsi réduite à la même condition qu’elle. Un paquet de chair fraîche à vendre.

Elle rit de l’entendre se vanter d’avoir des écus sonnants et trébuchants sur elle.
Je vous donne encore plus que le prix de départ ! Le double si vous voulez ! Et... et je vous fait même un acompte, je peux déjà vous donner une petite partie... que j'ai sur moi !
« Quelle gourde ! En plus, elle va se faire dévaliser. Elle n’est vraiment pas futée ! »

Elle rit de la voir tripotée, sa robe déchirée, ses mèches en désordre, et puis elle est délestée de sa bourse par le gros Paco. Oui, elle rit, n’éprouvant aucune compassion pour la bourgeoise.

Mais soudain, son esprit s’envole vers l’hacienda, ver Rodrigo, les larmes coulent sur son visage. Jamais le jeune marin, son beau capitaine, ne saura ce qui s’est passé, jamais elle ne le reverra. Comment pourrait-il savoir où elle se trouve, personne n’a vu le manège des deux complices, sa mère et son ancienne promise, toutes les deux rouées et le cœur sec.

Le regard à nouveau narquois de la blonde rencontre celui noir et courroucé de la brune. Un pâle sourire aux lèvres, elle murmure au visage tordu de rage tourné vers elle : « Peut êtrrre dois-je croirrre qu’il y a là une justice, celle d’Arrristote ? Oui, c’est possible. Mais ça ne me suffit pas, tu ne m’échapperrras pas, où qu’on aille je me vengerrai, tu n’es plus une grrrrande dame prétentieuse, maintenant, tu n’es plus rrrrrrrien ! Il n’y aurra pas de merr entrre nous, Isabella ! Je te retrouverrai même si je dois te cherrrcher ma vie entièrrre ! »

Epuisée par l’effort, Malika repose la tête sur la crinière sombre de l’étalon. L’odeur musquée du cheval ne la gène pas, elle a été élevée au milieu d’eux, elle y trouve même un certain réconfort.


Isabella


Encore des cris d'horreurs, mêlés incontestablement à des petits hoquets -tirant légèrement vers des sanglots étouffés- qui s'échappent des lèvres pulpeuses d'Isabella.

Non, non, non fait sa tête en bouffant à moitié la crinière du cheval.

Tout va de travers, normalement son idée d'acompte devait les arrêter, la faire descendre du canasson, la délier et repartir vers le port dans les conditions prévues. Hors, le gros Paco, il a fouillé dans ses poches. Et pas que ça. Ses mains énormes et mouillées de sueur ne se sont pas gênées pour s'infiltrer dans les tissus de sa robe, pinçant et maltraitant sa chair de poupée de porcelaine.

Non, non, non !

Violée, pillée, profanée, qu'elle se sent la bourgeoise. Jamais, jamais personne n'a osé la persécuter ainsi. Elle a envie de mourir plutôt que de rester plus longtemps à côté du marchand qui transpire la graisse par tous les côtés, mourir plutôt que de se sentir sale, les cheveux dans un désordre pas possible, empester le cheval et voir sa si belle robe déchirée.

Enfin, ses envies suicidaires persistent jusqu'à ce qu'un rire cristallin parvienne à ses oreilles. Un rire de femme, un rire de gitane. Vulgaire et moqueur, un rire à gorge déployée. Malika, créature diabolique, maîtresse du Sans-Nom.
A vrai dire, elle l'avait presque oublié, celle-là ! Ben oui, ses soucis sont quand même bien plus importants qu'elle. Le harem en Afrique était maintenant loin dans sa tête, de la première place dans ses objectifs, il est passé dans les derniers.

Un regard haineux, un second haut le cœur, une forte envie de répliquer à ses attaques verbales. Mais le sentiment d'infériorité, maintenant qu'elles sont à égalité, se fait plus grand.
Où est donc l'Isabella hautaine, combattante et fière ?!

Ferme-là, gitane! Ce n'est pas parce que je suis réduite à la même misère que toi que la partie est terminée, ni même gagnée !

Ah bah, elle était là, cachée derrière un buisson !

Tu me retrouveras ? D'accord, je t'attends, mais une bonne volée de coups te trouvera aussi ! Elle crache par terre, la jolie bourgeoise. Bien étranges manières pour une fille si bien éduquée. Voilà que la tzigane déteint sur elle !
Et si tu étais restée chez toi, dans ton pays de malheur, nous ne serions sûrement pas ligotée ! Tout ça est de ta faute, de ta faute, de la TIENNE ! crie-t-elle, au bord de la crise de nerfs.

Et de nouveau, sa tête se colle au flanc du cheval et ses yeux mouillés de fatigue, de rage et d'impuissance se mettent à fixer le sol, de plus en plus blanc, de plus en plus soyeux, de plus en plus sablé...
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyJeu 28 Jan - 18:40

Joaquim


Non ! Non ! Non ! Et Non !
Pas maintenant, pas maintenant !

Les mots, les sentiments dominés par la haine se bousculent dans son esprit. Il avait tout organisé, tout planifié. Tout était sous contrôle. Il avait annoncé sa retraite... Eliminé son plus grand ennemi… Mis sur pieds sa succession. Son fils allait étendre son autorité sur un domaine si vaste et si étendu, qu’il serait tranquille jusqu’à la fin de ses jours. Cerise sur le gâteau, il avait trouvé une petite mignonne.
Tout lui souriait. Et qui le trahit, hein qui ?
Sa femme, chez lui, dans son dos…
Ah ça non, elle lui paierait cher cet affront…très cher…
Il lui avait épargné la mendicité, le couvent, lui offrant un lieu paisible pour finir sa vie. Et elle le trahit.
Attends que je te mette la main dessus, vieille morue…
Joaquim ne savait plus s’il pensait ou s’il parlait tout seul.

Qu’importe, il était sur que ses compagnons pensaient la même chose.
Une odeur de haine, d’inquiétude, et de vengeance régnaient dans le groupe de cavaliers.

Les chevaux étaient menés sans ménagement. S’il y avait eu une course ce jour-là, un record aurait été battu.

Le cheval de son fils était devant lui, et ce bougre menait si vivement sa monture qu’il commençait à distancer Joaquim et Sajara.
Crachant la poussière qui lui revenait des sabots du cheval de son fils, il maudissait sa vieillesse. Son fils le distançait. Etait-ce la fougue, ou l’amour du jeune qui le poussait à aller toujours plus vite.
L’amour donne des ailes.

Au loin, une silhouette se détachait. A l’allure à laquelle le trio avançait, ils distinguèrent assez vite qu’une cavalière se dirigeaient vers eux.

En la croisant, Rodrigo et Sajara n’eurent aucune réaction, mais Arminho reconnu sa femme, et lui adressa un geste non équivoque sur ce qu’elle allait subir.
Elle en fut des plus surprise et blêmit.
Elle avait signé son arrêt de mort.

Joaquim se dit qu’elle déguerpirait, et qu’il ne la verrait plus sur ses terres.
La peur est un bon carburant.

Les chevaux filaient toujours et encore. Ils allaient les faire crever, c’est sur…
Jamais ils n’arriveraient à rattraper les esclavagistes…
Le Lieu de rendez-vous, enfin…
Personne ! Evidemment !
- Plus vite ! cria Rodrigo.

Les bêtes se ruèrent de plus belle…
Le paysage défilait toujours plus vite.

Sur sa selle, Arminho commençait ressentir ses efforts…son dos se rappelait à son souvenir…
Bizarre, il ne sent plus sa blessure, mais son dos le fait horriblement souffrir.
Sans perdre l’allure folle, il essaie de se contorsionner sur sa selle. Il essaie de trouver la position la moins douloureuse…en vain…

Tenir ! tenir encore… jusqu’au foutu bateau de ce pourceau d’esclavagiste…
Pourvu qu’on le trouve à temps…
Pour l’instant ça va il n’y a qu’une route qui mène à la mer de ce côté…
- Fils ! A la mer! Ils ont prévu de s'enfuir en bateau...
Joaquim criait de toutes ses forces.
Tel sur un cheval ailé, le rejeton prenait son envol vers sa bien-aimée.
Sajara cravachait de plus belle pour ne pas être lâché par l'Héritier.



Omar




Le temps d’empocher l’aumônière de la brune, et voilà que les premiers rouleaux d’écume apparaissent entre les arbres. La mer est là, à deux pas, en contrebas, ainsi que le port confortablement niché entre la plage et la forêt. L’animation habituelle règne entre les vastes entrepôts, les pontons d’embarquement, et les longs débarcadères qui s’étirent vers le large. Les brigands ont posé le pied à terre, laissant prudemment les montures et les captives à l’abri de la végétation, sous la surveillance zélée du gros Paco.

La procédure habituelle se met en place. Elle consiste surtout à embarquer la bourgeoise et l’intrigante sur le trois mâts du capitaine Ramirez dans la discrétion la plus absolue, sans qu’aucun témoin n’assiste à la scène, hormis l’équipage. Une carriole, tirée par deux chevaux, se détache des quais encombrés, à la suite d’un signal convenu entre Omar et les marins présents sur le pont, et la charrette, conduite par un matelot rougeaud et affreusement édenté, grimpe lentement vers l’équipe du marchand d’esclaves, par un sentier escarpé et sablonneux.

Le carrosse de ces dames est en route, plaisante Omar. J’espère que notre bon capitaine n’aura pas oublié les sacs de jute, pour y enfermer nos donzelles jusqu’à ce qu’elles soient à bord.

Il sourit … Je pense qu’il est préférable de ne pas les mettre dans le même sac. Même ligotées elles arriveraient à se mordre et à se griffer comme des chattes sauvages.

La charrette s’immobilise enfin près d’eux, en haut du chemin, à l’ombre des arbres. Le gros Paco amène aussitôt les prisonnières, une sous chaque bras, comme deux paquets de linge sale. Blonde et brune tentent un instant de se débattre, mais la poigne de fer de l’obèse les immobilise totalement. Hop ! Il les jette sans ménagement au fond de la carriole, et s’empare d’un sac de toile qu’il entrouvre largement.

Omar s’approche à son tour, prêt à plonger une des deux donzelles au fond du havresac miteux.


Julio


Julio faisait partie de la bande d’Omar depuis de nombreuses campagnes.
Il était assez fluet, pas très grand, mais terriblement malin.
C’était sa force !
Petit mais roublard, rusé et terriblement mesquin.

Il avait un abord plutôt sympathique, nonchalant et paraissait détaché de tout ce qui l’entourait.
Cette fausse décontraction l’avait servit plusieurs fois. On ne le soupçonnait jamais en cas de trahison.
Lui ? Le frêle ! Bah non pas possible, il ferait dans ses pantalons au moindre bruit, jamais il ne trahirait personne, il est trop couard.

Julio n’avait qu’un seul maître l’argent, et sous ses airs de benêt et de rigolard il le servait bien.
Il se serait damné pour un écu, il vendrait père et mère pour une piécette.

Il gagnait pas mal d’argent dans les trafics de son chef Omar, mais il n’en avait jamais assez. Il devenait toujours plus gourmand. Alors, quand la fouine lui proposait de gagner beaucoup d’argent, en faisant ce qu’il savait faire. Aucune hésitation. Il lui suffisait de répéter ce qu’il voyait. Un jeu d’enfant !
La loyauté n’était pas son fort. De plus, il n’était pas attaché à ses compagnons.

Cette affaire, selon Omar, est une vraie mine d’or ! Mais Celui qui va empocher le pactole c’est lui : Julio. La fouine lui avait promit une grosse somme.
Au début, Il n’avait pas compris.
Mais maintenant, sachant la valeur des marchandises transportées …
Il se souvient du sourire de la Fouine au fur et à mesure de ses révélations. Ce bougre d’espion avait compris. Evidemment, lui avait plusieurs sources, centralisait les informations. Il pouvait recouper, réfléchir et déduire. Tel un enquêteur, il pouvait recoller tous les morceaux et reconstituer le puzzle.

La fouine avait promis à Julio, une énorme somme d’argent, en échange de ses informations.
- Avec ça tu vas pouvoir prendre ta retraite, t’offrir la taverne de tes rêves. Lui avait il assuré.
-Ton chef fera son dernier trafic, ce sera sa dernière erreur s’il se compromet dans ce marchandage.

Cela le faisait saliver le Julio. Il ne comprenait pas pourquoi ce serait sa dernière affaire et sa dernière erreur. Des affaires comme celle-ci, il avait l’habitude de les mener à bien. Mais qu’importe !
Oui ! une taverne !
Oh mais pas pour prendre une retraite bien méritée, non, non …
Ce sera un lieu pour continuer ces trafics, blanchir ses écus.
Il s’y voyait déjà le Julio ! Quel beau tableau !
CHEZ JULIO ! Taverne et trafics en tous genres.

Ah tiens nous voilà déjà presque à bon port, pensa Julio en souriant à sa réflexion.
Les affaires sont bonnes et tout ce passe comme prévu, il va pouvoir jouer sur tous les tableaux.
En contrebas, on voit le bateau de Ramirez. Une belle ordure aussi celui-là. Mais, si compréhensif, un solide allié dans les affaires.
La charrette se présente conduite par un marin aussi rustaud que laid.
Voilà le tour est dans le sac, les donzelles vont bientôt disparaître et ce à jamais de cette terre portugaise.
Julio regarde alentour, il est de guet. Il s’éloigne du groupe pour mieux surveiller. C’est à lui de donner l’alerte, si un problème se présente.

Et ce problème on dirait qu’il arrive, qu’il chevauche trois chevaux lancés à toute allure.
Par les cornes de Belzébuth !
Qu’est ce que ?

Le sang de Julio se glace quand il aperçoit un jeune homme, un gigantesque maure, et Arminho …
Par l’enfer, maintenant tout s’éclaire.
Julio comprend en une fraction de seconde que le trio est lancé à leurs trousses.
Il comprend également que dans ce trio il y a ce fou furieux d’Arminho, le « Sans quartier » !
Ils vont nous exterminer ! pense Julio.
Il comprend dans l’instant quelle était cette dernière erreur d’Omar. Il revoit le visage de la Fouine et son grand sourire sadique.

Je crois que l’heure de décamper est venue.
Sans le moindre bruit et laissant son cheval sur place, Julio s’enfonce dans un champ. Dissimulé par les herbes le brigand, futur tavernier, ne demandant pas son reste, prend la poudre d’escampette.
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyVen 29 Jan - 23:37

Rodrigo


Et trois démons échevelés fondent en hurlant sur le ramassis nauséeux d’odieuses crapules, surprenant les malandrins alors qu’ils se gaussaient grossièrement des deux captives déjà plus qu'à-demi enfoncées dans un sac de jute.

Trois, ils ne sont que trois, mais ils ont en eux la rage et la férocité d’une horde de loups en quête de proies à déchiqueter.

Excitée par ce tintamarre, par les cris de haine et de défi, la monture de Rodrigo se cabre, éparpillant devant elle la meute des brigands. L’un d’entre eux s’écroule, touché au visage par les sabots du cheval, et geignant lamentablement tout en recrachant une poignée de molaires et d’incisives.

Les yeux inquiets de Rodrigo fouillent l’ombre des hautes frondaisons. Les battements précipités de son cœur ne sont pas dus à cet affrontement sauvage qui débute. Non. Où est Malika ? C’est son seul soucis, son unique priorité. S’il lui est arrivé malheur, il va déclencher un horrible massacre. Le sang de ses victimes va colorer de teintes écarlates le gris de la mer. Soudain son cœur fait un bond ! Malika est là, tâchant vainement, par mille reptations, de se glisser hors d’un havresac qui l’emprisonne presque totalement. A côté d’elle, dans la charrette, Isabella fait de même. Etrange, voilà que la brune, cruelle instigatrice du rapt de sa rivale, est également captive des truands …

Pas le temps d’approfondir la question ! Tel un fou furieux, Rodrigo jaillit de sa monture, se précipite d’un bond dans la carriole, et tranche d’une main ferme les liens qui immobilisent les deux jeunes femmes. Dieu qu’il aimerait prendre le temps de serrer sa gitane entre ses bras. Dieu qu’il a eu peur de la perdre définitivement. Mais, autour d’eux, Omar et ses troupes ont repris du poil de la bête. Les lames des épées scintillent sous les rayons du soleil. La surprise est passée, les truands s’organisent, et les premiers cliquetis des armes qui s’entrechoquent se répandent dans les sous-bois. Rodrigo a juste le temps de caresser la joue de sa gitane avant de se jeter dans la mêlée.

Il lui murmure dans un souffle … Amour, éloigne-toi du combat, cours vers les arbres et cache-toi !

Puis il lance un regard mauvais à Isabella. Ses doigts se crispent sur la poignée de son épée … Quant-à-toi, si tu as réellement cherché à nuire à Malika, tu ferais mieux de disparaître sur le champ ! Prends un cheval et va t-en d’ici avant que je ne change d’avis !

Tout-à-coup, la carriole tremble sur ses roues, contraignant le jeune officier à s’accrocher d’une main à la cloison de bois. Le marin édenté se hisse à l’intérieur, le visage ensanglanté, vomissant un chapelet d’injures et de menaces. Il n’ira pas plus loin. La jambe de Rodrigo se tend instantanément, et son pied droit percute la mâchoire du gredin, qui s’affaisse lentement dans le sable et les cailloux du sentier. Un de moins !
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyDim 31 Jan - 21:33

Isabella


Isabella la grande, Isabella la belle, Isabella la respectée. Isabella la fière, Isabella la flamboyante portugaise, Isabella la bourgeoise. Oui, cette Isabella, elle est tout plein de choses.
Sauf qu'à ce moment là, -alors que le gros Paco la jette dans une carriole- tous ces petits adjectifs flatteurs n'ont plus aucune valeur. Elle n'est plus dans son monde, là où elle est maîtresse des lieux, là où les règles ne lui sont que favorables et que chaque personne lui obéit au doigt et à l'œil. C'est une autre planète, où tout marche à l'envers, les gueux sont vénérés et les riches sont esclaves. C'est un Portugal qu'elle ne connait pas. Un Portugal où elle se sent dépaysée et dominée.

Dépassée encore une fois par les événements, l'hygiène douteuse de Paco et la blonde qui ne cesse de la narguer du regard, la brune se laisse aller dans le sac miteux. Ses pieds, ses cuisses, son ventre, sa poitrine, disparaissent à l'intérieur. Puis sa gorge, sa bouche, son nez...

Des hurlements furieux retentissent au port. Les yeux d'Isabella, eux, sont toujours là, à regarder le spectacle, éberlués. Le temps s'arrête lorsqu'elle voit les trois cavaliers se river vers la carriole. Tout va au ralenti, le cheval qui se dresse sur ses pattes arrières, un fidèle d'Omar à terre, l'épée de Rodrigo qui se lève, meurtrière, qui tranche ses liens et ceux de la gitane.
Fixant intensément les lèvres du marin, c'est à peine si elle comprend ce qu'il lui dit. Mais son regard enragé lui fend le cœur en deux, vraiment.
Est-ce fini ? La guerre est finie ? Et elle a perdu ? Est ce ça la fin de l'histoire ?

Ses poings se crispent, de nouveau le temps reprend son cours, les cris fusent, les coups de lame résonnent. Elle se lève, tout son corps redoublant d'excitation et de hargne, saute à terre, retombe sur des pieds endoloris et gélatineux et s'affale dans le sable chaud, la tête la première. Dommage, sa sortie était presque réussie.
Elle se relève, donc, esquive de justesse un brigand qui se bat avec Rodrigo, parvient jusqu'à un cheval -qui n'appartient visiblement à personne- puis se hisse dessus.

Une œillade furtive autour d'elle.
Non, ce n'est pas la fin.
Elle claque ses talons contre le flanc de la bête, tire sur les rennes et fait demi tour, à l'opposé du port.
La fin sera seulement quand elle, Isabella Gonzales d'Almirante, l'aura annoncé.
Fuir, prévenir doña Philippa, et trouver un plan d'urgence avant que la situation ne s'empire. Telles sont ses intentions pour le moment. A moins que...


Paco


Ah non ! S’il y a sur terre une chose qui irrite profondément Paco, qui déconcerte son esprit poussif éprouvant toujours le besoin impératif de se reposer sur des consignes précises, c’est qu’une bande de fieffés gredins surgisse de cette manière, le couteau entre les dents, et perturbe les plans les plus savamment élaborés.

L’obèse est plein de bonne volonté lorsqu'il faut croiser le fer ou distribuer des torgnoles, mais le voici contraint d’éviter les sabots d’un cheval dressé sur ses pattes postérieures, et de reculer de quelques pas, guettant déjà les réactions d’Omar, espérant y trouver une ligne de conduite ou mieux même obtenir quelques instructions. Mais le patron a d’autres chats à fouetter. L’épée au poing, le maure se lance en direction de leurs agresseurs, rameutant ses fidèles autour de lui d’une voix autoritaire et passablement énervée.

Bon ! Dès lors Paco se débrouillera seul. Puisque Omar lui a confié la responsabilité des deux prisonnières, il va se montrer à la hauteur de sa tâche. Bon sang ! On lui répète sans cesse qu’il n’est pas le plus éveillé de la troupe, mais cette fois-ci il va stupéfier ses comparses. Chacun reconnaîtra enfin qu’il est un des rouages essentiels de l’organisation, le mammouth ! Ouille ! Voici que l’histoire se complique. Un grand escogriffe vient de libérer la blondinette et la brune aux gros seins, qui s’échappent toutes deux de leur prison de jute. La bourgeoise a déjà sauté sur un cheval et s’éloigne au galop. Oh mais non, c’est pas permis, c’est son canasson à lui qu’elle a sous les fesses ! Maudite créature ! Mais c’est du vol, ça !

Tout-à-coup un corps s’affaisse à ses côtés, et glisse sous la carriole. C’est le vieux marin, dont le pif vient d’exploser sous le talon du joli-cœur. Pauvre gars … Paco l’a bien reconnu, c’est le joyeux drille qui raconte toujours des histoires drôles sur le bateau, et qui les répète même deux fois quand l’obèse ne les comprend pas tout de suite. Non, ça ne va pas se passer comme ça ! Une colère terrible le pousse à l’action, le gros Paco ! Son regard bovin se pose sur l’ardent défenseur de ces dames, toujours fièrement dressé dans la charrette, et couvant des yeux sa greluche. Tu vas voir, mon gaillard …

Le mastodonte se précipite. Ses doigts boudinés agrippent les flancs de l’antique chariot, et, au prix d’un effort colossal, il soulève le véhicule et le renverse dans le sentier, ahanant ensuite comme un lutteur de foire après un dur combat. Le freluquet roule dans les cailloux, jusqu’aux buissons les plus proches.

Et maintenant ? Ah oui … Le pachyderme ramasse son épée et court vers l’inconnu afin de le couper en rondelles. On va voir ce qu’on va voir ! On n’aurait pas du lui voler son cheval ! Non mais c'est quoi ces manières …


Malika


Au milieu de la poussière soulevée par les sabots des chevaux et des cris de surprise et de rage poussés par les hommes d’Omar, Malika le voit, elle ne voit que lui. Il est là, son beau Capitaine. Il est venu la libérer.

Elle ne sent plus ni la fatigue, ni la peur, ni même l’odeur de poisson séché que dégage le sac de jute dans lequel ses ravisseurs allaient l’enfermer.

D’un coup d’épée Rodrigo tranche les liens qui l’entravent, et le cœur de Malika explose dans sa poitrine. Leurs yeux se croisent, se criant leur Amour. Rodrigo prend le temps de lui caresser la joue, lui conseille de s'éloigner, de se cacher parmi les arbres !
C'est la voix de la raison. Elle ne peut rien faire pour l’aider contre ces brutes. Elle ne fait pas le poids contre ces monstres.
Vite, elle court vers le bosquet de chênes, et, s’appuyant contre un tronc rugueux, elle reprend son souffle. Son regard balaye la scène.
Monté sur le charriot branlant, d’un coup de botte Rodrigo a déjà mis un homme à terre. Le marin édenté crache ses dernières dents. Les chevaux sans cavalier hennissent et ruent des quatre fers. C'est la pagaille autour de la carriole.

Soudain la gitane pousse un cri rauque.

Ver az vrat ! ( Par le sang du seigneur ! )

Isabella n'a pas perdu un instant. Elle a enfourché la carne sur laquelle le gros Paco l’a transportée, et déjà s’éloigne à toute allure en direction de la plage.

Malika hausse les épaules. Plus question pour elle de s'éloigner de son amant. Que cette mégère aille se faire pendre ailleurs. Elle secoue légèrement la tête, et marmonne Kö :üsse ! ( Que le diable l’emporte ! )

Mais la haine est plus forte que la raison. La fière gitane serre les poings en maugréant.

Haaaaaaa Non ! Mille fois non ! Elle ne va pas s’échapper comme ça, pas sans avoir payé le mal qu’elle m’a fait ! Elle m'a humiliée, réduite à l’état animal, frappée alors que je ne pouvais pas me défendre ! Il faut que je l'empêche de fuir ! Il me faut à tout pris une monture !

Livré à lui-même, Tempête, l’étalon de Rodrigo, s’est rapproché du bosquet. Doucement Malika l’appelle.
Le Magnifique étalon noir donne du col. Ce brave compagnon, ils l'ont acheté à Paris, et avec lui ils ont franchi les cols des Pyrénées, pour arriver ici, à l’Hacienda.

Quand ? Il y a déjà un siècle ... Confiant, il hume l’air en renâclant. Malika se saisit des brides, et après une caresse sur le cou de l’étalon, l’enfourche, ses cuisses nues enserrent les flancs de Tempête. En douceur elle tire légèrement sur les rênes, le mors lui donne la direction à suivre, elle le talonne, et la voilà femme centaure, la voilà amazone vengeresse.
Elle fait corps avec le majestueux pur-sang lancé au galop, et se penche à son oreille, l'encourageant de quelques mots.
Allez va ! Va mon beau !

Cette maudite Isabella a pris une avance considérable, mais, sur la plage de sable blanc, Tempête peut libérer toute sa puissance, et l’écart se réduit rapidement.
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyMer 3 Fév - 14:07

Isabella


Les sabots du cheval au galop laissent derrière eux une trainée de poudre sablée tandis qu'Isabella se perd dans le bercement des vagues alléchantes. Des grains de mélancolie viennent se coller à ses pupilles, alors que ses cheveux volent au vent, laissant sa nuque respirer à nouveau. Enfin, elle se retrouve, sereine et d'attaque pour trouver une solution à son problème.

Analysons la situation : leur plan a totalement échoué, Rodrigo les a retrouvées, Omar et sa clique vont se retrouver avec quelques membres en moins et le père Joaquim va sûrement y fourrer ses pattes. Oui, vraiment, tout va mal. Tout ça pour une gitane au nom horriblement inharmonieux. D'ailleurs, que va-t-elle faire maintenant ? Refaire sa belle auprès du marin, le reconquérir. Tss, tous ces efforts pour rien. Quel gâchis, quel gâchis !

Mais ? D'où viennent ces cris sauvages ? Et, pourquoi ces mêmes cris se rapprochent ?
La bourgeoise tente un regard en arrière.

Non ! Encore elle !

Elle pousse un cri de rage, libérant encore une fois -et sûrement la dernière- toute la fureur en elle. De ses lèvres s'échappent des jurons horribles, qu'une dame digne de son nom ne devrait prononcer. Non, là non, c'en est trop !

Tu veux jouer ? On va jouer !

Elle tire sur les rênes du cheval, se met en appui sur les étriers, et se penche en avant pour prendre encore plus de vitesse.
Le galop se fait plus rapide, des petites larmes se forment au coin de ses yeux, mais elle ne perd pas le nord, Isabella. Enfin, si, elle l'a perdu depuis longtemps, l'est paumée dans un coin du Portugal sans pouvoir rien faire. On dira plutôt, elle n'a pas perdu de vue son objectif !

Suis moi, si tu en es capable...

Là, elle tourne brusquement, quittant le sentier encore praticable pour le sable, le vrai, le pur et le profond. Les pattes du canasson s'y enfoncent, il hennit de désarroi ou peut être de surprise, la brune hurle "avance! avance", de peur d'être rattrapée par la gitane.

Le cheval manque plusieurs fois de tomber, se rattrape de justesse, reprend sa route, difficilement. La cavalière ne sait pas vraiment où elle va. A moins que le-plus-loin-possible-de-Rodrigo-et-sa-bande ça compte. La seule chose qui importe, c'est d'être isolée. Isolée pour pouvoir lui mettre une bonne raclée !

Et, c'est dans l'aveuglement le plus total, que la jeune portugaise se retrouve à grimper une dune du Portugal, suivie de près par Malika.


Rodrigo


Les oiseaux volent.
Les papillons volent.
Et soudain, comment est-ce possible ? Voilà que Rodrigo vole aussi … Il est catapulté dans les airs, projeté vers l’azur comme un fétu de paille emporté par une bourrasque.

Plus dure sera la chute, dit-on.
Par bonheur il retombe dans une couche épaisse de sable mou, les bras en avant, réussissant quelque peu à amortir son plongeon inattendu. Et il roule jusqu’au pied des mimosas, qui arrêtent sa voltige vertigineuse, son roulé-boulé acrobatique mais peu académique. La carriole s’écrase aussi à ses côtés, dans un grincement déchirant de sa vieille carcasse toute disloquée. Rodrigo se secoue la tête, tentant de reprendre ses esprits. Son ancienne blessure à la hanche manifeste un vif mécontentement d’être ainsi réveillée et maltraitée. Mais bon, dans l’ensemble, plus de peur que de mal.

Tout-à-coup, une ombre d’une taille phénoménale étend sur lui sa grise pelisse, et le recouvre entièrement. Juste ciel ! Rodrigo lance un regard affolé dans cette direction. Un pachyderme au souffle court, bredouillant un chapelet d’infâmes jurons, destinés surtout à une voleuse de chevaux, a surgi dans son dos, l’épée à la main, tendue vers lui. C’est une montagne qui se déplace. Le jeune officier a juste le temps de se précipiter dans les buissons avant d’être embroché sans pitié.

Il se redresse ensuite, tant bien que mal, légèrement groggy, les yeux inspectant rapidement le champ de bataille et le sentier serpentant vers la mer. En vain. Son épée semble bel et bien avoir disparu … tout comme disparaissent vers la plage deux chevaux lancés au galop. Bon sang ! Le jeune homme identifie instantanément les cavalières. Malika n’a pu s’empêcher de poursuivre Isabella, sa rivale détestée. Les voici à nouveau séparés. Quelle imprudence ! Que va t-il se passer si sa gitane rejoint la brune ?

Rodrigo n’a pas le temps de s’inquiéter davantage pour sa belle ! Le gorille fond déjà sur lui, sa lame prête à le fendre en deux. Le jeune officier est à nouveau contraint d’esquiver, et de reculer, parvenant à placer entre eux un arbuste maladif, frêle barricade pouvant ralentir un instant le monstre velu.



Malika


Dans l'excitation de la poursuite, Malika encourage Tempête de la voix, et l'écart diminue peu à peu. Le cheval qu’a emprunté Isabella est maigre et mal entretenu, l’étalon noir va n'en faire qu’une bouchée.

Cependant, Isabella s'est retournée, a vu sa poursuivante et s'est mise à pousser son cheval au maximum de ses possibilités.

La blonde gitane est encore loin, mais elle voit la brune qui décide soudain de quitter la grève plate et rectiligne, et qui engage sa monture dans l'escalade de dunes sauvages et désertiques, difficilement franchissables pour les chevaux.

Elle est folle ! pense Malika, son cheval va s’enfoncer dans le sable sec et mou.

Qu'importe le but de cette manoeuvre, Malika refuse d'abandonner la poursuite.

Tu peux essayer ce que tu veux, szuka (chienne), je ne te lâcherai pas.

Elle a trop souffert pour laisser s'échapper cette rivale si cruelle et à l’orgueil dévorant, qui n’a pas su perdre avec noblesse. Elle ne lui fera aucun cadeau comme Isabella ne lui en a pas fait dans la crypte.

Malika n'est cependant pas sûre du tout de pouvoir dominer la bourgeoise dans le corps à corps désormais inévitable, elle a été trop affaiblie par sa détention, mais elle se fie à sa bonne étoile, au sang de ses ancêtres nomades, à la rage et à la haine qu'elle éprouve, qui lui donneront la force nécessaire. Du moins elle l’espère …

Tempête rencontre également des difficultés à dompter le sable mou et la côte abrupte, mais c'est une bête puissante. Peu à peu, Malika gagne du terrain et arrive enfin à la hauteur d'Isabella. Les flancs recouverts d’écume de leurs montures se frôlent. Les regards des deux jeunes femmes se croisent, assombris par la colère.

En un éclair, Malika revoit les camps de son enfance. Les cosaques qui lui ont appris à monter seraient fiers d’elle. En un éclair elle se remémore les gestes de voltige durement appris. Pour raccourcir les rênes elle les prend entre ses dents, et elle abandonne les étriers. Gênée par la selle, elle recule sur la croupe large et solide de l’étalon où elle arrive à se mettre à genoux, prenant ainsi de la force pour se projeter. L’accord entre la cavalière et la monture est parfait.

Malika pousse un hurlement sauvage en se jetant sur Isabella, la brune est désarçonnée, et elles tombent au sol, roulant dans le sable, corps et membres emmêlés.

Deux panthères, l’une fauve, l’autre noire, décidées à combattre jusqu'à la mort …
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyVen 5 Fév - 23:33

Paco


Après son vol plané, gracieusement offert par le gros Paco, voilà que le freluquet se faufile en rampant entre les buissons, ondulant comme ces anguilles qui fuient les bottes du pêcheur parmi les plantes aquatiques. Le mammouth se précipite vers lui, avec une ardeur méritoire, mais une efficacité limitée. Sa lame fend l’air à maintes reprises, de gauche à droite, de haut en bas, mais elle n’écrase que les cailloux, ne décapite que les branchages.

Et le pachyderme s’énerve ! Cette course-poursuite lui rappelle ses limites. Non, agilité et souplesse n’entrent pas dans ses aptitudes physiques. Lui, il est le prototype parfait du colosse bête et méchant, celui qui explose une citrouille d’une simple pichenette. Il en est conscient, mais bon, que faire d’autre ? Et zou ! sa lame s’abat encore, mais ne heurte cette fois qu’un modeste galet égaré qu’elle pulvérise en mille miettes. Le chéri de ces dames s’est relevé, il est déjà à trois pas, se réfugiant derrière un arbuste minable.

L’adipeux s’approche du moustique. Il feinte. Il fait mine de partir à droite et démarre vers la gauche, mais ses déplacements sont trop laborieux pour surprendre son adversaire qui évite ses attaques avec une vivacité étonnante.

Paco s’essouffle. Sa respiration est sifflante comme celle d’un vieillard asthmatique cloué au lit. Rien à faire. Jamais il n’y arrivera tout seul. Regard implorant vers ses comparses. Non, aucune aide à attendre d’eux pour l’instant.

Le gorille pousse un long cri de rage et d’impuissance. Devra t-il abdiquer ? Ranger ses envies de meurtre ?

T’en as pas marre de déguerpir ? Viens te battre comme un homme … hurle t-il ! Mais cette idée ne semble pas enthousiasmer le galant homme, dont les yeux fouillent toujours le sol à la recherche d’une arme quelconque.

La colère et la frustration arrachent à Paco un rugissement bestial, qui s’échappe du plus profond de ses entrailles. Sans réfléchir, il tranche net le pied de l’arbuste qui le sépare du gringalet, et il éloigne tiges et tronc d’un bon coup de botte. Comment n’y a t-il pas pensé plus tôt ?

Le godelureau voit ainsi s’envoler son écran protecteur. Il recule encore et toujours, mais, derrière lui, à demi-camouflées par les branchages, se dressent les murailles épaisses d’un ancien bâtiment du port. Toute fuite semble désormais impossible. Un sourire éclaire la face rubiconde du gros Paco.


Isabella


... combattre jusqu'à la mort, et plus encore.

Les deux femmes roulent dans le sable brûlant tandis que les chevaux continuent leur course, redescendant de nouveau vers le littoral.
Cette fois elles sont seules. Enfin, le face à face tant attendu. Plus de limites, plus de règles, tout est permis, elles sont prêtes à tout pour l'amour d'un homme.

Et leurs chevelures s'enchevêtrent, formant un joli mélange de brun et d'or dominé par un beige tendre et brillant, reflétant chaque rayon du soleil. Et leurs bras et leurs pieds aussi s'emmêlent, se démêlent, s'agrippent, le tout en puisant quelques forces dans des cris sauvages à moitié étouffés à cause du sable qui vient se poser sur les palais asséchés des donzelles.
Elles dévalent ainsi la dune, dans un roulé-boulé bruyant et haut en couleurs.

Une fois sur la terre redevenue plate, Isabella s'empresse de reprendre le contrôle de la situation, grimpe sur Malika, à califourchon. Vite, elle prend une poignée de grains dorés qu'elle jette au visage de la gitane.

BOUFFE CA !

Encore une autre plus grosse, tiens, dans les dents ! Dans le nez !

Alors, blondasse, on fait moins la maligne ?!
Damoiselle la fille du déserrrrrt ! L'est bonne ta terre ?!

Puis elle pose les mains sur sa gorge, pressant avec force. Un sourire plein de sarcasme s'étire sur ses lèvres.

Tu ne me fais pas peur ! Quel soulagement, je peux enfin t'abimer ! On commence par quoi ?! Les yeux, la bouche ? Où tu préfères mourir tout de suite ?

La pression de ses doigts se fait plus insistante, sa colère plus puissante, et lorsque leurs regards se croisent, encore une fois, les jurons s'échappent.

Sorcière ! Crève ! Gitane méprisable ! Catin ! CATIN ! Crève ! Tu n'as rien à faire ici ! RIEN !


Malika


Enchevêtrées dans une douloureuse étreinte, elles ont dévalé la pente de la dune rose. Et c’est Isabella qui se montre la plus prompte et la plus habile à se ressaisir. Elle prend nettement le dessus sur la jeune gitane, lui jette des poignées de sable dans la bouche, dans les yeux, puis lui serre la gorge avec une fureur sans limite.
A moitié étouffée par les doigts crispés autour de son cou, Malika réalise avec effroi qu’Isabella possède une force qu’elle ne soupçonnait pas. Et elle est submergée par la hargne et l’ardeur de sa rivale. Un voile rouge passe devant ses yeux, l’air ne passe plus entre ses lèvres asséchées. Malika gémit, la douleur est atroce. Sous ses paupières mi-closes, ses yeux sont à vif. Elle a le sentiment que des millions d’aiguilles les transpercent.

Comme dans un cocon, un murmure lointain, elle entend les injures et les menaces proférées par la bourgeoise, qui n’a plus du tout l’air d’en être une. L’impitoyable brune les lui répète encore et encore, d’un ton méprisant, bien décidée à la détruire sans tarder.

Mais dans cette terreur qui l’envahit, et dans les injures proférées par Isabella, la gitane puise une force inespérée.
Haaaaaaaa ! Tu veux que je meure ?
Non ! Mourir ? Il n’en est pas question une seule seconde. Maintenant qu’elle est libre de ses gestes, elle ne va pas se laisser éliminer par cette maudite bourgeoise.
Ses doigts s'accrochent de toutes ses forces aux poignets d'Isabella. Il faut qu'elle réussisse à se dégager de cette étreinte au plus vite, sinon elle n’y parviendra plus.
Malika produit un effort gigantesque, qui lui arrache un long cri de douleur. Hélas, Isabella la maintient toujours au sol, le sourire dédaigneux, les pouces joints pressant sur sa gorge.

Les mains de la gitane glissent le long des bras de sa rivale. Sans réfléchir, elle agrippe deux doigts d’Isabella et les lui tord brutalement. Le hurlement poussé par son adversaire lui donne à penser qu’elle a du lui casser les doigts.
Cette fois la pression sur sa gorge prend fin, en sifflant l’air rentre dans les poumons de Malika, elle arrive à inverser la situation en roulant, et elle se retrouve à cheval sur le corps de la brune. Elle se met à la gifler avec rage.
Tiens en voilà une pour la soupe brrrûlante, une autre pour m’avoirrrrr humiliée, une autre pourr m’avoir enferrrmée dans la crypte, et frrappée sans que je puisse me défendrre…

Malika devient folle, la rage l’aveugle, elle frappe à tour de bras la belle brune dont les joues prennent un ton vermillon.

Ha ! tu veux que je crrrrèveeee ! Dis toi que j'ai quelque chose à fairrre ici, puisque c'est Rodrrrigo qui l'a voulu ! Lui me veut vivante ! Tu n'aurrras pas ma peau, je la vendrai chèrement.
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyDim 7 Fév - 16:51

Isabella


Les cris de douleur font un joli duo avec le bruit des claques, bien en rythme, dans le bon tempo, et tout. Une musique pour le moins étrange, intensifiée de temps en temps par une mélodie allègre aux mots roulés. Et puis, c'est une note brusque, un bémol, qui provoque une montée en puissance, un crescendo dans toute sa splendeur.

Isabella à l'impression de se trouver sur un bûcher. En même temps, les conditions sont les mêmes, ou presque. Le sable est brûlant, le soleil tape fort, tout comme les mains de Malika, et ses malheureux petits doigts souffrent le martyr, d'ailleurs ils commencent à virer au bleu.

Ses joues, maltraitées, sont écarlates. Elles s'embrasent, s'incendient. Et elle à mal, la bourgeoise. Jamais on ne lui a fait ça. Jamais personne n'a osé. En général, c'est elle qui met des claques. Claquée la claqueuse !
Si ça se trouve, ses pauvres joues saignent, et les marques des phalanges de la gitane vont se retrouver à jamais gravées dans sa peau...

NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOONNNNN !!!!!!!

Le cri sort du plus profond de ses entrailles, de sa chair violentée, de toute cette haine, cet amour, cette fatigue. Elle devient folle, Isabella. Elle lie sa folie à celle de Malika, ce qui enclenche une éruption de rage et de colère. Deux furies dans le désert, c'est pas un peu trop dangereux ça ?

Leurs pupilles noires se croisent, l'une en position dominante, l'autre à sa merci.

TU VAS ME LE PAYER !!!

S'apprêtant à recevoir une nouvelle paire de baffes, la brune, les larmes au bord des yeux, met ses coudes devant son visage écarlate, pour le protéger... bien que le pire soit déjà fait. Elle réussit à parer le coup. Alors, sans perdre de temps, elle attrape férocement le bras de la gitane, ce qui lui arrache un hurlement de surprise : dans ses doigts déjà endoloris se diffuse une douleur atroce, indescriptible, jamais ressentie. Et pourtant, avec vivacité, et sans vraiment réfléchir, elle le tord, son bras, un coup à droite, un coup à gauche.

Tu crois que je vais me laisser faire ?!

Elle se glisse derrière elle, son bras toujours maintenu.

Qu'est ce que t'en dis, s'il ne te reste plus qu'un bras ?! Rodrigo t'aimera toujours autant ?

Un éclat de rire jaillit de sa bouche, elle la pousse un grand coup, la faisant tomber dans le sable à plat ventre. Les bras dans le dos, la gitane ne peut plus rien faire. D'autant plus qu'Isabella s'assoit sur elle, triomphante.

Je te l'arrache ton bras ?!! OOOooh oui... un... deux...tr...


Rodrigo


Le dinosaure qui le poursuit a des pieds de plomb. Et il est aussi raide qu’un piquet de clôture, derrière son énorme bedaine qui tressaille à chaque pas. Heureusement qu’il subit cet handicap sérieux, car son épée pulvérise tout ce qu’elle atteint.

Le vaillant arbuste derrière lequel Rodrigo s’est réfugié n’échappe pas à la règle. Il est tranché d’un coup sec comme un vulgaire pisse en lit. Un coup de botte qu’envieraient les joueurs de soule les plus réputés envoie valdinguer sa dépouille hors du passage du Minotaure.

Rodrigo recule, mortellement inquiet pour sa petite santé, mais bien plus encore pour sa gitane qu’il a vu disparaître aux trousses d’Isabella. Il connaît la brune par cœur. Sous des dehors charmants, elle peut se montrer d’une férocité implacable.

Bon sang ! A force d'être repoussé par la brute, le voilà soudain acculé, adossé à une muraille à-demi mangée par le lierre. Ce mur branlant doit dater d’une autre époque. A son pied dorment de lourds blocs de pierre. Le jeune officier n’est pas taillé en hercule, mais ces rochers constituent peut-être son salut. Il s’abaisse vivement, tandis que le mammouth s’approche en s’épongeant le front du revers de sa manche. Ses doigts se referment sur l’un des blocs. Non, celui-là est bien trop lourd ! Vite, un autre, de taille plus raisonnable. Voilà. Hop ! Deux pas d’élan, un coup de reins, et il le balance en direction de l’obèse, qui n’est plus qu’à quelques pas. Youppie ! Il est touché en plein bide. Le gorille est stoppé net dans sa progression, l’air très surpris de ce cadeau tombé du ciel. Rodrigo soulève un second rocher, le hisse au-dessus de sa tête, à bout de bras, puis l’expédie sur son adversaire. Le coup est heureux, mais, il faut bien l’avouer, la cible est immanquable, pareille à un éléphant dans un corridor étroit. Cette fois c’est la cuisse du colosse qui reçoit le projectile. Il pousse un grognement animal, et tombe à genoux.

Vite, vite, Rodrigo contourne sa masse adipeuse. La chance lui sourit. Son regard se pose enfin sur une épée, accrochée aux flancs d’un des nombreux étalons errant sur le champ de bataille. Il se précipite vers l’animal, et sa main se referme vivement sur la poignée de l’arme. Mouais. Ce n’est pas Excalibur, mais c’est mieux que rien. Un coup d’œil vers le pachyderme qui se relève en soufflant comme un bœuf, un autre vers son père et Sajara aux prises avec le reste de la bande. Il n’hésite qu’un instant. Finalement cette arme n'était pas indispensable pour ce qu'il envisage. Quitte à passer pour un lâche, c’est la vie de Malika qui importe pour lui. Rien d’autre. Sa décision est prise.

Rodrigo saute sur la selle du canasson …


Malika


C’est une pluie de gifles qui s’abat sur le visage sanguinolent de la brune. Malika frappe sans viser, sans compter, sans réfléchir. Elle frappe, et c’est tout ! Et vlan, encore un échantillon ! Quelle sensation exquise après toutes ces humiliations ! Ses mains lui font mal et leur paume est aussi rouge que le visage d’Isabella.
Tout son corps crie vengeance, elle a trop subi de souffrances de la part de la brune et elle frappe encore et encore, elle atteint les limites de la folie, qui lui font perdre tout sens de la mesure. Mais elle est sûre que c’est pour sa survie qu’elle se bat.

Tu voulais m’étrrrangler, diablesse ! Fallait même pas y penser ! C’est mon tourr de rirre maintenant, et dans quelques instants tu serrras méconnaissable, même ta mèrrre te reconnaitrrra pas.

Quelques gifles manquent toutefois leur cible. Isabella parvient à protéger un peu mieux son visage tuméfié, derrière ses avant-bras. Qu’importe ! Le bras de Malika se tend à nouveau vers les joues rougies. Ses doigts, toutes griffes sorties, se rapprochent des yeux sombres.

Je vais te crrever les yeux !

Elle ne sait pas comment, mais Isabella s’est subitement ressaisie. Elle s’est emparée de son poignet avec rage, et en un clin d’œil la brune réussit à se glisser dans son dos et à lui tordre violemment le bras. Sous la douleur Malika gémit, un cri de désespoir s'échappe de sa bouche.

Oh nonnnnnnn ! Pas ça …

Malika n’ignore pas qu’un fauve blessé est infiniment plus dangereux mais elle est à nouveau décontenancée par la force de sa rivale. Par sa rudesse. Pour la deuxième fois Isabella la tient en son pouvoir. Sa pensée s’envole vers Rodrigo. Où est il ? Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé ? Pourquoi ne suis-je pas restée auprès de lui ?

Leurs visages se métamorphosent. La souffrance des yeux noirs est passée dans ceux limpides de la gitane, et les lèvres craquelées de sa rivale s’ornent d’un large sourire triomphant.

Isabella se déchaîne, les yeux fous, les cheveux dénoués et épars. Malika subit sa loi sans pouvoir réagir. Elle est projetée face contre terre, et la brune, installée sur son dos, lui tord cruellement le bras en riant aux éclats. Toujours cette même ironie, ce même orgueil …

La bourgeoise entame un sinistre décompte. Peut-elle réellement lui arracher le bras ? Non, mais le casser, ou lui déboîter l’épaule, c’est plus que sûr. Elle soulève de plus en plus vers elle le membre tordu, la position est intenable.

Malika pousse un hurlement de douleur ! Elle se tord pour déséquilibrer la brune, mais ne réussit qu’à amplifier la souffrance dans son bras et son épaule.

Nonnnnnnnnn ! Arrrrêteeee ! De grrrâce … Lâche moi ! Je parrrtirrai !!! Lâche moi … supplie la blonde, les yeux remplis de larmes, à la merci de sa rivale.
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyMar 9 Fév - 14:29

Paco


Cette fois le gros Paco a tout compris ! Qui osera encore prétendre qu’il n’est qu’un abruti ? Cette bande de voyous, qui a libéré les deux donzelles, celles qui semblaient pourtant se détester … hé bien ce sont des voleurs de chevaux. C’est évident ! Mais heureusement, Paco veille au grain. Ca ne va pas se passer comme ça ! Rien ne lui échappe !

Après la brune aux gros nichons qui lui a dérobé son cheval, auquel il tenait beaucoup, voilà donc le joli cœur qui essaie de prendre la poudre d’escampette avec la monture d’Omar ! La monture du patron ! Vous vous rendez compte ? Quel culot ! Il faut qu’il empêche ça ! Le chef lui en sera reconnaissant jusqu’à la fin de ses jours.

Le mammouth se hâte lentement, et, en dépit de sa démarche indolente, il parvient au milieu du sentier avant que son adversaire ne débouche sur la monture du boss. Le gorille s’y campe fermement, sur ses jambes épaisses comme des troncs d’arbres centenaires. Et le voilà, il arrive au grand galop, ce sale voleur.

Le cavalier fait un écart pour éviter cette montagne humaine qui se dresse soudain devant lui. Inutile. La main du géant s’est ouverte, aussi large que les roues de la charrette. D’une bourrade puissante, il projette le jeune homme dans les buissons qui bordent le sentier. Ce vil malandrin voleur d’étalons n’a que ce qu’il mérite ! Paco pose sa grosse botte de peau sur le torse de l’inconnu, ridiculement allongé entre deux massifs de mimosas.

Le pied du pachyderme pèse deux tonnes. Il ricane, le gros Paco, très fier de son exploit, écrabouillant le cloporte avec un plaisir évident.

T’aurais jamais du faire ça, mon gaillard ! Ni me bombarder avec tes cailloux. Tu m’as fait mal. On va s’expliquer maintenant !

Un coup d'oeil vers son épée, bêtement oubliée près de la muraille, entre les blocs de pierre jonchant le sol. Mouais, on ne peut pas penser à tout lorsqu'on s'appelle Paco. Mais s'il va la chercher, le voleur va s'enfuir, non ? Quel dilemme encore ...


Isabella


..tr...

Lâche moi !

Le sourcil gauche finement épilé d'Isabella se lève, ses yeux s'écarquillent. Alors comme ça, sa rivale abandonne aussi facilement le combat ? C'est décevant.
Elle bougonne un petit "trois", insatisfaite et boudeuse, alors que dans sa tête les cris de rage, la fureur et la folie fusaient en tous sens. Malika ne quittera pas si aisément les terres portugaises, c'est sûr. Depuis les quelques jours qu'elles se côtoient, la bourgeoise a su apprendre à la connaitre, malgré la situation, les manigances et leurs liens tissés à contresens. Pi, question mensonge, c'est plutôt une connaisseuse. Donc... autant continuer, non ?

Encore une fois, le bras de Malika est tordu, contorsionné, retourné. Mais, bizarrement, la brune ne ressent plus la même excitation, sachant parfaitement que la blonde, elle, en a marre de jouer à chien et chat et que, visiblement, le drapeau blanc est hissé.
Elle lâche un soupir las, en faisant de même pour les membres usés et exténués de la gitane. Si les menaces ne marchent plus, il faut changer de tactique. Monter d'un cran la pression : jouer avec le feu, jouer avec la vie, jouer pour l'amour. Et en finir, une bonne fois pour toutes.

Alors elle se penche en avant, allongeant sa poitrine contre le dos étroit de la blonde. Son index se pose sur sa joue, tandis que son pouce se cale en dessous de son menton, maintenant fermement son visage. Un ongle s'enfonce légèrement dans la peau dorée, et les lèvres d'Isabella se rapprochent vers une tempe salée, frôlant inévitablement l'épiderme de la fille de Bohème.
La respiration s'accélère et le murmure se fait rauque, prenant presque une tournure sensuelle.

Rodrigo est à moi, pour toujours. Quoi que tu fasses, quoi que tu dises.

La main de la brune descend le long de la gorge de Malika, main à la fois douce et rude.
Un souffle dans l'oreille.

Ta descente aux Enfers est juste... inévitable.

Et les doigts s'acharnent sur le cou de la gitane, assurés de la mort très proche de leur victime.


Sajara


En arrivant sur les pas de Rodrigo, Sajara cabra son cheval, ce qui lui donna le temps de sortir son cimeterre ; il relança son destrier et donna un coup violent au premier ennemi qui se présenta, l’homme fut à moitié découpé par la lame. Tué sur le coup, il tomba comme un sac.

Sajara dépassa la charrette, puis cabra de nouveau sa monture pour cette fois-ci faire demi-tour.

Il fit un nouveau passage devant la charrette renversée, et abattit son cimeterre sur un nouvel ennemi. Ce dernier avait deviné la manœuvre et arrêta difficilement la lame avec son épée.

Les deux hommes commencèrent alors leur duel. Sajara sentait sa force, il dominait son adversaire grâce à sa position. Dressé sur son cheval, il assénait encore et encore de grands coups de cimeterre à son malheureux vis-à-vis qui commençait à céder.


Joaquim


Quand joaquim arriva quelques instants après ; ses deux compagnons étaient déjà confrontés à la troupe composée de brigands et de marins accourus en renfort.
Loin d’être effrayé par un groupe aussi bigarré, Arminho, sentait l’adrénaline monter en lui.
Imitant la manœuvre de Sajara, le premier adversaire qui s’était porté à sa hauteur fut décapité.
Immobilisant son cheval, il préféra en descendre. Perdant en avantage, mais gagnant en agilité et surtout soulageant son arrière train.
Il avança vers la charrette, et hop il embrocha un marin qui avait le dos tourné. Peu importe ! Tous les coups sont permis, une seule règle : rester vivant.
Joaquim continuait d’avancer… un larron qui tentait de s’enfuir, se prit les pieds dans une pierre et s’écroula. Le vieux guerrier s’aperçut que cet imbécile n’était armé que d’un couteau… Un grand coup d’épée en plein visage fut facile à lui asséner. Un autre ennemi venait de succomber.
Il vit ensuite un brigand s’avançait vers lui, aussitôt sans lui laisser la moindre chance Arminho, lui flanqua un grand coup de poing en plein visage, puis essayant de profiter de l’effet de surprise, il tenta de le pourfendre. Mais le bougre était agile et rapide, à peine reçu, le coup de poing fut oublié.

Le but d’Arminho était d’étriller ses adversaires dès le premier ou le deuxième coup porté.
Avec l’expérience, il savait qu’un combat se gagne dès les premiers instants, plus il se prolonge plus il est dur à remporter. Cela se vérifiait à chaque fois.
Il détestait les longs combats, surtout avec le poids des âges.
Voir un combat se prolonger n’était jamais bon.
Il savait que celui-ci serait malaisé car il était mal engagé.

Le bougre qui s’opposait à lui savait manier l’épée, quelques décennies auparavant, Arminho l’aurait surement engagé dans sa troupe. Mais à ce moment précis, son but était d’empaler ce misérable.
Une esquive, une attaque, un pas en avant, un pas sur le côté, une botte… raté !
Il faut tout recommencer.
Le vieux loup s’essouffle, il faut à tout prix mettre un terme à ce combat.
Il s’apprête à frapper de nouveau quand il voit son fils faire un vol plané, un gros lourdaud le maltraite.
- Foutre dieu !
Un sursaut d’énergie, lui permet de donner un grand coup de lame que son adversaire eut beaucoup de mal arrêter. Pourtant Joaquim sait que le combat est enfin gagné, il a vu l’ouverture…
Ce coup terrible qui a mis à mal la canaille à ouvert son flanc gauche… Cela saute aux yeux.
Peut être que ce pendard s’en est rendu compte mais c’est trop tard pour lui !

D’un geste prompt, Arminho, ramène son épée vers lui , s’avance et d’un coup d’estoc enfonce sa lame qui ne rencontre aucune résistance.
Un soudard de plus s’écroule à ses pieds.

Il eut tôt fait de regarder autour de lui, d’apercevoir Sajara aux prises avec un marin assez habile et surtout un individu qu’il identifie comme Omar.
Rodrigo toujours en délicatesse avec un obèse, moitié débile moitié eunuque, semble toutefois s’en amuser. Enfin c’est ce que se dit Arminho… par fierté…

Faisant signe à Omar, il l’invective :
- Viens prendre ta correction fils de truie !
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyVen 12 Fév - 15:26

Omar


Le regard noir et anxieux d’Omar survole le champ de bataille. Ce qu’il enregistre ne le réjouit pas. L’expédition est en train de capoter lamentablement. C’est le fiasco le plus douloureux qu’il ait jamais connu, de mémoire de crapule. Ses troupes sont rapidement décimées par les deux cavaliers plus âgés. De fines lames, assurément. Quelques marins accourus en hâte, alertés par les hurlements de rage, par les jurons et les blasphèmes les plus immondes, n’entendront plus jamais le chant des mouettes au-dessus de la mer. Seul le gros Paco semble s’en tirer. Il est occupé à piétiner le jeune audacieux qui a libéré les deux captives, tout comme un éléphant piétinerait une souris. Du côté de ces prisonnières aussi, c’est l’échec, adieu les jolis écus, même si ce n’est qu’un détail à côté de l’hécatombe qui l’entoure.

Soudain, à force de cogiter, Omar identifie un visage qui lui semblait vaguement familier. Arminho. Don Joaquim de Setubal. Leurs routes se sont déjà croisées jadis, de manière plutôt explosive. Ce vieux filou avait déjà cette réputation sulfureuse. Cette attitude autoritaire et vaniteuse d’aristocrate de haute lignée. Mais c’était surtout un adversaire féroce, un ennemi rancunier et impitoyable pour tous ceux qui ont eu un jour la malchance de lui faire du tort ou simplement de lui déplaire. Visiblement, il ne s'est pas adouci avec le temps. Sa présence en ces lieux n’est pas rassurante. C’est un molosse qui ne lâche jamais son os.

Tout-à-coup, d’autres cris de douleur, d’autres clameurs de victoire. De nouveaux cadavres jonchent le sol pour un repos éternel. Des têtes roulent dans le sentier, gorgeant le sable de fins ruisselets de sang vermeil. Flaques écarlates sur tapis jaunâtres. Ce diable d’Arminho procède au grand nettoyage. Il n’a plus d’opposant à sa portée. C’est le tour d’Omar, à présent. Le choc des titans. Et le vieux guerrier le défie, le provoque, l’injurie.

*Ne vends pas la peau de l’ours, vieillard prétentieux … Prends garde, ta suffisance va t’étouffer … Je suis d’un autre calibre que mes sous-fifres et que ces matelots dégénérés.*

Omar s’avance résolument, déplaçant son épée dans sa main gauche. Un fouet a jailli dans sa dextre. La lanière de cuir torsadé se tend soudain, claque entre les buissons comme un coup de mousquet, soulève un brouillard de sable blanc qui s’émiette lentement. Un premier avertissement sans frais, en quelque sorte, destiné à impressionner l’ennemi, à calmer sa fougue.

Approche donc, Joaquim ! Le prochain coup va te labourer ta gueule d’assassin. Approche donc que je m’amuse un peu.

L’esclavagiste se met à tourner lentement autour de sa cible, guettant le moindre battement de cils révélateur d’une attaque. Le fouet prêt à mordre à belles dents dans les chairs.


Malika


Le front posé contre cette dune, qui risque fort de devenir son tombeau, Malika hurle de douleur, elle hurle en demandant grâce, en affirmant qu’elle partira ! De tels gémissements feraient honte à son peuple, fier et noble, mais elle souffre trop pour arriver à les contenir.

Cependant, Isabella n’est pas si naïve. Elle domine d’ailleurs tellement le combat qu’elle ne ratera pas une si belle occasion d’éliminer cette rivale qu’elle déteste. La gitane ne l’ignore pas. Et la douloureuse leçon reprend de la même manière, par cette même torture de son bras déjà bien maltraité et qu'elle n'a pas la force de libérer. Malika est vaincue, humiliée, elle souffre à nouveau énormément, serrant de son mieux les dents pour retenir d’autres cris et d’autres larmes inutiles.

Elle sent soudain que la brune marque un temps d’arrêt, qu’elle hésite. Que lui réserve t-elle encore ? La bourgeoise s’allonge sur elle, sa poitrine opulente écrasée sur son dos. Son parfum d’œillet parvient jusqu’à ses narines. Ses doigts s’insinuent jusqu’à son visage, la forçant à tourner la tête vers elle.

Ses lèvres frôlent sa tempe, l’effleurant presque d’un baiser tragique. Cet instant étrange est très court. Il est le prélude à une menace, murmurée d’une voix troublante, qui lui donne froid dans le dos, bien plus encore qu’un cri de haine. Ce murmure, c’est sa condamnation à mort, la brune revendiquant tous les droits sur Rodrigo. La voix d’Isabella la remplit de terreur.

La main de sa rivale se déplace ensuite jusqu’à sa gorge mince, avec douceur, mais elle recommence à serrer, à meurtrir. Malika comprend que le seul désir de la brune est plus que jamais de l’éliminer. Face à cette férocité, la frêle gitane ne tiendra pas longtemps. L’asphyxie gagne du terrain. Prise de panique, Malika tente avec maladresse de se débattre, mais le corps d’Isabella posé sur le sien la paralyse.

Les longs cheveux défaits de la brune frôlent son visage. C’est une chance inespérée. Sa seule chance. A pleine main, elle s’y cramponne et tire de toutes ses forces vers le sol. Le front d’Isabella cogne durement sur le sable, et Malika recommence, et recommence encore. Sous l'effort, un grognement sort de sa gorge martyrisée, elle arrive à en sortir une phrase hachée par l'air qui entre en sifflant dans sa trachée. Tiens, prends ça, ta tête va éclater comme un melon! Sa rivale la lâche enfin, mettant ses mains en avant pour se protéger le visage.

Libre, enfin libre, la gitane pousse un cri victorieux. Igennn, Szent Istzen Köszönöm !!(Ouiii! Bonté Divine, Merci) Elle donne un coup de rein et roule à quelques pas de sa rivale. Puis elle se redresse précipitamment, le cœur battant la chamade, les jambes en coton. Du bout de ses doigts elle caresse sa gorge meurtrie. La lueur de haine qui illumine son regard le rend plus transparent encore.

Malgré son épuisement elle va chercher au plus profond d'elle même un regain d'énergie, et elle se met en position de combat, ainsi que ses frères nomades le lui ont enseigné autrefois, le soir autour du feu de camp. Les jambes écartées et fléchies, bien en appui, le corps légèrement courbé en avant, les mains tendues. Mais combien de temps pourra t-elle tenir encore ? Il ne lui reste que son courage à opposer à sa rivale.


Rodrigo


Non, ce n’est pas un pied classique qui lui écrase le tronc ! C’est une tour de pierre, une colonne de marbre ! Un obélisque ! Et Rodrigo a la sensation que sa cage thoracique, et que l’ensemble de ses vertèbres vont s’émietter comme une croûte de pain trop sec, ou bien que son corps tout entier va être englouti par le sable du sentier et s’enfoncer jusqu’au centre de la terre.

Il essaie de gesticuler, de se tordre, de ramper sur les fesses, d’échapper d’une manière ou d’une autre à cet écrasement infernal avant d’en être réduit à l’état de bouillie infâme, mais rien à faire … Que dalle … Bernique …

Rodrigo ferme les yeux, lutte contre la douleur qui l’enveloppe, espérant une aide quelconque. Son corps est engourdi, totalement immobilisé. Seul son esprit a le pouvoir de s’évader. Et il s’envole … Il longe la plage, poursuivant deux chevaux lancés au galop … Là, deux corps roulent, unis dans une étreinte féroce, un duel sans merci. La blonde mollit, faiblit, plie sous les assauts de la brune, plus vigoureuse, infiniment cruelle …

Un râle s’échappe à grand-peine des lèvres pâles du jeune officier … Non … Malika …

Du nerf, que diable, Rodrigo ! Ses mains entourent la cheville de l’obèse. Il tente de repousser cette masse qui l’étouffe … En vain. Il faut pourtant qu’il trouve à tout prix une solution pour se dégager, pour voler au secours de sa gitane. Car ce douloureux pressentiment s’est imposé en lui. Elle court un grand danger. Elle a besoin de son aide. Un hurlement de rage s’échappe de ses entrailles …. Rhaaaaaaaaa !

Il allonge la jambe, propulse son pied entre les cuisses du mammouth, et lui écrabouille violemment les joyeuses. Dansez les grelots, c’est la fête à Paco … Le géant blêmit, blanchit, retient sa respiration puis se vide lentement comme une outre crevée en expirant bruyamment. Ses bras battent l’air comme les ailes d’un moulin à vent, sa tête monstrueuse dodeline comme celle d’un vieillard qui s’endort, puis Paco tombe sur les genoux en grimaçant …

Rodrigo se redresse d’un bond, contourne le pachyderme à l’agonie, mais les chevaux se sont subitement éloignés, effrayés par les cris des combattants et le choc des lames. Indécis, il cherche des yeux un quelconque bourrin …
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyMar 16 Fév - 0:54

Isabella


Non, elle ne comprend pas, la belle Isabella. De dominante elle passe à dominée. Il y a quelques secondes, elle voyait déjà sa rivale mourir entre ses doigts. Maintenant elle est à sa merci, le front plongé dans les grains brulants.
Pas que le front d'ailleurs, aussi le nez, les yeux. Paniquée, au bord de l'asphyxie, elle ouvre grand la bouche, comme pour prendre des bouffées d'air... qui ne lui font avaler que quelques bonnes cuillérées de sable.

Enfin, Malika la lâche et se glisse sur le côté. Un cri de victoire sort de ses lèvres. Auquel la brune répond par un grognement, en se relevant, titubante.
Elle crache par terre, crache tout le sable qui est resté sur son pauvre palais, crache avec la férocité d'une gueuse. Puis, comme pour se racheter de ce geste peu élégant, elle passe une main dans ses cheveux en bataille -on est une Gonzales d'Almirante ou on ne l'est pas- pour se recoiffer, levant doucement les pupilles vers ses jumelles azur.

La gitane est prête au combat, elle attend le début. Isabella, -non sans lâcher son regard- fronce les sourcils et fléchit sur ses jambes, tandis que ses doigts s'échauffent lentement, craquant tous un à un.

Vraiment, je te donne un conseil... d'ami. Légère grimace.
Je n'ai pas que ça à faire, Rodrigo doit me chercher partout. Alors laisse moi en finir avec toi une bonne fois pour toute et basta!

Elle fait un léger pas sur le côté, toujours sur ses gardes. Sa tête se penche sur le côté, interrogative, puis elle en refait un autre. Un sourire en coin apparait sur ses lèvres. Quel contact réjouissant, que celui d'une lame froide sur son mollet.
N'attendant pas un instant, elle se penche vers sa botte droite et en sort la précieuse arme, dont elle avait déjà oublié l'existence. Quelle vie imprévisible !

AHhhhhhhhh !! s'écrie-elle en l'agitant au dessus de sa tête.
Je te plante avec ton propre poignard ! Et là... on pourra croire que c'est un suicide, enfin si jamais quelqu'un te retrouve!
Plus bas : oh, qu'est ce que je suis intelligente, quelle bonne idée Isabella!

Maniant maladroitement en ses mains le couteau, Isabella essaie de garder le contrôle de la situation. Même si elle lui échappe carrément. Jamais de sa vie elle n'a touché d'arme, jamais. Pourtant, elle a bien l'impression que ses manœuvres impressionnent la gitane. Ce qui lui donne encore plus de courage et de pouvoir.
Dans un élan de fierté, et peut être aussi d'orgueil, elle s'exclame :

D'ici, j'y arrive !
...en lançant son poignard vers Malika. Le poignard, évidemment, a une trajectoire plus que parfaite. Comme si son destin était déjà tracé, il s'enfonce dans le coeur de la blonde, qui s'écroule, rouge de sang, sûrement morte sur le coup.

Oui, c'est beau, mais il faut revenir à la réalité. Les doigts d'Isabella, fâcheusement placés sur la poignée de l'arme, ne maîtrisent rien. Et, alors qu'elle est prête à être projetée, elle glisse entre ses phalanges, retombant comme une vilaine crotte de moineau sur le sable. Sans avoir fait un seul mètre dans l'air. Sans avoir atteint sa cible.

Un râle impuissant retentit, un "non" pas très compréhensible. La bourgeoise s'affale par terre, pour retrouver la lame à tâtons, lame déjà engloutie par le sable impitoyable. Son coeur se met à battre fort, très fort.


Malika


Les injures lancées par Isabella et sa dernière phrase relative à Rodrigo feraient presque sourire la gitane, si la situation n’était pas aussi désespérée.
En titubant la brune se relève, entame une danse curieuse, un léger sourire aux lèvres, puis elle se baisse et dans ses mains brille soudain un objet que Malika n’arrive pas à percevoir.

Le soleil tape de plus en plus fort, et éclaire de ses rayons la dague d’argent recouverte de pierres de lune qui avait été le cadeau de ses quinze ans, et que tient Isabella dans ses longs doigts d’araignée.

La brune a donc conservé cette arme qu’elle lui a dérobée dans la chapelle ! Sous son hâle, la gitane pâlit, son ventre se noue, le long de son dos une sueur glacée la tétanise.
Tuée avec sa propre arme, quel drôle de coup du sort ?

Malika suit des yeux l’arme qu’Isabella manipule au dessus de sa tête en hurlant sa joie.
Au ralenti, Malika la voit prendre la lame et s’apprêter à la lancer . Elle va mourir, la lame dans le cœur, à moins qu’elle ne puisse plonger dans le sable juste à temps.

Les regards de Jais et d’Océan ne se quittent pas, se sondent, s’évaluent, attendant le moment précis où la lame fusera dans l’air surchauffé. Un lourd silence tombe sur le désert de sable.

A cet instant précis, la gitane comprend que la bourgeoise ne sait pas se servir de la dague.
La lame glisse lamentablement de sa main et tombe a ses pieds, s’enfouissant dans le sable.

On dirrait que tu manies mieux les ciseaux à brrroder ? Comment peut-on êtrrre aussi empotée ?

Malika n’en croit pas ses yeux, Isabella se met à chercher l’arme, fouillant le sol comme une chienne cherchant un os, lui tournant même le dos.

Vite, il faut profiter de cette chance insensée. Elle lui saute dessus, un bras passé autour de sa gorge, l’autre tirant les cheveux sombres en arrière.

Elle serre, serre de ses dernières forces réunies maintenant dans son bras, les muscles noués, à la limite de la rupture.
Elle serre à en pleurer, elle serre à hurler. Sa vie en dépend.

Les griffes d’Isabella s’incrustent sur son avant-bras, y tracent de longs sillons vermillons.

Elle ne sent plus rien la gitane, elle serre, serre …


Sajara


Sajara peinait dans son combat. Ce gueux se défend bien, pensa t-il. Il me faut plus de ruse que de force ou de technique. Nom d’un mamelouk, ce ne sera pas mon dernier combat.

Sajara identifia son adversaire quand Omar cria d’occire ce damné maure.
Esteban ! Omar l’avait appelé Esteban !

Esteban était un ancien marin fort habile au couteau et une fine lame hors-paire.
Pour l’heure, Sajara en faisait les frais.
Il semblait que dans la furie de leur face à face, les épéistes dansaient, leurs pas, leur garde, leurs esquives, leur dégaine chaloupée, les transformaient en danseurs exécutant un ballet, un menuet et autres danses folkloriques.
Ils se rendaient coup pour coup. Quelques balafres, égratignures, filets de sang témoignaient de leur danse macabre.
Le duel se prolongeait, les protagonistes semblaient maintenant apprécier cette joute qui les opposait. Tout ceci ne serait pas dramatique s’il n’y avait pas mort d’homme à la fin du jeu.
Pourtant l’issue signerait la mort d’un homme.
Dans ce genre de confrontation, s’installe un certain respect entre les deux combattants.
Un duel n’est jamais impersonnel. Les yeux dans les yeux, les inspirations, les respirations, les efforts, tout est à la portée de chacun ; même les odeurs, qu’elles soient physiques ou émotionnelles. La peur dans ces moments là revêtent des habits multiples : un regard, un mouvement du corps, la transpiration, des battements de cœur. Tout est interprété afin de déceler chez son ennemi la moindre faille.
Faille qui sera immédiatement exploitée.
La fatigue nerveuse, les muscles qui se tétanisent, une erreur de placement, une faute d’inattention ; et vous êtes mort !

Les deux hommes le savent mieux que quiconque. Chacun alterne défense, attaque, récupération, prudence, audace.
Il en vient à un moment où ne voyant pas d’issue à ce terrible pugilat, on se laisse tenter par la ruse…
La ruse ou la tricherie ?
L’intelligence ou l’infamie ?

Sajara ne cesse d’être impressionné par ce rival, habile, agile, maniant avec dextérité son arme…
Il en vient même à réfléchir à une issue qui ne serait pas mortelle pour ce beau guerrier.
Le combat devient une forme d’art quand les deux lutteurs maîtrisent à la perfection leur technique et l’amour du combat.

Mais l’un deux trucidera l’autre !

Sajara se surprit à vouloir laisser une chance à cet adversaire.

Que nenni, pas de quartier, aucun ennemi vivant derrière eux. Cela ramène toujours des ennuis par la suite.
Tué, un ennemi ne vous cause plus de souci.
Même si on continue d’avoir des yeux dans le dos, on sait qui ne viendra plus vous ennuyer.

Dorénavant, Sajara s’emploie à déstabiliser Esteban.
Succession de feintes… Fausses attaques…

Puis, d’un geste furtif il change son cimeterre de main.
Tout d’abord Esteban se sent plus fort. Quel fou, son adversaire s’est affaibli. Puis voyant que le duel loin de perdre de son intensité devient plus difficile, il se sent décontenancé.

Sajara se réjouit, sa stratégie fonctionne, il lit l’incompréhension dans le regard d’Esteban.
Provoquant un corps à corps, il écarte l’épée du marin, se saisit d’un poignard dans sa botte, et le plante dans l’abdomen de son adversaire.

Esteban sent une lame pénétrer au plus profonds de son ventre. Il n’a toujours pas compris la manœuvre du maure. Ecarté comme un enfant sans force, il se retrouve avec un poignard dans le bide. La douleur est atroce, il s’effondre, pousse un cri horrible, se tient le ventre à deux mains.
Sur le sol, il se contorsionne de peur, de douleur.

Voilà, le combat est fini !
Sajara se penche sur le mourant. Il retire son poignard, provoquant un autre hurlement.
Pris de pitié, il égorgea Esteban pour mettre fin à ses souffrances.
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyVen 19 Fév - 12:00

Isabella


Les moqueries de la gitane n'atteignent même pas les oreilles d'Isabella, qui est en fureur, en panique, elle a peur, des gouttes de sueur perlent sur son front. Elle ressent une colère énorme envers elle-même et Malika, mais aussi envers Rodrigo, doña Philippa, sa vieille famille, Arminho et ses fidèles pas très nets, la soumise Inès, et ce maudit couteau !
Alors qu'elle s'apprête à hurler sa haine et sa fatigue, sa gorge se comprime, se serre. Les doigts à la peau dorée ne la ménagent pas, déjà repartis à l'assaut, l'ultime. L'air ne rentre plus, l'air ne sort plus. Et la bouche d'un rouge artificiel se crispe, sa mâchoire s'entrouvre, d'où un cri s'échappe, muet.

A bout de force, la bourgeoise -la tête rivée vers le ciel- hésite à lutter. Ses yeux se perdent dans les profondeurs nuageuses, un voile blanc brouille doucement sa vision. Seul son bras droit se raccroche à celui de la blonde, comme s'il s'accrochait à la vie, à son dernier espoir, à sa dernière chance.
Mais, la saisir ou pas ?
Continuer de se battre comme des fauves enragés, prenant le dessus chacune leur tour, jusqu'à ce que le sable absorbe les débris de leurs corps ensanglantés et épuisés, cuits sous un soleil brûlant?
Ou bien arrêter là, mourir entre les doigts d'une moins que rien? Mourir seule, sans que personne ne le sache. Avec des ongles cassés, des vêtements usés, décoiffée et sale.
Non, elle veut mourir digne, en beauté !

A cette idée, les ongles de la brune s'enfoncent de plus belle dans l'avant-bras de Malika. Dans ses veines, jusqu'au sang !

Nooooon, je veux avoir une belle mort ! Je veux être belle pour ma mort ! Nooooooooon !

La rage réapparait sous forme humaine, sous forme d'une Isabella pleine de détermination, assoiffée de vengeance. Son bras libre -le gauche- a soudainement un renouveau de force, ou quelque chose dans le genre. Et voilà que son coude part violemment en arrière, atterrissant dans le ventre de la blonde. Et un autre, et un autre. Elle la sent qui se tord de douleur, l'estomac sûrement écrabouillé.

Deux temps, trois mouvements, Isabella tire sur les bras assassins de son ennemie, se lève, encore un peu sonnée, le visage couleur écarlate, le cou aussi, avec les marques de la pression des doigts en plus. Les vraies couleurs du paysage réapparaissent, sa respiration devient régulière. Et un sourire machiavélique se dessine au coin de ses lèvres.

Sa rivale est là, à quelques mètres.

Sale chienneeeeeee !

Lance-t-elle en se rivant dessus, la repoussant par les épaules. Hop, un pied discrètement glissé derrière le sien, tandis qu'elle recule. Un joli croche patte, à terre la gitane !

Tu as osé m'étrangleeeeeeeer !!

La folie reprend possession de son corps, et elle donne des coups de pieds dans la petite boule blonde recroquevillée sur le sable. Dans le dos, dans le ventre, sur les cuisses.
Elle ne les compte plus, elle frappe, elle tape, elle ne vit que pour la mort. Celle de Malika.


Paco


Ce coup de pied dans les bijoux de famille, il ne l’a pas vu arriver, le gros Paco, occupé qu’il était à piétiner allègrement le jeune don Juan. Et voilà ! Le mammouth est à présent agenouillé dans le sable, face à la mer, les paumes des mains pressées contre son entrecuisse traversé d’élancements douloureux, et surtout très inquiet à propos de l’état de son duo de castagnettes. Ne lui sont-elles pas remontées jusqu’au fond de la gorge ? Il en est presque persuadé.

Oui, le gros Paco est agenouillé là, comme en prière. Mais ce n’est point au créateur ou à ses saints qu’il s’adresse en cet instant. Oh que non ! C’est à ce diable de voleur de chevaux qu’il dédie un chapelet d’injures, de menaces et de jurons, même si ce-dernier est invisible pour le moment.

Bandido ! Criminoso ! Vilao ! ( Voleur ! Criminel ! Crapule ! ) Reviens ici, je vais t’écraser comme une vulgaire araignée ! Ne crois surtout pas que tu peux filer comme ça !

Le gorille tente de se redresser, s’appuyant sur ses grosses paluches velues, mais la douleur qui lui vrille le ventre le bloque en plein effort. Et s’il lui avait détruit le braquemart et les roubignolles, ce foutu brigand ? Fini d’aller saillir la Jeannette au fond de l’étable ! Finis aussi les petits plaisirs solitaires ! Paco ferme les yeux et se met à hurler comme un goret qu’on égorge ! Rage et rancune viennent à son secours. La motivation le ressuscite.

Et il réussit à se lever, enfin, une main posée sur son service trois pièces, et l’autre s’accrochant à une branche de mimosa. Il esquisse deux pas, en claudiquant comme un albatros boiteux sur le pont d’un trois-mâts, et en jurant à nouveau comme un possédé du démon.

Filho de cadela ! Macaco ! Putrefaçao ! ( Fils de chienne ! Macaque ! Pourriture ! ) Où te caches-tu ?

Le voilà ! Ce gueux est derrière les buissons, les yeux tournés vers l’autre extrémité du sentier. Paco s’approche en boitillant lamentablement, s’efforçant de n’émettre aucun son, marchant soigneusement sur la pointe des pieds. Fier de se montrer aussi rusé qu’un renard, car l’autre ne l’a pas vu. Qui est le plus futé des deux, en définitive ? Machinalement, le pachyderme écarte de la main quelques branchages qui freinent sa progression, sans quitter l’ennemi du regard. Caramba ! Des épines ! L’obèse pousse un hurlement de surprise lorsque mille aiguillons lui entaillent soudain la main. Et le joli-cœur se retourne …


Malika


Le bras en sang, déchiré par les griffes d’Isabella, Malika continue à serrer le cou gracile de la brune. Soudain, des coups de coude, violents, répétés, viennent la frapper au creux de l’estomac. La douleur est intolérable, elle lâche sa proie, le souffle coupé, et recule, étourdie, sonnée.

Elle s’est vite reprise la bourgeoise. D’une bourrade sévère elle repousse la gitane, qui s’écroule dans le sable tiède, les genoux repliés pour tenter d' atténuer la douleur, les bras levés contre son visage, essayant de se protéger des coups qui pleuvent.

Rien n’y fait. Prise de folie destructrice, Isabella lui donne des coups de pieds désordonnés, mais faisant mouche à tous les coups, heurtant son visage, ses côtes, ses cuisses, son ventre. Elle a l’impression que ses viscères vont exploser, elle a l’impression qu’elle va mourir.

Elle roule doucement le long de la dune pentue, son sang laissant des gouttes vermeilles absorbées aussitôt par le sable assoiffé.
Elle se retrouve le corps en croix, inerte. Elle ne sent plus rien, ni douleur, ni tristesse, ni colère, plus rien.

Est-ce cela la mort ?

Péniblement elle entrouvre les yeux. Au travers de ses cils, elle ne voit que le bleu cru du ciel, et quelques nuages blancs et cotonneux poussés par le vent, qui s’amusent à changer de formes. Un petit chien frisé qui se transforme en chèvre cornue, qui se transforme en dragon …

Le silence aussi est là, surprenant. Juste le va et vient des rouleaux d’écumes rejetés par l’océan. Elle n’entend plus les halètements d’Isabella.

Est-ce cela la mort ?

Et si elle fermait les yeux, et si tout s’arrêtait, cette lutte sans merci qui ne finira que par la mort de l’une ou de l’autre ? Pourquoi ? Elle n’a même plus envie de combattre la brune, à quoi cela sert il ? S’il suffisait de fermer les yeux, fermer les yeux pour toujours, et se sentir fondre, avalée par le sable fin d’une plage au Portugal.

Sous ses doigts meurtris, elle sent le sable s’écouler, sablier du temps qui passe, la ramenant peu à peu à la réalité avec son cortège de douleurs, de tristesse, de colère et d’envie de vaincre.

Non elle n’est pas morte, elle respire douloureusement mais elle respire.

L’ombre, le parfum d’Isabella se rapprochent.
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyMer 24 Fév - 11:58

Rodrigo


Soudain, alors que ses yeux anxieux parcourent le sentier à la recherche d’une monture, un rugissement d’animal blessé fuse derrière lui. Un rugissement effroyable, à mi-chemin entre le beuglement rageur et apeuré du taureau mené à l’abattoir et le barrissement rauque et furieux de l’éléphant peu désireux de partager son ivoire avec les chasseurs.

Le mammouth est là, à quatre pas, frictionnant élégamment son entrejambe d’une paluche fébrile, et agitant frénétiquement l’autre pogne pour en détacher quelques gouttelettes de sang. Non, il ne paraît guère menaçant en cet instant précis. Plutôt pitoyable et grotesque, même s’il est haut et large comme un menhir celtique.

Mais Rodrigo a été à bonne école. Celle de la prudence et de la réflexion. Il a disposé d’un excellent professeur en la personne de son père. Il ne faut jamais sous-estimer l’ennemi, lui répétait Joaquim. Et il ne faut négliger aucune occasion de s’en débarrasser.

Rodrigo est conscient de tout cela. Et d’ailleurs, si le gorille arrivait ainsi en catimini derrière lui, ce n’était certes pas pour une accolade fraternelle. Cependant, sans arme, le jeune officier se sent bien impuissant contre un tel monstre, même momentanément fragilisé par ses roubignolles durement malmenées. Et Rodrigo cherche une idée … Oui, là ! Profitant de la lenteur du pachyderme, il arrache une branche de belle épaisseur à l’arbre le plus proche de lui. C’est une arme bien dérisoire, mais le choix est plutôt limité …

Tenant cette branche comme un gourdin, il se met à tourner autour de son adversaire, alternant feintes et attaques portées vers le faciès luisant du gorille. Un seul but à cette manœuvre : Arriver à ce que le colosse retire la patte velue protégeant son entrecuisse, et cogner là où ça fait mal, dans la paire de castagnettes, qui sont dorénavant le talon d’Achille du géant.


Joaquim


Tranquillement, Joao regarde Omar se déplacer. Combien de fois s’est-il retrouvé dans ce genre de situation. Menacé par plusieurs hommes, ou complètement désarmé… et pourtant il est toujours là.
Et quand bien même il devait mourir aujourd’hui… C’est une belle journée pour mourir.
De toute façon il est condamné, ses jours sont comptés, et il le sait. Il faut s’en servir comme d’un atout.
Voir Omar tournoyer avec son lasso de cirque le fait sourire.

- Tu me prends pour qui Omar ? un ours ? un lion ?
Si tu me crois sauvage, tu as raison.
Je vais te tuer et manger ton cœur et ton foie !

L’épée dans une main, une dague dans l’autre, Arminho se fait fort de prendre le dessus.

Scrutant du regard les alentours, il voit plusieurs mantels ou sacs de jutes qui pourrait l’aider par la suite à parer les coups de fouet.

Mais pour l’instant il se cramponne à ses deux lames.

Le soleil est déjà haut. L’air iodé chatouille ses narines.
Le combat sera rude il ne faut pas en douter, mais de façon tout à fait inexplicable Arminho se sent détendu et sur de lui.
Son fils joue avec le gros benêt ; Sajara est aux prises avec un troisième brigand, et s’en sort bien…

Quelle belle journée pour en finir avec cette histoire !


Omar


Le fouet étroitement serré dans sa dextre, Omar se sent invulnérable. Tout-puissant. Comme le diable en personne. Comme lui, d’un seul coup de poignet il peut lancer la foudre, il peut détruire, il peut ravager. Son adversaire actuel a beau être un combattant expérimenté, une véritable légende dans tout le nord du Portugal, il ne parviendra pas à s’approcher du maure. Et Omar va le déchiqueter, lui lacérer la peau, l’écorcher vif. Transformer sa vieille face ridée et cuivrée en une plaie béante et purulente. Lui faire payer ce massacre, cette hécatombe autour de lui. En effet, à l’exception de Paco, tous ses hommes gisent dans une marre de sang, et quelques marins venus à la rescousse agonisent également parmi les rochers.

Non, ces meurtres ne resteront pas impunis. Omar est la haine. Omar est le châtiment.

Et la lanière claque à nouveau dans le ciel, entre les arbres. Encore et encore. Et il savoure ces détonations successives, cette salve déchirant l’atmosphère surchauffée de ce bout de terrain surplombant la mer. Il en éprouve une volupté inexprimable. Le maure en est persuadé, ces coups de semonce donnent froid dans le dos à ses ennemis les plus vaillants, et les contraignent à la plus stricte défensive, à retenir leur fougue pour éviter la morsure de l’arme. Et les loups deviennent des agneaux.

Arrête de radoter, Joaquim ! A présent je vais t’apprendre à danser la moresca !

Et le fouet se fait plus incisif. Le poignet encore plus vif, plus efficace. L’avertissement est terminé. Un autre jeu débute. Un jeu plus sauvage. Un nouveau sifflement strident, et la lanière de cuir vient cingler la cuisse de Joaquim, traverse sa tunique, imprime une zébrure sanguinolente sur son épiderme mis à nu. Un rictus moqueur déforme la mâchoire du marchand d’esclaves. Un ricanement dédaigneux jaillit de sa bouche.

On continue, ou bien préfères-tu détaler comme un lapin ? Comme ce lâche que tu as toujours été.

A nouveau le fouet siffle et mord, puis s’enroule autour de l’avant-bras d’Arminho, avec une précision diabolique. Omar tire violemment vers lui, entamant profondément la chair de son adversaire, et projetant sa dague à l’autre bout du sentier …
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptySam 6 Mar - 10:45

Joaquim


Joao se tenait devant Omar prêt à parer toute attaque venant de son adversaire.
Une lutte sans merci commençait.
Les sens en éveil, Arminho se concentrait sur ce brigand de bas étage qui avait eu le culot de lui voler sa bru et sa tranquilité. La rage du vieux patriarche redoublait quand il pensait à la trahison de son épouse.

Il était décidé a faire payer cher ces affronts.

Sa conscience s’éclairait au fur et à mesure qu’il jaugeait les forces et les atouts du malandrin. Il était si concentré que son champs de vision se transformait en arbalète dont la cible se tenait là devant lui en la personne d’Omar.

Le fouet claquait, fendant l’air, laissant des auréoles de poussières et le son d’une pétarade.
Nullement impressionné par la roue de ce paon de foire, Arminho savait que le fouet l’atteindrait inexorablement. La douleur fait partie du combat. Mais au bout du compte, il savait comment manœuvrer le pisse-vin pour le désarmer.

Pourtant Joaquim ne pu éviter le coup porté à hauteur de sa cuisse. Face à ce genre d’arme les vêtements ne font pas rempart. Le fouet laboure sa peau. Une douleur vive, piquante et brûlante accélère les pulsations de son cœur. La sensation d’un couteau qui viendrait glisser sur ses chairs et laisser une trace douloureuse, insupportable qui provoquerait un élancement dans toute la jambe.

Il sent le sang perlé. Maintenant, il le voit à travers le tissu de ses chausses déchiré.
Rester concentré, surtout rester concentré, se dit il…
Sensation de douleur, sensation de chaleur, la transpiration dégouline de son front.

Et voilà le maure satisfait de lui-même. A travers le rire morbide d’Omar, fusent quelques paroles insultantes.
Lâche, lâche ! Joao se met à rire…
Le pourceau de maure qui le traite de lâche…

- Pauvre fou !
Sais tu que je suis à l’hiver de ma vie et que je ne suis pas reconverti dans la traite de jeunes donzelles sans défense, contrairement à toi. Tu n’es pas capable de t’entourer de complices de valeurs. Seuls des va-nu-pieds t’accompagnent dans ta basse besogne.
Cela prouve ton incompétence.

La seule réponse de l’esclavagiste fut un coup de fouet terrible qui entoura le poignet d’Arminho. Sous la pression d’Omar, la dague qu’il tenait est projetée hors de portée.
Mais surprise !
Le vieux loup en a profité pour retenir la lanière du fouet qui emprisonne toujours son poignée.
A lui de tirer violemment.
Ne s’étant pas attendu à cette manœuvre ; le gueux mauresque fut happé par une force qu’il ne soupçonnait pas. A l’extrémité, Arminho tend le bras… dans la continuité : son épée effilée… pénètre dans le sternum d’Omar sans aucune résistance.

Le maure le regarde, surpris d’un combat si court qui aurait du être titanesque. Le voici maintenant à genoux.
A présent c’est au tour de Joaquim de faire des ronds autour de sa proie. Il se place derrière de trois-quarts.

- Je vais faire de tes femmes des veuves ! lance t-il.

Il lève son épée, qui redescend aussitôt laissant derrière elle un sifflement.
La tête d’Omar tombe, roule, s’immobilise ; le corps est toujours à genoux.

Ainsi se déroula le combat !


Paco


Ah ben non, ça c’est pas juste ! Alors qu’il est sans conteste le plus brave des gueux de la terre entière, voilà que dame Nature lui glisse sournoisement entre les doigts un enchevêtrement de ronces et d’épines aussi coupantes que la lame d’un glaive ! Et le mammouth ne peut contenir un cri de surprise, si bien que ce joli-cœur qu’il espérait bien surprendre lui fait à nouveau face.

La bonne nouvelle, c’est que ce maudit voleur de chevaux n’a trouvé aucune monture pour prendre la poudre d’escampette, ni aucune arme pour se défendre. La mauvaise nouvelle, et elle est d’ailleurs particulièrement fâcheuse pour Paco, c’est que cette douleur lancinante qui lui irradie l’entrejambe l’empêche toujours de se déplacer normalement. La main qu’il presse sur son anatomie endommagée ne le soulage d’ailleurs absolument pas, et chacun de ses pas lui procure de cruels élancements dans le bas-ventre et dans sa précieuse paire de grelots, que certains mauvais plaisants ont baptisé les « joyeuses », mais qui aujourd’hui ne le sont vraiment pas du tout.

Oui, chaque mouvement est un supplice, et Paco assiste impuissant aux efforts de son adversaire pour arracher une branche à un arbre proche du sentier, se doutant bien que son adversaire ne compte pas l’utiliser comme canne à pêche. Eh non, il en a d’ailleurs une confirmation immédiate lorsque le blanc-bec se met à lui tambouriner sur le crâne avec sa massue improvisée. Heureusement, le gorille a la tête aussi solide que les armures des chevaliers de la table ronde. De plus, il n’y a pas grand chose à abîmer à l’intérieur de sa grosse caboche, lui répètent sans cesse ses compagnons.

Cependant, à force d’encaisser cette vigoureuse bastonnade sur le coin de la tronche, le pachyderme sent la moutarde lui monter au nez. Mais qu’est-ce qu’il croit, ce nabot ? Paco a les castagnettes en feu, d’accord, mais il ne va pas courber l’échine plus longtemps. D’un large revers du bras, il repousse le casse-tête du jeunot, comme s’il s’agissait d’un fétu de paille. Et zou, pas de jaloux, Paco lui envoie une grande claque sur le museau, et le gringalet valdingue dans les buissons.

Oh mais ce n’est pas terminé ! Clopin-clopant, le colosse déplace sa masse adipeuse et rebondie vers l’avorton, qui paraît à moitié groggy, puis il lève vers le ciel un poing aussi volumineux qu’un potiron …


Isabella


Un sourire carnassier flotte sur les lèvres charnues et assoiffées de vengeance d'une bourgeoise, bourgeoise possédée par la folie, ou le diable qui sait.
Isabella, la chaste, la belle et sophistiquée, la pulpeuse, n'existe plus. Elle est loin, ailleurs, dans un autre monde, une autre vie. Remplacée par une tout autre femme, enragée, avec des vêtements arrachés, des cheveux pleins de nœuds, un visage sale et poussiéreux. Cette même femme ne vit que pour la haine, la guerre et la fureur.
Elle donne des coups, sans même se rappeler le but de cette sauvagerie.
Ce n'est sûrement pas pour Rodrigo, s'il la voyait dans cet état jamais, Ô grand jamais, il ne voudrait d'elle.
Alors ça doit être juste pour le plaisir de maltraiter Malika, de lui arranger quelque peu le portrait, créer quelques bleus ci et là, casser un bras ou une côte. Elle est bien trop belle, bien trop parfaite. Donc, autant qu'elles soient laides et fracturées toutes les deux, tout le monde aura perdu la partie, Rodrigo ne voudra aucune d'elles, et la mort les emportera, vieilles, seules, les yeux emplis d'amertume et de colère.

Un sourire qui se transforme en une grimace d'incompréhension face à la masse de cheveux blonds allongée par terre, les yeux dangereusement plissés. Les coups de pieds meurtriers cessent. Ayé, c'est fini ?
Doucement, elle s'abaisse vers elle, son oreille se rapprochant de son visage, histoire de percevoir ne serait-ce qu'un minime souffle de vie. Le corps bronzé de la gitane ne bouge plus...
Brusquement, ses paupières se rouvrent, sa poitrine monte et descend dans un rythme saccadé, sa respiration est difficile.

Ah non !
Bien que, quelques instants plus tôt, Isabella était presque triste de la voir crever, autant là, c'est plutôt le contraire !

A l'assaut, vite! Elle s'assoit sur son ventre, emprisonnant son maigre buste entre ses cuisses.
Quelques secondes, elle reste ainsi à la contempler, faible, pâle, fiévreuse. C'est son dernier voyage, sa fin est proche, très proche.
Il ne reste plus que le dernier coup, le plus dur. Le coup final, qui va l'achever.

Aussitôt, Isabella plaque ses mains sur son cou, et se remet à l'étranger, sans vraiment user de ses muscles. La tâche est simple, la victime ne résiste plus. Un jeu d'enfant.

Adieu ! Adieu, sorcière ! Adieu, catin misérable !
Tchau, bacalhau !! Adeus !*

Dernières insultes lâchées. Dernier combat. Dernier affront.
Mais aussi dernier sourire de notre presque-belle Isabella, triomphante et fière. Dans un état second, folle de haine, folle d'amour. Aveuglée par le sable brûlant, et surtout par le fait que Malika regagne de la conscience... et de la force.


*au revoir, morue ! adieu !
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyMar 9 Mar - 15:01

Malika


Les goélands qui se disputent une charogne écartelée sur le sable doré, battent furieusement des ailes et poussent des cris stridents en regardant de leur œil rond les deux femmes échevelées, aux membres enchevêtrés, qui les dérangent dans leur quête de nourriture.
Spectateurs de cette danse frénétique, de deux corps à moitié brisés, aux robes déchirées laissant apparaître de longues cuisses brunes ou laiteuses, aux corsages arrachés laissant voir des seins palpitants. Ces cris rauques sortis de leur gorge, est-ce une parade d’Amour, ou une danse macabre ?

Isabella serre à nouveau entre ses cuisses le corps gracile de Malika, son souffle chaud contre son oreille, et toujours cette odeur écœurante d’œillet. Ses doigts crispés en serres d’aigle se posent sur le cou de la gitane et commencent à serrer, encore et encore. Malika s’accroche désespérément aux poignets de sa rivale pour les éloigner de sa gorge, mais ses forces l’ont abandonnées.
Le visage d’Isabella est près du sien, trop près. Malika tourne la tête, trouve la joue lisse de la bourgeoise à la portée de sa bouche, et elle plante férocement ses dents dans la chair tendre. Son ennemie hurle et se rejette en arrière, se tenant le visage à deux mains.

Le liquide tiède et rouge coule entre ses lèvres maculant ainsi le teint doré de la gitane.
Malika roule sur elle-même. A genoux, les mains dans le sable, au bord de la nausée, elle crache un bout de chair sanguinolente. Mais il faut qu’elle profite tout de suite de la situation.

Rapidement elle prend un galet rejeté par l’océan et, comme une furie, se jette sur la brune au beau visage à jamais marqué par ses crocs. Réunissant ses dernières forces, elle cogne sur son crâne. Plusieurs fois. Le corps d’Isabella mollit, s’affaisse lentement, inanimé. Le sable avale doucement le sang qui coule de ses blessures.

Le silence se fait lourd, oppressant, même les oiseaux de mer se sont tus. On n’entend que l’océan qui, indiffèrent, continue à rejeter sur la plage son écume blanchâtre, ainsi que la respiration saccadée et les sanglots étouffés de Malika. Elle ne ressent plus rien, si ce n’est un grand vide. Elle est a genoux près du corps martyrisé d’Isabella, avance une main, la pose sur le cœur de la jeune femme, se penche sur elle pour essayer de sentir un souffle.

C’est fini ? Oui c’est fini, la brune ne donne plus aucun signe de vie. La lutte a été longue, sans merci, et c’est fini, là. Comme ça, d’un coup.

Malika n’est même pas soulagée, une grande tristesse l’envahit, les larmes affluent dans ses yeux gris, coulent abondamment sur son visage meurtri et sale.

Farce de la vie, Isabella est allongée à deux doigts de la dague subtilisée à Malika et qu’elle avait perdue. Enfoncée dans le sable, la poignée d’argent incrustée de pierres de Lune, brille comme un astre, caressée par les rayons du soleil.

Péniblement, la gitane se relève, laisse tomber sur la grève les guenilles qui la couvrent, se dirige vers l’océan, avance dans l’eau fraîche, et se laisse glisser entre deux vagues. Elle se lave de toutes les souffrances qui lui ont été infligées, de tous les coups qu’elle a donnés et reçus, de la mort sans doute…
Le temps s’écoule sans qu’elle ne s’en rende compte. Le cheval de Rodrigo, brides pendantes, s’est rapproché des vagues mourantes.

Un faible sourire vient caresser les lèvres de Malika. Tempête !! Viens mon beau, apprrrroche !

Malika caresse avec douceur le superbe étalon, l’embrasse sur le chanfrein aux poils tendres et soyeux.
Un dernier regard chargé de tristesse sur Isabella, puis elle enfourche l’animal, glisse ses pieds dans les étriers d’argent, donne une légère pression sur ses flancs …

Allez ! Avance, retourrrne vers ton maîtrrrre ! Ramène-moi là bas.



Rodrigo


Il fait très sombre tout-à-coup. Où donc le soleil s’est-il caché ? Il n’y avait pourtant aucun nuage dans l’azur infiniment limpide et bleu lorsqu’ils ont rattrapé ces faces de rats qui ont enlevé sa gitane et Isabella.

Un poing. Rien qu’un poing. Un poing monstrueux dressé vers le ciel par une silhouette bedonnante. Un poing qui obstrue l’horizon par sa taille impressionnante. Oui, il est mort le soleil. Il est mort.

Rodrigo a le corps tout engourdi par cette gigantesque torgnole qui lui a fracassé la joue et par sa culbute dans les broussailles. Anesthésie totale du corps, mais non de l’esprit. Lucidité intacte mais membres assoupis. Dos brisé en mille éclats épars. Goût infect de sang dans la bouche.

Une telle gifle suffirait à arracher la tête d’un gosse. Rodrigo tente de se redresser sur ses coudes, mais il est immobilisé par des ronces et des épines qui se referment sur lui comme d’immenses tentacules. Et il se sent d’une faiblesse infinie face au pachyderme qui l’a rejoint en titubant. Le gorille n’a qu’une main libre, l’autre étant toujours chargée de la protection de ses castagnettes. Une seule main libre, oui, mais c’est largement suffisant pour terminer le combat.

Soudain, le soleil réapparaît ! Un sourire illumine la face grotesque du mammouth, comme s’il préparait une bonne blague pour un de ses amis. Mais une lueur de triomphe est née dans ses yeux de bovin, engloutis par la graisse. Comme dans ses pires cauchemars, ceux où il meurt pour défendre sa belle, Rodrigo observe, impuissant, inerte, le poing énorme qui quitte les cieux et s’abat lourdement vers son menton, comme un épervier fondant sur une proie paralysée par la peur. Le jeune officier a juste le temps de se raidir et d’enfoncer son cou entre ses épaules pour amortir légèrement le choc.

Vlan ! Cible atteinte par la massue de chair et d’os. Un craquement sinistre dans la mâchoire de Rodrigo. Adieu la terre, adieu le monde. L’inconscience le rattrape et le couvre de son lourd manteau de brouillard et de ténèbres, tandis que le poing de Paco grimpe à nouveau vers le ciel.

Malika … murmure le jeune homme en fermant les paupières.


Malika


Parfois elle s’assoupit, le sang coule encore de ses blessures, ses cheveux se mêlent à la crinière de Tempête quand sa tête trop lourde de fatigue tombe vers l’encolure.
Cette maudite Isabella l’a terriblement malmenée, elle ne s’en est sortie que par miracle.

Tempête a adopté un pas lent, mais c’est un étalon de grande taille, ses enjambées sont longues, et il avale avec régularité la succession de plages et de sentiers pour la ramener vers son maître.

Quand Malika reprend ses esprits, le paysage a déjà changé, elle reconnaît l’endroit où la « transaction » aurait du s’effectuer. Son regard embrasse la totalité de la scène qui s’y déroule.

Le marchand, Omar, la tête tranchée, se vide de son sang,
Joachim, le vieux lion, a le visage déformé par la douleur. Le haut de ses chausses déchirées laisse apparaître une zébrure profonde et sanguinolente. Elle reconnaît les traces de fouet du vendeur de chair fraîche. Sajara, l’immense maure, se dirige vers le patriarche.

Plus loin, un autre marin gît le ventre ouvert, égorgé.
Seigneur que la bataille a du être dure !

Mais où est Rodrigo ? Le sang de la gitane se fige dans ses veines, elle ne le voit pas.
Elle hurle une invocation. Qu’ Aristote l’entende !Seigneurrrrr qu’il ne lui soit rien arrrivé !
S’il vous plait, prrrotégez le !

Elle talonne Tempête, qui, surpris, se cabre, recule sur ses jambes postérieures, et pivote en hennissant.

Sa vision se pose un peu plus loin, elle plisse les yeux, puis pâlit en voyant Rodrigo en mauvaise posture, dans un bosquet de mimosas ombragés, le dos au sol, le visage en sang.
Elle le voit à terre, à la merci du Gros Paco.
C’est un Minotaure, un cyclope, un géant qui lève son bras, le poing fermé telle une massue de bronze, afin d’achever Rodrigo.

Elle ne réfléchit pas, sa dague retrouvée pend à sa ceinture, et elle la tire d’un geste sec, la prend par la lame et, de ses dernières forces concentrées dans son poignet, elle la lance sur le large dos graisseux du monstre.
Jamais elle n’a manqué une cible. La lame pénètre profondément sous l’omoplate droite du monstre, qui pousse un hurlement, bat l’air de son bras valide comme s’il chassait un insecte, et tombe un genou à terre.
Il essaie de se relever, se tourne vers elle avec son air bovin et étonné, de la mousse rougeâtre au bord des lèvres. L’obèse s’écroule finalement juste aux pieds de Rodrigo.

Malika se laisse glisser le long du flanc de Tempête et court vers son amant, ses blessures ne la font plus souffrir, son cœur bat à tout rompre, elle relève ses hardes pour courir plus vite, elle ne sent pas non plus le sable brûlant sous ses pieds nus. Elle court, elle court vers Rodrigo.

Az sverelem ! Az szin ! Az sverelem ! ( Mon Amour ! Mon Coeur! Mon amour )
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptySam 27 Mar - 11:41

Rodrigo


Etrange. L’énorme poing ne s’abat pas sur lui. Non, à la vive surprise de Rodrigo, le visage boursouflé de son adversaire s’est soudain contracté, arborant un hideux rictus de subite douleur. Et c’est le mammouth en entier qui s’effondre à ses pieds, au ralenti, les bras en croix, comme un muezzin s’agenouillant lentement sur son tapis de prière, à l’ombre d’un minaret.

Là, dans le dos du géant, sous l’omoplate, s’est fichée la lime d’un poignard, avec une violence et une précision extrêmes, jusqu’à la garde. Et le gorille s’évanouit, dans un dernier râle, un gargouillis horrible, après un ultime tressautement de son corps immense devenu flasque et mou.

Un cri ! C’est elle ! C’est son soleil ! C’est à elle qu’il doit la vie ! Elle court vers lui dans ses guenilles déchirées. Mon dieu qu’elle est belle, mon dieu comme il l’aime …

Rodrigo parvient enfin à s’extirper de cette gangue d’épines qui l’enveloppe et l’enserre, y abandonnant un pan entier de sa chemise ensanglantée.

Malika … Malika … Malika … Amoureuse mélopée. Aucun autre mot ne daigne franchir sa bouche, alors qu’il lui ouvre des bras impatients et qu’elle s’y jette, s’y blottit, des larmes pleins les yeux.

Mon amour, tu es saine et sauve, c’est merveilleux. J’ai eu si peur de te perdre ! Comme je m’en veux de t’avoir attirée dans ce guêpier ! Dans ce cauchemar ! Comme je m’en veux d’avoir mésestimé la méchanceté et la duplicité des gens !

Tendrement, il se penche sur elle, et cherche ses lèvres, remarquant enfin les traces de coups sur le visage de sa princesse, et les empreintes de doigts qui ont bleui sa gorge fragile.

Bon sang ! C’est cette chienne d’Isabella qui t’a fait ça ? Où est-elle ? Je vais lui faire payer très cher cette trahison !


Sajara


Son duel terminé, il se retourne vers Joao, lui aussi a fini d’occire son ennemi.

Décapité, sa tête roulant au sol, le corps d’Omar reste inerte, comme immobilisé par la surprise…
Puis son corps s’affaisse, et s’écroule de tout son long.

Joaquim se tient le haut de la jambe, quelques mimiques laissent paraitre une douleur du à son coup de fouet.
Sajara décide de rejoindre son seigneur, mais regardant dans l’autre direction il aperçoit Rodriguo en forte mauvaise posture. S’apprêtant à lui prêter main forte ; il entend siffler…
C’est Joao qui le siffle ; non pour lui signifier comme à un chien qu’il doit rejoindre les pieds de son maître, mais pour l’interpeler et lui ordonner de ne pas bouger.
Le maure comprend de suite les intentions du vieux guerrier. L’héritier doit pouvoir se tirer seul de ce combat. Pour assoir son autorité sur le domaine, pour prouver sa compétence, pour rassurer son père sur ses capacités à se tirer seul d’un mauvais pas…
Arminho doit se convaincre que l’heure venue il pourra mourir en paix.
Même si Rodriguo a l’étoffe d’un grand seigneur, cette aventure confortera sa force, son pouvoir, et sa détermination.
Nul ne viendra contester son autorité.
Alors le maure rejoint son ami et ronge son frein.


Joaquim


Voilà… Le corps de l’esclavagiste gît à ses pieds, s’il s’écoutait, il lui couperait bien les deux oreilles…
Ou alors, il mettrait sa tête sur une pique qu’il exhiberait devant la porte du château.

On en parlerait dans tout le royaume, une chanson de geste serait déclamait à toutes les grandes fêtes… à la gloire de la famille Do Setubal do Minho.

La peur que susciterait la vengeance du clan, si attaque il y a, ferait réfléchir leurs ennemis à deux fois avant de les agresser.

Ou alors il coupe les oreilles et met la tête sur une pique…

Oui voilà la solution, une fois revenu au château son trophée sera exhibé !

Bon, fils où es-tu ?
Foutre de bouc, encore aux prises avec le mastodonte !

Essayant d’avancer, sa jambe et le coup de fouet se rappellent à lui, impossible d’avancer. Il lui faut trouver un cheval pour récupérer sa mobilité.
Le soleil chauffe, la blessure brûle, la soif le torture, sa gorge est sèche, son regard est trouble… maudite soit cette expédition !
Le combat de Rodriguo s’éternise, les filles ont disparu,…
La situation est loin d’être en main. Armihno déteste ça.
Il voit Sajara, enfin un point positif !
Mais le bougre se dirige vers le lieu de supplice de son fils.

Deux doigts dans la bouche, un sifflement assez fort pour rameuter un troupeau d’étalon en rut.
Le maure a comprit il rapplique vers le vieux Arminho.

Soudain en parlant d’étalon, voici Tempête… Il est monté par la belle Malika…
La petite semble bien mal en point.

Cependant elle démontre qu’elle n’a rien perdu de son adresse. Ce n’est certes pas le brigand adipeux qui contredira ce fait.
Lui aussi vient de rejoindre le reste de ses compères. Ils se retrouvent tous dans la même barque pour rejoindre les enfers.

Finalement cette aventure n’est pas aussi maudite. Par l’intervention de la gitane, le clan Do Setubal do Minho vient de reprendre les rennes.

Reste le cas de « mama Setubal »…


Malika


Les quelques mètres qui la séparent de Rodrigo lui semble un chemin infiniment long, mais la voilà enfin blottie dans ses bras, elle y retrouve son odeur, sa douce chaleur.
Il répète inlassablement son prénom, Malika…et c’est un doux chant qui résonne dans sa tête.

Son bel Amour est là, chemise déchirée et ensanglantée, il la serre contre lui, l’empêchant même de respirer, caressant ses cheveux en désordre, passant les doigts sur son visage meurtri, sur sa gorge bleuie, stigmates des mains d’Isabella serrées autour de son cou.

Plus rien n’a d’importance, elle se fond en lui, ils se dévorent du regard, les yeux noyés dans la profondeur de leurs iris.
Elle l’embrasse, couvre son visage de mille baisers, glisse ses mains sous la chemise en lambeaux pour mieux caresser sa peau.

C’est d’une voix cassée, hachée par les sanglots, qu’elle commence à parler.

Amourrrrrr ! Je pensais que jamais je ne te reverrrrais !

Depuis qu’elles m’ont enferrmée dans la crrrrypte …et là …A söté (dans le noir) , hideg ( et le froid), je ne pouvais rrien fairre, j’étais attachée. Le pire c’est quand j’ai entendu hangunkat ( ta voix) ! Te savoirr si prrès, et ne pas pouvoir crrier à cause du bâillon, j’en devenais folle !

Ses mots s’entremêlent, elle parle vite, agitant ses mains aux longs doigts fins. Les sons rugueux de sa langue maternelle roulent comme des galets s’entrechoquant dans le cours d’une rivière sauvage, et sortent désordonnés de sa bouche. Elle veut tellement tout lui raconter.

Et puis, là bas, plus loin surrr la plage… Isabella ! C’est horrrible ! Un cauchemarrr ! Amourrr ! Je crrois bien que je l’ai tuée, elle ne bougeait plus.

A bout de résistance, la blonde gitane, comme une petite fille perdue, éclate en sanglots. Ses larmes laissent de gros sillons luisants sur son visage maculé de sang et de poussière.
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyDim 28 Mar - 14:35

Isabella


Le nez de Malika touche celui de sa rivale, qui s'obstine férocement à l'étrangler, dans un ultime combat. La bourgeoise est en position dominante, dans sa tête tout est prédéfini : elle gagne et repart dans les bras de Rodrigo.
Et elle y est à deux doigts près. Ou deux dents, plutôt. Car ce sont les dents de la gitane qui se plantent dans sa joue, pointues et sauvages, telles des dagues affûtées.

Tout d'abord, Isabella ne se rend pas vraiment compte de ce qui lui arrive.
Yeux grands ouverts, elle observe la scène. Le visage de la blondasse est maculée d'un rouge violent, rouge qui, bizarrement coule aussi sur ses lèvres à elle, de dame sophistiquée . Est-ce une nouvelle teinte pour les lèvres que nous avons là ? Avec prudence, sa langue vient effleurer la mixture. Goût étrangement épicé, saveur inconnue jusque là, qui ressemble légèrement à...

Hurlement de douleur, horrible, terrifiant. Et qui résonne, résonne, résonne. Mouvement de recul, mains qui tiennent la tête. Ongles qui se plantent dans la peau, s'agrippent aux cheveux, comme pour se débarrasser de la douleur. Tableau déroutant de la vengeance même, Isabella en est la principale victime.

Tout s'enchaine, la pierre, les coups, la douleur, le vide.

D'ailleurs, le vide est bien plus intéressant que les trois autres choses. Ça flotte, c'est tout doux, ça t'enveloppe et te berce. La lumière est douce, ni trop faible ni trop brusque. C'est joli tout ce rien... qui fait pourtant tout le décor dans ce monde parallèle. Mais parallèle de quoi ? d'où ?

De là.

La poitrine d'Isabella se soulève, ses poumons se remplissent d'un air nouveau et inattendu, ses yeux s'ouvrent brutalement, redécouvrant le soleil brûlant. Pupilles qui s'agitent de droite à gauche, la tête bien trop douloureuse pour bouger.

Où est Malika ? Où est cette chienne ? Où ? Où se cache cette sorcière ?! Elle a fui, la blondasse ?! Elle a eu peur ? Hein !! Elle est partie loin, se cacher ! Bien fait pour elle, la gitane !!

A tâtons, elle essaie de se remettre debout. Le simple fait de bouger son bras gauche lui arrache un cri, bientôt suivi par d'autres, le tout dans un magnifique crescendo digne des plus grands musiciens. Une fois debout, elle vacille, manque de retomber à nouveau, se rattrape à une corde invisible qui lui fait retrouver l'équilibre, qui la tient sûrement en vie.

Maintenant, elle regarde l'horizon, une main en visière, tel un aigle à la recherche de sa proie.
Rodrigo, mon doux Rodrigo, où es tu ? Maintenant qu'Elle est partie, nous avons enfin la voie libre, nous allons enfin pouvoir vivre notre amour tranquillement ! J'arrive, mon tendre, ne t'inquiète pas, j'arrive !

Quiconque l'aurait vu, là, en train de marcher, l'aurait pris pour une folle. Sa robe est déchirée, on peut facilement apercevoir le galbe d'un sein ou d'une cuisse, ses cheveux ressemblent à... tout sauf des cheveux, son visage est bouffi et maculé de sang séché, sa joue laisse apparaitre une chair martyrisée et parsemée de grains de sable.
Ses pas sont lourds, très lourds, et pourtant elle avance, obstinée à retrouver son marin.

La dune est franchie, elle longe la mer, sans réfléchir. Non, pour la première fois de sa vie elle ne songe pas à son apparence, seul son cœur dicte son chemin. Elle ne sent pas toutes ces articulations douloureuses, son crâne martelé et fracassé, sa joue arrachée. Tous ses os sont sur le point de se briser, ses muscles sur le point de lâcher son corps battu.

Au loin, elle croit enfin apercevoir des formes humaines. Ses jambes s'activent de plus belle, le flou se transforme en net. Le demi sourire tiré sur ses lèvres se fige. Quoi ?
Elle fait un pas de plus, espérant que sa vue lui fasse défaut. Quoi ?!
Puis elle se frotte les yeux, espérant cette fois qu'elle délire. QUOI ?!

A quelques mètres de là, Malika pelote Rodrigo, SON Rodrigo ! Mais, pourquoi il la tient dans ses bras ? Pourquoi ils s'embrassent ? Pourq...
La grimace sur le visage d'Isabella tire tellement sa peau que, de nouveau, sa joue ressaigne.

Trop, trop, trop... c'en est trop... trop...

Les voir si heureux, tous les deux, la détruit pour de bon. Les manigances ne suffisent plus, doña Philippa est bien trop loin, sa soif de vengeance est rassasiée, voir même un peu de trop. Elle ne ressent plus rien, si ce n'est de l'amertume, et peut être un peu de tristesse aussi. Son coeur est vide et dépourvu de colère. En quelques heures, elle a tout donné d'elle. Tellement donné qu'il ne reste plus qu'une coquille vide, qui contient de l'eau salée et du sang.

Elle fait demi tour, en courant, boitant, criant des "Adieu, adieu" à gorge déployée, usant ainsi ses dernières forces.
Elle pleure, elle saigne, son corps a mal, elle est seule. Elle est fatiguée de se battre. Elle est perdue, elle a perdu.

Isabella Gonzales d'Almirante a perdu. J'ai perdu.

Ces mots lui font mal.

Elle se dirige vers la mer, s'avance dans l'eau -qui passe du bleu pur au marron pourpre-, jusqu'à la taille.

Rodrigo aime Malika.

Puis jusqu'au cou.

Je suis trop bien pour vous, tous.

Et sa tête s'enfonce dans l'eau... pour ne plus jamais en sortir.


Joaquim


Bon diou de bon diou… Foutue guibole…
Sajara qui s’était avancé, soutenait son vieil ami…

Un coup d’œil à son Rodrigo, dans les bras de sa bien aimée. Il semble oublier les moments de séparation, de détresse, d’incertitude, de questionnement qui l’ont tant fait souffrir quand sa dulcinée a disparu…
La disparition de l’être cher, la panique, l’incompréhension qui s’empare de tout son corps, la tête qui semble martelée, le cœur qui s’emballe… qui peut battre à faire exploser le thorax…

Et là, le bonheur des retrouvailles, si intense, si profond…
Plus rien de compte pour les deux amoureux, emplis de bonheur, d’amour…

La seule chose qui s’impose à présent est de les laisser seuls.

Arminho montre sa monture du doigt… Sajara s’avance vers l’animal qui n’oppose aucune résistance. Le prenant par les rênes, il le ramène à hauteur du vieux lion blessé.
Après un ultime effort et un rictus de souffrance, voilà Joao sur son cheval.

Attendant, Sajara, il positionne sa jambe, mais son dos se rappelle à son bon souvenir….

Bon diou de bon diou…. Foutre de bouc…. Foutue carcasse…. Plus pour moi toutes ces cavalcades !

Le soleil est à son zénith, une journée magnifique, les deux cavaliers font demi-tour, laissant les cadavres des brigands à disposition des charognards. Si l’odeur devient forte, la maréchaussée viendra enlever et enterrer tous ces vauriens dans une fosse commune.

Chemin faisant, Joao lâcha :
- C’était une belle journée pour mourir… l’épée à la main… comme les vikings pour rejoindre le Walhalla…
Sur ce Sajara lui répondit :
- La journée n’est pas finie !
Les deux compères éclatèrent de rire.

Le retour fut évidemment très tranquille. Les deux anciens écorcheurs, fourbus, rentrèrent paisiblement et péniblement. Le poids des ans commence à leur peser.
Le château offrait un lieu de retraite enviable.

Dans les écuries, le seigneur appela quelques uns de ses gens :
- Avez-vous vu Dona Philippa ?- Oui seigneur acquiesça un des laquais. Elle a déposé son cheval, et fait demander qu’on apporte toutes ses affaires dans la demeure à l’orée de la forêt… Elle a ajouté qu’elle ne voulait plus avoir à faire avec cette famille… Que devons nous faire maître ?
Se grattant le menton, le vieux châtelain, sourit :
- C’est bon faites ce qu’elle demande… Mais tenez-moi au courant de ses faits et gestes, si je suis absent, faites en rapport au seigneur Rodrigo !

Sajara et Arminho se dirigèrent vers la grande salle, un repas de fête fut ordonné…

- Dès que mes blessures iront mieux, je partirai !
Mais laissons tout cela et faisons bonne chère mon ami…


Rodrigo


Doux instants de retrouvailles …

Malgré leurs corps douloureux, malgré ces ecchymoses qui constellent leurs corps d’ombres violacées, qu’il vaut mieux ne pas effleurer, les deux amants se serrent très fort l’un contre l’autre, conscients qu’ils ont failli se perdre pour toujours.

Les larmes de Malika le touchent profondément, lui laissant un goût amer au fond de la gorge, un sentiment de culpabilité qui l’empêche de se réjouir vraiment, et le terrorise rétrospectivement. Elle semblait si heureuse, si bien dans sa peau, sa petite gitane, avant qu’il ne l’emmène dans cette hacienda de malheur ! Et par sa faute, elle est passée à deux doigts d’un exil définitif aux confins de terres hostiles, puis d’une mort affreuse entre les griffes de la cruelle Isabella.

C’est beaucoup. C’est trop. Non, jamais plus ils ne se quitteront. Il ne lui fera plus courir aucun risque désormais. Rodrigo berce tendrement son bel amour, blottie dans ses bras, embrassant doucement ses joues mouillées de larmes. Derrière elle, Sajara a rejoint son père et l’aide à grimper sur sa monture. Le fouet d’Omar a gravé de vilains sillons rougeâtres sur la jambe de Joaquim, mais le patriarche a une constitution de fer, dans quelques jours cette blessure sera oubliée. Le temps n’a décidément aucune emprise sur les deux colosses, qui reprennent déjà la direction du domaine familial.

Rodrigo a soudain une pensée pour sa mère, complice des méfaits d’Isabella, son égale en matière de cruauté et de fourberie. Que le diable l’emporte ! Jamais il ne pourra lui pardonner son infamie. La retraite dorée que lui a imposée Joaquim sera sans doute une punition suffisante. Elle vivra en recluse loin de l’hacienda et de toutes ces mondanités qu’elle affectionne. Oui, cet exil est tout indiqué, ce sera du moins l’avis de Rodrigo si son vieil ours de père lui demande son opinion.

Malika lève tout-à-coup vers lui des prunelles étonnées. Perdu dans son introspection, Rodrigo n’avait pas entendu ces cris, jaillissant dans le lointain, comme tirés d’un cauchemar. Cette voix … mais c’est celle d’Isabella ! Elle est donc toujours vivante ! Une bouffée de rage envahit le cœur du jeune officier, faisant briller dangereusement ses yeux. Prenant par la taille sa tendre gitane, il la conduit jusqu’au bout du promontoire dominant le port et la mer. Et ils aperçoivent la brune, en effet, silhouette fragile titubant légèrement en pénétrant dans les flots, sans se retourner. Ils comprennent. Elle a choisi son destin. Sa route s’arrête là, elle en a décidé ainsi. Inutile de se précipiter vers elle pour l’empêcher de commettre l’irréparable ! D’ailleurs, il n’en a nulle envie. Les vagues auront son corps, Satan aura son âme. Ils distinguent encore sa chevelure sombre durant quelques instants, puis plus rien, la mer a englouti la diablesse. Faste journée pour la grande faucheuse qui a grappillé joyeusement son quota de cadavres en ce jour maudit.

Rodrigo se penche sur sa princesse. Viens, amour, nous rentrons à l’hacienda. Regarde, mon cheval nous attend là. Connaissant mon père, je suis certain qu’il se prépare à festoyer pour fêter ta libération et la fin de cette aventure. Allons faire ripaille avec lui, mon ange, nous l’avons bien mérité. Quand nous serons reposés, dans quelques semaines, je t’emmènerai en voyage pour oublier toute cette violence. Tu veux ?



FIN
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyLun 19 Avr - 13:18

Les trois soudards.


Rodrigo

L’atmosphère animée d’un port de la côte portugaise, niché dans les faubourgs d’une ville paisible. Un monde en effervescence, un monde tout en couleurs et en senteurs méridionales, face aux oliviers et aux pins plantés sur la colline.

Rodrigo hume. Rodrigo écoute.

Là le bruissement léger du vent du large qui se faufile entre les voiles et les haubans des bateaux, et agite les pavillons de poupe et de beaupré.

Ici le clapotis du ressac qui vient mourir contre les coques calfatées d’étoupe et de goudron, à l’odeur âcre et pénétrante qui agresse les narines.

Et enfin, arrimé au bout du troisième ponton, son bateau. Enfin non, pas vraiment. C’est un peu prétentieux de l’appeler son bateau. Il n’y était que le second du capitaine Guttierez, mais il y a passé tellement de semaines, à voguer de port en port pour le compte de sa majesté le roi du Portugal, que ce voilier était devenu son domicile principal et qu’il en connaît chaque recoin. Que d’aventures vécues … avant qu’une sévère blessure à la hanche ne l’envoie en convalescence à Paris.

A Paris où elle lui est apparue, gitane superbe au corps de liane, un peu égarée dans cette ville immense, où elle dansait dans les tavernes miteuses, n’hésitant pas, la coquine, à barboter adroitement les bourses des bourgeois venus s’encanailler en cachette de leur épouse légitime.

Malika …

Elle ne lui a pas dérobé ses écus, mais elle lui a volé son cœur. Sans une hésitation elle l’a accompagné dans l’hacienda familiale, où l’accueil fut mitigé, c’est le moins qu’on puisse affirmer. La présence de Malika contrariait des projets bâtis depuis des années. Et la belle fut enlevée, puis dut se battre contre Isabella, la rivale haïe, ne s’en tirant que par miracle.

Alors non ! Mille fois non !

Rodrigo s’attendait à ce courrier du capitaine Guttierez qui réclamait son retour à bord, mais sa réponse sera précise et définitive. Pas question de reprendre la mer. Pas question de quitter sa gitane après toutes ces épreuves. Pour éviter l’ironie grinçante du capitaine, il lui détaillera ses nouvelles responsabilités au sein de l’hacienda, son père, Joachim, dit l’Arminho, lui laissant désormais les rênes du pouvoir. Ce vieux forban de Guttierez gobera t’il ce prétexte ? Qu’importe ! Rodrigo franchit la passerelle étroite et grimpe sur le pont, d’une démarche assurée, habitué au doux balancement de la goélette bercée par les vagues. Une mouette se perche sur le grand mât en ricanant. Ferme la, sale bête.

Le jeune homme enjambe un rouleau de cordages traînaillant dans la coursive. Déjà du laisser-aller à bord …

Et le voici face à la cabine de Guttierez.

Une pensée pour son amour, restée au domaine. Il l’imagine, rêveuse, souriante, en train de se brosser les cheveux devant le miroir de leur chambre, près du lit transformé en champ de bataille après leur nuit de tendres étreintes.

Non ! Pas question de reprendre la mer …


Malika

Assise sur un tabouret recouvert de velours, devant l’élégant triptyque qui lui renvoie le reflet de son visage aux traits fins et charmants, Malika rêve toute éveillée.
Elle a posé une main sur son cou encore légèrement douloureux, même si petit à petit les traces de strangulations s’effacent, virant du violet le plus profond à un vert plus diffus.
Malgré la douceur des matins et les journées déjà chaudes, elle ne sort pas sans un foulard de soie enroulé autour de sa gorge. Sa voix est restée sourde, cassée. La voix de quelqu’un d’autre.

Elle a l’amour débordant de son Rodrigo, l’affection du patriarche, et même la tendre amitié de Sajara, le vieux maure, avec qui elle aime parler longuement, le soir venu, dans sa langue paternelle. Assis tous deux a l’ombre d’un figuier centenaire, ils partagent un gâteau au miel et un verre de thé brûlant délicatement parfumé à la menthe, tout en évoquant son Père, le vieil érudit, et aussi Fatima, leur amie commune au cœur aussi grand qu’une montagne.

La joie d’avoir retrouvé son vieux chien Igor et son petit singe Rolio a été atténuée par l’absence de Terra , son étalon, mystérieusement enlevé le même jour qu’elle. Son vieux compagnon de toujours qui a traversé de multiples pays, franchi les montagnes glacées et escarpées des Pyrénées pour disparaître ici, où il aurait pu réchauffer ses vieux os au doux soleil du Portugal.

Malgré tout ce bonheur, une sourde angoisse reste tapie au fond d’elle.

Rechantera t-elle un jour ? Aura t-elle seulement envie de danser aussi ? Ses nuits sont agitées, elle se réveille angoissée, en nage, opprimée par de douloureux souvenirs.

Depuis la mort d’Isabella, et le départ de la mère de Rodrigo , elle s’occupe de son mieux de l’hacienda, conseillée par son amant. La confiance de Joachim lui est acquise, et elle se sent appréciée par le personnel de l’hacienda. Souriante, avenante, à l’écoute de chacun, elle peut compter sur l’aide de tous malgré son jeune âge et son inexpérience.

Joachim, le vieux lion, qu’elle considère comme son second père, paraît heureux de la vie qui reprend ses droits dans l’hacienda et il laisse à son fils de plus en plus de responsabilités pour gérer le domaine.

Rodrigo ne la quitte pas d’un pouce. Il leur arrive, le matin, dès l’aube, de partir tous les deux à cheval faire le tour d’une infime partie des vignobles, où de minuscules feuilles commencent à verdir sur les ceps taillés. Ils vérifient les plantations de citronniers et d’orangers, qui offrent leurs fruits dorés, gorgés de jus et de sucre, et les oliviers lourds de fleurs qui promettent une belle récolte pour l’automne, qui sera conduite au pressoir pour donner une huile riche en parfums.
Ses journées sont douces et heureuses. Cependant …

La nuit, de sombres cauchemars ,ou elle voit un animal indistinct aux yeux d’ émeraudes aux griffes crochues , ou des voix d’hommes et des rires gras raisonnent dans sa tête et viennent la hanter, malgré la présence réconfortante de Rodrigo. Le combat contre Isabella, les mains de sa rivale serrées autour de son cou, sa lèvre fendue, ses bras déchirés par les ongles de la promise déchue, ont réveillé dans sa mémoire un autre combat, plus ancien, plus inégal encore, où elle a été détruite, salie, déshonorée à jamais, alors qu’elle n’était encore qu’une jeune adolescente en fleurs, presque une enfant.

Dans l’obscurité, bercée par les bras de son amant, tous ses efforts pour oublier cette horrible aventure à Paris s’effondrent comme un château de cartes. Oui, la nuit, les trois soudards surgissent du passé et la violent à nouveau.


Joaquim


La chasse, la pêche occupaient la convalescence d’Arminho. Il profitait des beaux jours sur ses terres, maintenant gouvernées pas son fils.
Le vieux guerrier avait passé la main et c’était au tour de son fils de reprendre les rênes.

Pourtant l’absence de Rodrigo, parti sur les côtes lui semblait inquiétant.
Le virus de la mer devait le reprendre. Est-ce un bien ou un mal pour la famille ?

Après tout c’est à son tour de gérer la famille… qu’il fasse à son aise…


Arminho se remettait de ses blessures comme d’habitude. Les cicatrices se refermaient lentement laissant de longues traînées.
Mais recouvrait-il la santé ?
Ses réveils étaient difficiles, le moindre effort se faisait ressentir des jours entiers. Les quintes de toux ne le quittaient plus, et il y avait ces crachats de sang…

Les activités physiques devenaient pénibles… Sans compter cette perte de poids.

Il la sentait… Oui il la sentait… il sentait la faucheuse qui le guettait…

Avec cette histoire d’esclave et d’Omar, il pensait faire son dernier tour de force et tirait sa révérence. Il pensait mourir l’épée à la main. Mais l’instinct de survie avait été le plus fort.

Et maintenant, que faire ?
Mourir dans son lit, s’écrouler un jour de pêche, quelle farce !

Son orgueil, ne lui permettrait pas.
Mourir comme un va nu pieds ne sied pas à sa vanité.

Quelle dérision de vouloir mourir avec grandeur, quand on pense à la finalité de la mort ; « poussière, tu retourneras à la poussière ».

Quand on y songe quelques temps après, tout le monde vous a oublié. Et des centaines d’années après quelle importance d’être mort à 20 ou 80 ans ; dans une bataille ou dans un cul de basse fosse. Les gens se foutent des hommes des siècles passés. Quelle folie !

Pouah que d’idées sombres…

Encore quelques jours et le vieux lion pourra reprendre la route et cette fois-ci… sans retour.

Partir sans avertir Rodrigo et Malika, laisser la tour en désordre, leur laisser l’espoir d’un retour, pour toujours être présent…


Il le savait, il devait profiter de ces journées ensoleillées.
Le Portugal est magnifique en cette saison. C’est d’ailleurs à cette période de l’année qu’il est le plus beau, le plus productif. Sa flore s’épanouit. Le soleil n’étant pas encore meurtrier, fait ressortir toutes ces pousses, et commande l’éclosion de toutes ces fleurs. Les arbres ont déjà bourgeonné.
C’est un pays splendide, il exhale toutes ses couleurs chamarrées qui enivrent les voyageurs.

Cela réjouissait Arminho de voir à nouveau ses vignes reprendre vie. Pourtant il savait qu’il ne vendangerait ni ne gouterait cette cuvée. Il voyait les raisins, infimes perles vertes, minuscules émeraudes qui enivreront de leur parfum et de leur alcool ce breuvage majestueux. Heureux sont les hommes qui se délecteront à nouveau de ce cépage.

Il regarda l’horizon prenant soin de cacher le soleil de sa main. Quelle plénitude …

Tout est en place, il est temps… L’heure va sonner…

Ce serait bien de pouvoir faire le tour des terres.
Cette idée le séduisit.
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyLun 19 Avr - 13:19

Rodrigo


Voilà une affaire rondement menée ! Et Rodrigo do Setubal, jeune et brillant officier de sa majesté le roi du Portugal, n’est plus. Sa silhouette longiligne n’arpentera plus le pont de la goélette du capitaine Guttierez. Jamais. Entre l’amour et la carrière, il n’a pas hésité l’ombre d’un instant. Il est à présent redevenu tout simplement Rodrigo, fils d’Arminho, propriétaire d’un domaine florissant bâti par ses ancêtres sur les rives ensoleillées et fertiles du Minho. Dorénavant son port d’attache sera le corps gracile de sa bien-aimée, et, plutôt que de parcourir les mers, il parcourra du bout des lèvres, chaque nuit, ses collines jumelles et son jardin secret pour y déposer mille baisers fiévreux.

Malika … Elle lui manque déjà. Elle sera heureuse qu’il ait remis sa démission. Il sera désormais tout à elle, et elle à lui, jusqu’à la fin des temps. Ce serait si merveilleux si cette nouvelle pouvait effacer à jamais l’horrible souvenir de cet odieux trio qui a abusé d’elle aux miracles, quelques mois avant leur rencontre. Sa gitane lui a confié que ce fichu cauchemar hante son sommeil, avec une violence encore accrue depuis qu’elle a failli périr sous les mains de la fourbe Isabella. Mais comment lui permettre d’oublier ce drame ? Rodrigo a beau envisager cet angoissant problème sous tous les angles, il n’y voit que deux solutions possibles, toutes deux bien aléatoires. Attendre et espérer que le temps, son amour, et l’affection de leurs proches apporteront l’oubli, ou bien se lancer à la recherche des trois salauds. Répondre à la violence par cette même violence. Mais ils sortent à peine d’un épisode douloureux, est-il sage de faire à nouveau appel aux armes pour soulager cette haine ?

Rodrigo quitte le port au galop, après un dernier regard pour la goélette aux voiles blanches. Aucun regret ne l’assaille. La page est tournée. Adieu, odeurs de poudre. Adieu, salves des canons donnant la mort. Adieu.

Courte halte à l’entrée d’un hameau pour y cueillir quelques branches de mimosa aux pompons d’or parfumé. Le velours jaune embaume la venelle. Regard circulaire et attendri sur la nature en fleurs. Mais là … Dieu du ciel ! Derrière la haie ! Terra, le cheval dérobé à sa belle ! Comment est-il arrivé dans ce patelin perdu dans les bois ? Ceci mériterait une enquête, mais il s’agit sans doute d’une ultime ruse de cette sorcière d’Isabella. L’essentiel est d’avoir retrouvé cette brave bête. Bon ! Personne en vue, mais pas de temps à perdre. Voler un voleur, exquise sensation. Rodrigo pousse la barrière d’un coup de pied résolu. Terra l’a reconnu. Il accourt au premier appel. Le jeune homme lui flatte rapidement les naseaux. Tu es libre, mon beau, tu vas revoir ta maîtresse … Sourire de Rodrigo … Ta maîtresse qui est aussi la mienne …

Hop, nouveau galop vers l’hacienda, et Terra suit vaillamment le cavalier, crinière dans le vent. Rodrigo n’a pas refermé la clôture, volontairement, et les autres étalons, juments, pouliches et poulains s’éparpillent dans les champs et les jardins. Savoureuse vengeance. C’est en riant que le jeune homme franchit les grilles du domaine familial, ramenant le vieux cheval et la bonne nouvelle. A peine dans la cour, il hurle suffisamment fort pour ameuter tout le nord du Portugal ! Malika … Papa … Venez vite !


Malika


Les bruits de sabots et les hurlements qui résonnent dans le vaste patio de l’hacienda font sursauter Malika, et la sortent de sa rêverie funeste et de ses souvenirs obsédants.

Rodrigo ? Déjà de retour ? Il ramène quelqu’un ? Sans doute le Capitaine Gutteriez ?

Il était parti tôt le matin alors qu’elle dormait encore dans les draps froissés par leurs tendres étreintes, le nez profondément enfoui dans un oreiller de plumes. Il avait reçu la veille une missive lui ordonnant de rejoindre son équipage, mais son bel amant ne semblait pas disposé à reprendre la mer.

Rapidement elle se ressaisit, farde légèrement son visage et maquille les empreintes de doigts qui colorent sa gorge mince. Elle enfile une robe couleur d’aigue marine, resserre les lacets autour de son torse et de sa taille menue, passe une écharpe de soie autour de son cou, laissant sa crinière folle auréoler son visage de reflets dorés.

Elle descend le vaste escalier en courant, la porte d’entrée est grande ouverte, le soleil est déjà haut et la lumière inonde le couloir menant vers la cour.
Rodrigo est seul, sanglé dans son uniforme de Capitaine en second. Il saute de sa monture, se précipite vers elle et la serre dans ses bras.

Sur la pointe des pieds, elle se hisse à la hauteur des lèvres de son amant, ses deux bras entourent son cou, elle l’embrasse fougueusement. Elle est légère comme une plume, et le jeune officier la soulève et la fait tournoyer en riant, dévorant sa bouche pulpeuse.
Malika ferme les yeux, elle tourne, elle tourne, se laissant emporter et griser par les pas désordonnés de Rodrigo, heureuse comme une enfant insouciante.

Amorrrrre ! Tu m’as manqué ! Oui depuis ce matin tu m’as beaucoup manqué, dis-moi que tu ne partirrras plus sans moi !

Par-dessus l’épaule de Rodrigo, son regard fixe soudain un point précis.

L’œil arrondi par la surprise, la bouche grande ouverte, elle s’arrête net de rire et de parler.
Là, le cheval ! Son cheval, son vieux Terra est là devant elle !

Hôooooo ! Sverelem ( amour) tu l’as retrouvé ? Où ? Comment ? Köszönöm ( merci) mon amour !

Malika saute des bras de Rodrigo et s’élance vers Terra, enserre le cou puissant du vieux cheval, le caresse avec tendresse, embrasse son nez duveteux.

Edes baràt ( Mon ami), te voilà enfin, viens te rreposer, tu vas manger, et je vais te brosser et te fairre tout beau.

Elle se retourne vers Rodrigo, le regard débordant de reconnaissance, le sourire éclatant.

Köszönöm amorrrre, tu m’as fais un cadeau merrrveilleux d’avoirr retrouvé Terra.

Malika prend la main de Rodrigo dans la sienne, l’amène jusqu'à ses lèvres et lui fait un léger baiser, ses yeux clairs perdus dans les siens, le sourire prometteur.

Tu viens avec moi jusqu'à l’écurrrie, edes sziv ? (mon cœur )


Rodrigo


Sa blonde princesse serait-elle d’humeur coquine ? Ces yeux brillants comme la première étoile du soir, ce sourire tendre et fripon à la fois, la pression des petits doigts fragiles qui emprisonnent sa longue paluche osseuse, Rodrigo les reconnaît, il interprète la teneur du message sans le moindre risque de se tromper, et le bougre adore ça. D’ailleurs il ne résiste pas à l’invite, et se laisse mener sagement vers l’écurie en savourant l’instant à l’avance.

Et brosser les chevaux, me direz-vous ? Une autre fois ! N’exagérez pas ! Il existe des choses plus urgentes, et surtout plus palpitantes, vous ne trouvez pas ? Voilà, Terra et Tempête ont réintégré leur box, tout est donc parfait dans le meilleur des mondes pour nos deux braves montures. Non ?

A présent, si nous pensions à nous, amor ? … murmure Rodrigo à l’oreille de Malika, avant que ses lèvres ne s’égarent sous les cascades blondes de sa chevelure, puis sur ses épaules nues et dorées par ce soleil de midi qui leur fait plisser les yeux.

Viens, je ne pense pas que tu connaisses cet endroit. C’était ma cachette préférée lorsque j’étais gosse et que j’avais un gros chagrin. Attends, mon trésor, j’ai quelque chose à vérifier avant de t’y conduire …

La main posée sur sa barbe naissante, Rodrigo recule d’un pas, tourne lentement autour de sa belle, en laissant voyager ses yeux clairs sur ses rondeurs appétissantes, de haut en bas, puis de bas en haut. Ses prunelles prennent soudain un air soucieux, ses sourcils dessinent deux points d’interrogation identiques, mais il jubile intérieurement de voir sa douce gitane si indécise face à ce comportement étrange. Le coquin prend tout son temps, puis il s’approche en souriant, et tâte sans se gêner le moins du monde les petites fesses de sa bien-aimée, au travers du tissu vaporeux épousant parfaitement ses formes somptueuses. Il s’agenouille ensuite, glissant une main douce et câline sous sa robe aux reflets d’outremer et de myosotis, remontant délicatement le long de sa cuisse fuselée, sentant naître sous sa paume de délicieux frissons parsemant la peau diaphane.

Il lève enfin les yeux vers sa princesse de Bohème, la dévisage avec un soupçon d’impertinence, mêlée à cette étincelle d’amour qu’il ne peut dissimuler. Le sourire de Rodrigo s’élargit. Les yeux étonnés de Malika aussi.

Eh bien tout ceci me paraît concluant, trésor ! Je pense que la vieille échelle devrait supporter ton poids !

Riant cette fois de bon cœur, il se redresse, saisit sa gitane par la taille, la jette sur son épaule et l’emporte vers un recoin de l’écurie, enjambant selles, harnais, et tout le bric à brac nécessaire à l’entretien des montures de l’hacienda.

Sans lâcher son précieux fardeau qui rit, hurle, et se contorsionne comme un poisson pris dans la nasse, Rodrigo redresse d’une main une vieille échelle en planches de sapin, et l’adosse au mur, juste sous une trappe étroite et rectangulaire. Il émiette quelques toiles d’araignées du bout des doigts, grimpe lestement, et fait pivoter la plaque de bois vermoulu au-dessus de leur tête. La voie est libre.

Voilà. Il dépose son trésor dans l’obscurité, sous le faîte du toit, et la rejoins dans la minuscule cachette qu’un rayon de soleil éclaire avec parcimonie en se glissant entre deux rondins légèrement disjoints. Rodrigo repousse la trappe qui gémit un peu et se referme dans un claquement discret.

J’ai encore une petite surprise pour toi, amor … murmure t-il en la prenant à nouveau entre ses bras.

Tu dois sans doute te demander ce que j’ai dit à ce vieux forban de Guttierez, non ? Mais tu devras être très très gentille pour que je te l’apprenne, mon ange …

Il sourit, ménageant un brin de suspens. Malika lève la tête vers lui. Le rai de lumière vient se poser sur son visage et y dessine des arabesques floues qui dansent et voyagent au rythme de sa respiration. Elle est merveilleuse. Dieu comme il la désire … Il se noie dans la mer calme de ses yeux. C’est là qu’il veut amarrer son navire. Ses doigts font alors doucement glisser les bretelles fines et souples qui retiennent le haut de la robe couleur d’océan, et libèrent deux seins menus et fermes fièrement dressés dans la pénombre silencieuse. Le coquin est mort, l’amant a pris sa place. Rodrigo pose délicatement les lèvres sur les mamelons frémissants, les mordille tendrement, tandis que ses mains terminent le charmant effeuillage. La robe froissée de la sylphide et l’uniforme complet du marin s’amoncèlent en un petit tas soyeux sur l’antique plancher. Leurs corps nus s’enlacent, se fondent, et ondulent longtemps, très longtemps, jusqu’à ce cri d’amour rauque et violent qu’ils ne peuvent retenir.

Un siècle plus tard, ils reviennent à la vie, et Rodrigo explique enfin à son âme-sœur qu’il sera désormais tout à elle, ayant abandonné la marine pour ne plus jamais la quitter.
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyLun 17 Mai - 23:30

Malika


Il est son tout, Rodrigo, il peut la faire pleurer de tristesse ou de bonheur, ou rire par ses surprises toujours renouvelées. Elle ne peut que l’aimer toujours plus de jour en jour. A chaque instant il lui montre à quel point il tient à elle, et non, elle ne regrette rien, il mérite tout le bonheur qu’elle peut lui donner.

Mais peut-elle lui donner ce bonheur sans limite…..il y a tellement d’ombres anciennes dans sa tête que parfois elle est remplie de tristesse.

Sous le faîte du toit, dans la paille odorante, ils s’aiment longtemps, comme des enfants heureux, avec fougue et fous rires, tendresse et mots doucement murmurés. Leurs mains dansent sur leur peau nue, leurs lèvres se cherchent, jusqu’au moment où une immense vague de volupté les emporte là où plus rien n’existe, là où une ombre bienfaisante envahit l’esprit et met le corps en repos.

Mais soudain le regard limpide de Malika se voile, elle accuse le coup comme si un coup de poing venait de lui être asséné au creux de l’estomac, son visage se fige.

Un nom revient en boucle dans sa mémoire, un nom crié par un des soldats ivres, PIERRICK c’est une enfant !

Nuit noire, ombres noires, capes noires, gants noirs …. Sauf une main qui apparaît en déchirant son corsage, une bague d’argent, une salamandre aux yeux d’émeraudes.
Elle crie, pleure, supplie …

Les images se bousculent dans sa tête…
Pierrick … la bague, la salamandre …. les yeux verts … Pierrick.. Pier..

Non. Ne plus y penser, avancer, oublier, vivre entièrement son bonheur.
Les traits de son visage deviennent douloureux, son front est barré d’une ligne soucieuse.
Il faut qu’elle se débarrasse de ce fardeau, il faut qu’elle soit vengée pour pouvoir vivre, il faut retrouver ses agresseurs, les abattre comme des bêtes malfaisantes. Mais où ? Comment ?

Dans l’obscurité son amant ne semble pas avoir constaté son désarroi. Elle se reprend vite pour ne pas assombrir ce moment rempli d’une grande douceur, ce n’est pas le moment de parler à Rodrigo de ses idées de vengeance.

Tendrement enlacés dans le foin parfumé, elle écoute avec attention le récit enthousiaste du jeune propriétaire de l’hacienda. Le visage de la fille du vent s’éclaire d’un grand sourire.

Amorrrrré, c’est merrrveilleux, tu vas rester prrès de moi ?

D’un coup de rein, elle se retourne, se met à califourchon sur le jeune homme, pose ses mains sur ses épaules, leurs regards se sont soudés, ses prunelles océan se coulent dans les iris acier de son amant.

Mais amorrré, tu es sûrrr ? Tu ne vas pas regretter la merr ? Tu m’en voudrras peut êtrrre ? J’ai entendu dirre que la merr était l’ unique Maîtrresse des marrrins et que jamais elle ne les laisse parrtirr…

En enlevant quelques brins de paille de ses cheveux, elle relève la tête, son regard se porte sur l’ouverture de la toiture. La lueur du jour a disparu.

Le temps est passé trop vite, le soleil a déjà décliné, la lumière du soir colore de mauve les murs de l’hacienda.

Rodrigoooooo ! Amorré, il faut rentrrer. Ton Pèrre doit attendrrre notre retourrr.


Rodrigo


Les doutes et les craintes de sa fleur de Bohème sont bien légitimes. Il est lui-même surpris d’avoir pris cette décision de quitter la marine aussi spontanément, de façon aussi naturelle. Souvent, c’est vrai, lors de leur court séjour à Paris, et lors de leur périple vers le Portugal, il lui a raconté la mer. Sa mer. Ses mers. En termes élogieux, voire dithyrambiques. Avec beaucoup de passion et de conviction dans la voix, et sans doute quelques trémolos, histoire de partager avec elle sa passion pour la grande bleue.

Ainsi, il lui a raconté le zéphyr caressant la voile, l’ouragan déchirant la coque dans un fracas de fin du monde. Il lui a raconté l’île minuscule naissant à l’horizon et les immenses falaises abruptes, gardiennes des côtes et des détroits. Il lui a raconté tout ce que la mer représente pour un jeune officier de sa majesté, qui se croyait destiné à la gloire et à la reconnaissance de son roi. Normal donc que sa princesse se pose des questions, et normal aussi qu’elle lui en pose.

Mais tout ça c’est le passé. Le rideau est tiré. L’entracte est terminé. Passons à l’acte deux, celui où les tourtereaux vivent heureux et insouciants dans leur domaine, égoïstement repliés sur eux-mêmes, sur leur famille et sur leur amour. Allongé sous le corps de sa belle, Rodrigo enlève délicatement les mains qu’elle a posées sur ses épaules. Il redresse lentement le buste, s’assied en gardant son bout d’chou sur ses genoux, face à lui. Il l’entoure doucement de ses bras, plonge ses prunelles sombres dans les yeux limpides de Malika brillant dans le noir. Il aime la tenir comme ça, tendrement prisonnière. Il aime la pression de ses petits seins durcis contre son torse. Il aime lorsqu’elle se laisse aller contre lui et inonde son épaule d’un torrent de boucles blondes et parfumées. Il aime ce visage pur et diaphane, qui oscille encore entre la frimousse d’enfant et les traits de la femme superbe que Malika sera bientôt. Tout est clair en lui. Et dans un instant tout sera clair en elle. Il le veut. Il le sait.

Je t’en fais le serment, amor, la mer c’est bien fini pour moi.

Il sourit et redevient le taquin délirant gentiment.

D’ailleurs je ne sais même plus à quoi ça ressemble ! C’est comment ? C’est rouge ? C’est jaune ? Et puis j’abandonne volontiers à mes anciens collègues officiers toutes les maîtresses que j’avais dans chaque port. Une seule me suffit largement, à présent. Ca te convient, mon cœur ? Allez, tends tes bras vers le toit là-haut, amor, tu as raison, il se fait tard, laisse-moi te rhabiller. Mon père doit se demander où nous sommes passés, et je ne lui ai pas encore annoncé la nouvelle de ma démission.

Il lui enfile la robe couleur d’azur, un peu froissée et piquetée de paille, profitant de l’occasion pour lui bécoter les joues et les lèvres dès que son visage réapparaît. Puis il se rhabille également, brosse du revers de la main son uniforme, brièvement, et entrouvre la trappe. Retour vers le monde.

Je passe le premier, mon cœur, ainsi je pourrai profiter de la vue quand tu descendras …

En riant il se laisse glisser le long des montants de l’échelle, rejoignant en un instant le sol de l’écurie, que l’obscurité envahit déjà. Il pose le pied sur le dernier échelon et attend sa princesse.
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyMer 7 Juil - 12:45


Malika


Les cheveux encore ébouriffés, un sourire radieux accroché aux lèvres, Malika descend rapidement les échelons. Parvenue aux derniers barreaux de l’échelle, elle se retourne et se jette directement dans les bras de Rodrigo, qu’il referme aussitôt sur elle.
Les yeux dans les yeux, il la fait tournoyer dans les airs, en éclatant de rire. Les pieds de la gitane affleurent à peine le sol jonché de paille, et elle tourne, tourne, dans un tourbillon de dentelles et de boucles blondes.

Après mille virevoltes endiablées, il la dépose délicatement. La tête lui tourne. Elle s’appuie un instant contre l’échelle et embrasse avec passion son bel amant, dans l’ombre dans la grange qui s’est encore accentuée. Elle défroisse ensuite sa robe, d’un geste de la main, pourchassant les faux plis et enlevant les brins de paille qui y sont accrochés.

Main dans la main ils reprennent le chemin herbeux qui mène au bâtiment principal de l’hacienda.
Le ciel est passé du mauve pâle à un bleu d’encre profond. Quelques étoiles commencent à scintiller, minuscules diamants éparpillés dans l’infini.
Les senteurs d’agrumes et d’arbres en fleurs parfument l’air tiède et doux.

Rodrigo est en verve, il lui décrit leurs futures occupations et les travaux à entreprendre pour embellir le domaine familial.
Les terres qu’il faudrait rajouter, le cheptel de moutons à renouveler, les récoltes de fruits à exporter dans les villes voisines.
Mais elle est distraite, la petite gitane, elle l’entend au travers d’un brouillard épais.
La voix du jeune homme est une musique dont elle ne comprend pas les paroles. Elle ralentit le pas, lâche sa main, de sombres pensées venant à nouveau l’assaillir.

Il faut qu’elle lui parle, qu’elle lui dise que tout l’amour qu’il lui porte ne peut guérir ses plaies, qu’elle n’arrive pas à oublier ni à pardonner à ces brutes qui l’ont à jamais souillée, et que tout son corps et son esprit crient vengeance. Il faut qu’elle lui parle maintenant.

Rodrrrrigo ! Avant de rentrrrer il faut que je te parrrle ! Je dois retourrner à Parrris !

Surpris, le jeune châtelain se retourne, la dévisage alors qu’elle éclate en sanglots !
La fille du vent est défaite, elle est pâle, de grosses larmes roulent sur son visage, les hoquets nouent sa gorge. Elle essuie ses yeux avec l’écharpe de soie bleu diapré qui couvre ses épaules, puis relève la tête, prend entre les siennes les mains de Rodrigo, les porte à ses lèvres.

Parrdon mon Amourr, çe n’est rrien, je t’en parrlerai plus tarrrd, ce n’est pas le bon moment.

Mais le regard inquisiteur de Rodrigo la transperce, son visage devient de marbre. Elle a soudain peur de le perdre, elle tremble, pousse un cri de désespoir, et les phrases longtemps contenues sortent de sa bouche comme un torrent tumultueux.

Comprrends-moi ! Il faut que l’innocence qui m’a été volée soit vengée. Pour pouvoirr vivrre, respirrrer, il faut que je me venge.

Ton Pèrre nous attend, je t’expliquerrai tout aprrrès. Je te dirrai comment on peut les rretrouver. Prressons nous, amorrr !


Rodrigo



Il a blêmi, il s’est figé. Il devient statue de sel, sous le coup de l’émotion et de la surprise. Les propos de Malika le laissent sans voix, au bord du KO, tout autant qu’une volée de coups de poings dans l’estomac.

Terminés les câlins dans la paille, adieu les balades à l’ombre des oliviers, adieu les dîners romantiques sur la terrasse ensoleillée de l’hacienda. Adieu cette dolce vita qu’il dégustait à l’avance et pour laquelle il a renoncé à la mer. Sa gitane veut reprendre le sentier de la guerre, alors qu’elle vient à peine d’échapper aux griffes d’Isabella et que lui-même porte encore sur la poitrine l’empreinte jaunâtre des semelles du gros Paco. Non, ce n’est pas raisonnable, c’est trop précipité, et ce projet présente des risques énormes, car les trois violeurs de sa belle ne sont certainement pas des anges. C’est une racaille particulièrement dangereuse qui sévit aux miracles.

Cependant, les sanglots de Malika viennent rapidement à bout de ses réticences. Cette chasse à l’homme lui paraît bien aléatoire, mais soit. Si la violence est l’unique solution pour plonger dans l’oubli ces fantômes du passé, qu’il en soit ainsi. Puisque le temps qui passe n’a aucune emprise sur ces ombres malfaisantes, il faudra trancher dans le vif.

Tu as gagné, amor. Je me faisais une joie de rester ici avec toi, de profiter calmement du charme de l’hacienda et de ses alentours, de t’aimer à chaque heure du jour et de la nuit, mais je comprends ta décision et je l’approuve. Si tu estimes que seule la vengeance peut te permettre d’oublier définitivement ces monstres, nous ferons en sorte qu’ils ne nous échappent pas. Tu dis que tu as un moyen de remonter jusqu’à eux, mon amour ? Viens, rentrons, tu m’expliqueras ça à l’intérieur, la nuit tombe et il fait plus frisquet soudain.

Ils pressent le pas vers l’entrée principale de la bâtisse, qui s’endort doucement sous la clarté des premières étoiles. Avant de franchir la porte, Rodrigo s’immobilise et prend la taille de Malika. Il la serre contre lui, et caresse délicatement sa frimousse dorée. Ce qu’il a encore à lui dire est plutôt délicat.

Père est sans doute au salon, peut-être avec Sajara. Ce sont des couche-tard eux aussi. Je dois te faire un aveu, mon cœur. J’ai brièvement parlé de cette triste histoire à mon père, lorsque tu étais disparue chez cette Fatima, l’amie de Sajara. J’étais désespéré, et je me suis confié à lui. J’espère que tu ne m’en veux pas, amor. Il était ulcéré par la cruauté de ces trois barbares. Connaissant son tempérament, je pense qu’il pourra nous conseiller, et peut-être même nous aider à les retrouver. Viens, je crois que j’entends du bruit au salon …



Joaquim


Assis dans le salon, seul devant une table jonchée des restes d’un repas bien arrosé ; le patriarche regardait son vieux compagnon s’éloigner.
Sajara avait décidé de faire le tour du château, une bouteille à la main.


Joao le connait, il sait qu’il est un temps pour noyer son chagrin entre mâles virils, et qu’il en est un autre ou la douleur devient si forte, qu’elle vous enlace violement, et vous serre la gorge… et viennent parfois….les larmes.
Ces instants sont voués à la solitude.

Joaquim ne connaissait que trop l’étreinte du passé. Cette compagne douloureuse et poignante, aussi traumatisante qu’une blessure au combat. Elle vous inonde de pensées mélancoliques.

Si s’ajoutent le souvenir des amis disparus et de la jeunesse qui vous tourne le dos, ces moments vous harcèlent et ne vous lâchent plus.

On les affronte seul.

Pour l’heure, le vieux lion était triste pour son ami. Si la retraite devient aussi maussade, les routes retrouveront vite un couple d’ancêtres, des aventuriers vieillissants, néanmoins, redoutables en cas de rixe.

Cette pièce lui semblait trop grande, trop vide…
Où sont passés ces deux jeunes oisillons. Déjà le repas s’était pris sans eux ; que ne fallait-il pas pour les ramener à cette table à l’heure convenue.

Joaquim se leva pour se saisir d’une bouteille qui demandait à être vidée.


Derrière la porte, l’ultime aventure d’Arminho, s’apprêtait à faire son entrée.
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyMer 7 Juil - 12:47



Rodrigo


Gitane blonde et jeune officier poussent ensemble la porte du salon, après un dernier baiser, mettant fin à leurs chuchotements complices. Ainsi qu’ils l’imaginaient, Joaquim est bien présent dans la pièce, avec, pour seule compagnie, une bouteille d’alcool. Le vieil ours a la mine sombre, semble t-il. La boisson triste. Bizarrement, son inséparable ami Sajara n’est pas de la partie. Rodrigo s’approche, s’attelant à détendre l’atmosphère.

Tu es seul, père ? Parlerais-tu avec ton verre ? Malika et moi avions l’impression d’entendre des voix …

Gentille boutade destinée à ramener le sourire sur le visage préoccupé du taureau du Minho.

Nous t’avons délaissé, ce soir, père. Pardonne-nous. Les heures ont filé comme des grains de sable balayés par le vent. Nous en avons même oublié le repas du soir en soignant les chevaux dans l’écurie.

Rodrigo esquisse une ombre de sourire en s’apercevant que quelques brins de paille sont restés accrochés dans l’avalanche de boucles d’or couvrant les épaules de sa princesse. Ces fétus oubliés sont le témoignage limpide de leur emploi du temps de la soirée, et, en d’autres circonstances, il en aurait franchement rigolé et aurait taquiné sa belle, mais l’instant est mal choisi. Inutile de tergiverser, l’heure est grave. Sa démission, le cheval retrouvé, ce ne sont plus que de futiles détails. Ils auront l’occasion d’y revenir une autre fois. Rodrigo s’installe à la table, face au patriarche, et attire Malika sur ses genoux. Il s’est rendu compte depuis longtemps de l’affection profonde qui unit son père à sa gitane. Elle a fait la conquête du père après celle du fils, par son charme, son naturel, sa volonté, sa fraîcheur. Elle est à mille lieues de ce monde sophistiqué qu’ils détestent et évitent autant que possible. Dès lors, Rodrigo en vient directement au cœur du problème, convaincu à l’avance que Joaquim leur viendra en aide autant qu’il le pourra. Il arbore un faciès particulièrement dur lorsqu’il reprend la parole.

Te rappelles-tu, père ? En l’absence de Malika, je t’ai raconté cet horrible épisode où elle a été la victime impuissante de trois soudards ivres, un soir, à Paris. La violence des récents événements, et surtout son enlèvement par Isabella, ont ressuscité ces souvenirs cruels. Ils la privent de sommeil, et la hantent de plus en plus.

Il serre tendrement les petits doigts de Malika dans sa grande main noueuse, pour la réconforter, pour lui rappeler qu’elle dispose de son soutien total.

Désormais, Malika a décidé de se venger de ses bourreaux. Je pense aussi que c’est la seule alternative, et je l’aiderai de toutes mes forces à détruire ces racailles, bien entendu. Aucun d’entre eux n’échappera à notre vengeance. Ils ne méritent pas de vivre. Cependant, nous avons besoin de toi pour y arriver. De ta force, de ton expérience, et de tes appuis, éventuellement. Père, tu m’as confié récemment que tu envisageais d’accomplir un dernier voyage avant de profiter plus longuement de notre hacienda. J’aimerais, si c’est possible pour toi, que ton voyage passe par Paris et que tu nous apportes ton soutien.

Un bref silence, et Rodrigo termine en se tournant cette fois vers sa compagne. Elle lui paraît encore plus jeune, plus frêle, en cet instant. Elle n’est qu’une enfant vulnérable, victime de la cruauté des hommes. Elle a besoin de lui, plus que jamais. Et il répondra présent. C’est avec un plaisir sans limite qu’il tranchera la gorge de ces canailles qui ont profané l’aube de son existence. Qu’ils soient truands ou bourgeois, ou même gentilshommes, cela n’aura aucune importance à l’heure du châtiment. La voix du jeune homme tremble d’une émotion qu’il ne peut contenir.

Amor, tu m’as laissé entendre que certains indices pouvaient nous permettre de retrouver la trace de ces crapules. C’est le moment de tout nous dire, si tu en as la force. Parle sans crainte, sans rien omettre. Le moindre détail peut se révéler capital. N’oublie rien, mon ange.


Joaquim


La porte s’ouvre et laisse apparaître le plus beau des tableaux qu’un père puisse imaginer : son fils, heureux comme un pape, aux bras d’une ravissante créature céleste.

Néanmoins, encore sous le coup de l’émotion, il ne transpire rien de son visage. Froid comme le marbre, Arminho laisse ses enfants entrer.
Il est d’humeur sombre, son ami Sajara, pour une raison légitime s’est éclipsé laissant le diable trinquer seul.
Cruelle solitude, nonobstant l’arrivée de la fraîcheur lui fait un bien fou.
Il se laisserait bien aller à quelques pitreries ou blagues grivoises, mais il préfère laisser venir à lui les deux amants.

L’entrée en matière de Rodrigo est un peu surfaite, cacherait-il quelque chose…
Bon qu’il loupe l’heure d’un repas, passe encore…
Se dehanchant sur sa chaise, le vieux seigneur observe ses ouailles. Faut pas être sorti des couilles de Satan pour se rendre compte que nos deux jeunots étaient en train de batifoler dans la paille….
« Soigner les chevaux dans l’écurie », un rictus vient malgré lui tordre ses lèvres ; il me prenne vraiment pour un oisillon de la veille tombé du nid ?

Ah la jeunesse ! ça doute de rien, ils oublient trop souvent que leurs bêtises, on les a faites bien avant eux.


Enfin Rodrigo reprend la parole, mais que nenni des fariboles et autres grivoiseries, cette fois il se fait l’écho d’un bien triste présage.

Après l’annonce de son projet… Joao fait grise mine.
Cette affaire de viol a le don d’ulcérer Arminho…
Oh non pas que le viol d’une donzelle le fasse chavirer de rage, non !
Lui-même dans ces rapines et massacres c’est souvent acoquiné avec le malin et rendu coupable de ce genre d’outrage.
Non ! Ce n’est pas ça…
Il y a que Malika fait partie du clan maintenant, et quiconque la blesse, la touche, la souille, mérite la mort.
Foi d’Arminho.
De plus son fils est blessé dans son âme et sa chair, et ça le vieux lion ne peut le supporter.

Est-ce qu’il sait ce petit nigaud qu’il est la prunelle de mes yeux et que pour lui, pour son bonheur et pour sa vie ; je n’hésiterai pas un seul instant à donner ma vie.

Quand il a prit son fils pour la première fois dans ses bras, il a su dès cet instant qu’il lui vouerait sa vie. Quand bien même, l’éloignement, les disputes orageuses et les séparations douloureuses se sont faites légions, il n’a eut de cesse de porter pour son fils un amour profond et sans limite.
Et maintenant, cet amour s’est élargi pour englober la petite gitane. Bien sur qu’il va les accompagner.

Arminho se lève et d’une traite, fait part de ses dernières pensées à ses enfants.
Il se rassoit et en joignant les mains se fait le confesseur de Malika.
La chasse est ouverte.



Malika


Une famille, oui, c’est ça une famille. Il y a tellement longtemps qu’elle a perdu la sienne que son cœur se serre de bonheur de se savoir aimée et soutenue.
Le regard protecteur de Rodrigo, rempli d’amour, et celui du vieux lion, plein de tendresse, se posent maintenant sur elle.
Sajara n’est pas présent, mais elle sait qu’elle peut conter sur lui tout autant qu’un proche parent.

Elle s’assied à la grande table de bois ciré, face au patriarche, se blottit dans les bras de Rodrigo, et prend dans ses doigts fins un verre de cristal de Venise à demi rempli de vin doux de la propriété.
Elle trempe avec délicatesse les lèvres dans le délicieux breuvage au parfum suave, et une douce chaleur se répand dans son corps.
Ses joues rosissent, elle puise le courage de parler dans le réconfort que lui apporte ce vin, et dans la tendre pression des doigts de son amant sur les siens.

Ses yeux d’océan se perdent dans les visions cauchemardesques du passé, de cette nuit sans lune, de cette ruelle sombre et puante des miracles où, en vain, elle essayait de retrouver son chemin pour rejoindre sa roulotte.
Elle avait chanté et dansé les czardas de sa Hongrie natale dans les tavernes où elle était chichement payée, et où les clients lui jetaient quelques piécettes.

Son récit est haché par les sanglots qui viennent nouer sa gorge.

Les rires gras, les bruits de bottes des trois soudards qui la suivent, qui se rapprochent, et puis … ses cris, ses larmes, les coups reçus, ses vêtements arrachés par des mains puissantes qui fouillent son corps. Son corps écartelé, déchiré …

Cessons là !

Je n’ai entendu qu’un seul nom, Pierrick , et j’ai distingué une bague d’arrrgent sur un autrre homme, le trrroisième ! C’est le seul qui a crrié … laissez là, c’est encorrre une enfant ! Mais ça n’a rien changé.

La gitane se lève et se dirige vers l’écritoire, disposé sous la clarté d’une grande fenêtre, et sur lequel sont posées quelques feuilles de papier, une corne à encre et une plume taillée.

Je peux dessiner la bague, je la vois toutes les nuits dans mes cauchemarrrs.
Une salamandrre d’arrgent, avec des yeux d’émerrraudes, une gueule ouverrte avec une langue darrrdée et fourrrchue. Une langue double de serrrpent …

Malika s’applique, et son dessin est si ressemblant que des frissons parcourent ses bras.
D’une main tremblante, elle prend la feuille et la pose sur la table sous les yeux des deux hommes.

Voilà Pèrrre, voilà amourrr, c’est tout à fait ça ! Elle lève son regard limpide sur le vieux lion et son fils.

C’est peu de chose, n’est ce pas ?
Mon souvenir est prrrécis, mais cela sera t-il suffisant ? Entre-temps il y a eu des guerres, et ils sont peut-êtrre morrts à l’heurre qu’il est ?
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyMer 7 Juil - 12:48


Rodrigo


Cette maudite salamandre d’argent aux yeux verts et luisants, exhibant cette langue fourchue et menaçante, Malika la lui avait déjà décrite plus d’une fois durant ses insomnies, lorsqu’il passait des nuits entières à la consoler et à la rassurer. Cette fois, il visualise l’animal. Le dessin est sobre mais précis, et la jeune gitane paraît satisfaite de la similitude avec l’original, avec ce bijou que portait un de ses agresseurs, et qui est gravé à tout jamais dans les méandres de sa mémoire.

La frêle Malika est d’ailleurs troublée par cette ressemblance, et par ce violent reflux de souvenirs atroces. Dès lors, Rodrigo n’entrevoit qu’une seule solution. L’agression de sa compagne ne remontant qu’à quelques mois, ils commenceront leurs recherches à Paris, et plus précisément aux miracles. L’assassin revient toujours sur les lieux de son crime, dit-on. Espérons qu’il en soit de même pour ces trois crapules. Espérons qu’ils multiplient les virées et les beuveries dans ces quartiers pourris, et qu’un tavernier ou une catin aura remarqué cette bague si particulière. Peut-être même auront-ils la chance de les croiser dans une des gargotes mal famées de ces bas-fonds obscurs et glauques, dans cet infect cloaque où sévit la pire racaille de la société. Espérons …

Rodrigo se redresse d’un bond. L’imminence de l’action le métamorphose déjà. Son faciès trahit une immense colère et une obstination sans limite. Oui, il aspire déjà à en découdre avec ces trois brutes qui ont souillé lâchement sa belle. Oui, il voudrait les tenir au bout de son épée et plonger lentement la lame dans leurs entrailles fétides. Mais un tel voyage réclame un minimum de préparation. Pas question de traverser une seconde fois le nord de l’Espagne, les montagnes des Pyrénées, puis la moitié de la France sur le dos d’un canasson fatigué. Pas question de se briser les reins. Il est marin, que diable, et il se fait fort de dénicher un trois-mâts qui les mènera jusqu’à la Rochelle ou une ville voisine, et ils auront ainsi accompli les trois-quarts du périple sans y laisser trop d’énergie. Lorsqu’ils seront arrivés dans les Charentes, il leur suffira de louer trois chevaux, ou quatre, si le fidèle Sajara les accompagne. L’hacienda n’est pas un problème insoluble, leurs contremaîtres suffiront largement à diriger la manœuvre pendant leur absence.

Voilà ce que je propose. Demain j’irai au port et je me renseignerai sur les bateaux voguant bientôt vers la France. Nous y trouverons de la place, je saurai me montrer persuasif. Amour, toi tu commenceras à préparer les bagages, et tu y ajouteras ce dessin que nous montrerons dans les rues et les tavernes de la cour des miracles. Toi, père, rassemble nos armes, et préviens Sajara, si tu penses comme moi que sa présence nous sera utile. Vous pensez à autre chose ?



Malika


Malika se lève de la table familiale, écarte en souriant la main de Rodrigo posée sur sa cuisse, et un baiser aussi léger qu’une aile de papillon se pose sur les lèvres du jeune homme.

Amorré, je suis lasse, je vous laisse tous les deux, je veux voirr ce que nous emporterrrons dans nos bagages !

Elle dépose un baiser dans la crinière blanchie du patriarche.

Pèrre, excusez moi, j’ai besoin d’êtrrre un peu seule, je monte me coucher …

La gitane ramasse ensuite la feuille de papier où est dessiné le bijou.

Je vais le rranger précieusement, je crrrois que c’est vrrraiment très rressemblant !

La blonde fille de Bohème sort de la grande salle à manger. Pensive, elle monte lentement les escaliers de pierres ouvragées qui ornent le patio de l’hacienda et qui mènent aux chambres.

Les domestiques sont déjà passé par là, les draps de lin blanc sont ouverts, la courtepointe est abaissée, les bougies allumées répandent un halo doré dans la vaste chambre. Sur la coiffeuse, un bouquet de roses odorantes a été déposé dans un vase d’émaux délicats. Quitter ce paradis qui est devenu le sien sera un déchirement.

Tout est en ordre, paisible. La nuit est douce, un croissant de lune éclaire les allées du jardin. Le ciel est suffisamment clair et pur pour qu’elle puisse discerner les étoiles qui brillent d’un éclat de diamant.

Ses pensées sont embrouillées, allant de la douleur à la vengeance, en passant par la joie d’être soutenue et la peur de perdre ceux qu’elle aime
.
Est-il bien utile de quitter tout cela pour pourchasser les ombres qui l’empêchent de vivre ?

Et si le résultat final allait à l’encontre de son bonheur ? Si par sa faute il arrivait quelque chose à Rodrigo, au vieux lion ou à Sajarra? Jamais elle ne s’en remettrait. Elle porterait toujours sur sa conscience de leur avoir demandé de l’aider à se venger.

Accoudée sur la rambarde de pierre, elle aperçoit Rolio, son petit singe Capucin, compagnon des bons et des mauvais jours, joueur, voleur et tellement facétieux, livré à lui-même, et qui s’amuse à sauter de branche en branche. Il y a bien longtemps qu’elle ne s’est plus occupée de lui.

Tsssssss ! Tssssssss ! Rrrolio? Viens !

Malika croit voir un sourire se dessiner sur la mine renfrognée de Rolio. Non, elle ne le croit pas, elle en est sûre.
Avec allégresse son petit compagnon grimpe le long des bougainvilliers qui couvrent le mur, et saute sur son épaule, puis sur sa tête.

En riant elle s’assied sur le lit, Rolio accroché à son cou comme un bébé. Son regard vif cherche le sien, elle lui parle doucement, il l’écoute avec attention.

Ecoute-moi mon Rolio! Nous allons rrepartir, et tu viens avec nous. Terra est trrop vieux pour le voyage et Igorr aussi, ils resteront tous les deux ici, ils ont bien mérrité de se rreposer.

Le petit singe saute sur une table, prend un petit livret de poèmes agrémenté d’enluminures et le tend a sa maîtresse.
Malika repense au jour où Rodrigo le lui avait offert lorsqu’ils étaient encore à Paris. Elle le feuillette, songeuse. Sur la table de nuit est posé le dessin qu’elle a fait du bijou maudit.

Pour conjurer le sort elle le glisse entre deux pages de ces sonnets d’Amour. Demain elle le mettra dans son réticule pour que le précieux ouvrage la suive partout.
Demain … Il y a tellement de choses à penser pour demain …

Elle laisse glisser ses vêtements sur le sol, rince son corps à l’eau fraîche et se glisse dans les draps parfumés, laissant les rideaux de lit ouverts pour profiter de la douceur de la nuit. Rolio a pris possession d’un coussin confortable posé sur une cathèdre sculptée.

Plus tard, bien plus tard, elle sent que Rodrigo se glisse à ses côtés, elle se retourne et niche son nez dans le cou de l’homme qu’elle aime, un bras posé sur son torse.
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MessageSujet: Re: La cour des miracles - Roulotte et hacienda   La cour des miracles - Roulotte et hacienda - Page 3 EmptyMer 8 Sep - 10:29

Joaquim


Voilà, c’est donc pour ce voyage, cette mission…
Cela devait arriver, le tocsin s’est mis à sonner de plus en plus souvent et de plus en plus fort aux oreilles du grand Arminho.

Au moins le rachat de ces fautes est achevé… Il est lavé de ces souillures…

C’est donc pour cette fois, oui, il le sent…

En face de son fils bien-aimé… il ne lui dira pas les réveils difficiles, le mal dans sa poitrine qui le ronge, les cailllots de sang qu’il recrache chaque matin, les courbatures, la difficulté toujours plus présente à se lever à chaque nouvelle aurore, l’envie de ne plus se réveiller…

L’envie de s’éteindre ; la bougie s’est consumée, elle n’a plus de cire…
Le vieux seigneur est las.

Mais pour lui, il n’est pas question de mourir dans son lit, non…
C’est au combat…
C’était sa vie, ce sera sa mort, il en a décidé ainsi.

On ira venger la petite ; ensuite le couple seigneurial vivra sans les ombres du passé…
… et d’une pierre deux coups, le vieux lion aura terminé sa mission…

C’est ainsi, c’est écrit…

La dernière mission, salvatrice des âmes pour les uns, salvatrice du corps pour l’autre.

Depuis le temps que cette satanée faucheuse rode, il lui a fait la nique bien trop longtemps.
Il est temps…

Oui ! La dernière mission !

Rodolfo ne devrait plus tarder à revenir de sa mission diplomatique, espérons qu’il ramène les documents, faisant de Rodrigo le légataire officiel de toutes ces terres des Almirante.

Tout va pour le mieux, c’est bien… Une plénitude envahit le corps du vieux guerrier.

- Tout ira pour le mieux mon fils… dit Arminho d’une voix claire et rassurante.

Debout, faisant le tour de la grande table en chêne, il se posta devant Rodrigo :

- Sajara, nous accompagnera, il a des picotements dans les doigts. Et tu connais son penchant pour ce genre d’aventure. Encore une fois la vieille garde sera au rendez-vous. Un sourire vint illuminer sa face de vieux soudards.
- Rodolfo qui était parti régler ce petit, cet infime désagrément de droit foncier, sera de retour d’un moment à l’autre… Je lui laisserai des instructions pour le domaine…
Il fixa son fils, le nouveau seigneur, attendant un signe d’approbation, pour effacer son empressement d’avoir encore une fois donné un ordre.
Il faut qu’il se fasse à l’idée qu’il n’est plus le seigneur de ces terres.
Un instant de flottement, un rictus aux coins des lèvres…
Il reprit :
- Oh ! Sur que ça ne va pas lui plaire, mais que ne ferait il pas pour toi.
Un éclat de rire et une accolade plus tard, Arminho quittait la pièce.


Rodrigo


Voilà voilà. Les dés sont jetés. Tout s’organise, tout se met en place. Sous l’œil vigilant du précieux Rodolfo, l’hacienda sera bien gardée. Bien sûr, ça ne l’enchantera pas trop, mais il ne leur refusera pas ce service. Mais surtout, et c’est là l’essentiel, l’équipe est désormais au grand complet pour aborder cette périlleuse expédition en terre lointaine. Une équipe de choc. Oui, l’heure de la vendetta a sonné. Bientôt trois misérables cloportes crèveront dans d’atroces souffrances, si la chance conduit leurs bourreaux sur leurs traces.

Joaquim s’est levé et quitte la pièce après une vigoureuse accolade avec son fils. Une accolade d’hommes. Rodrigo a tout juste le temps de lui lancer quelques mots en le regardant franchir la porte.

Merci, père. Merci du fond du cœur. Avec ton concours, avec ta bonne humeur, tout me semble déjà plus facile. Tu as raison, mille fois raison, la vieille garde est irremplaçable. Salue pour moi Sajara et Rodolfo, et dis leur que Malika et moi nous leur serons éternellement reconnaissants de leur aide. Bonne nuit, père, je vais aussi aller me coucher dans trois minutes. Demain j’irai au port avec Malika, j’espère que nous pourrons tous embarquer bientôt.

Un dernier regard affectueux entre le patriarche et l’héritier, et la porte se referme dans un claquement discret. Rodrigo se retrouve seul. Pensif, il se ressert un verre de vin, et se plante face à la fenêtre. Sous ses yeux, son hacienda s’endort dans la douceur du soir, sous un fourmillement d’étoiles illuminant la tranquillité mélancolique du crépuscule. Tout est si beau ici. Si pur. Même la tristesse est belle. Même le silence est une musique enchanteresse venue du ciel. On pourrait être si heureux ici. Mais soit. Bientôt le vent nous portera vers la France, même si, en réalité, un bijou, un prénom, ne constituent que de minces indices. Y ont-ils suffisamment réfléchi ? Et Paris ? Paris est une fourmilière immense. La cour des miracles regorge de malfrats et de coupe-jarrets. D’ailleurs les trois bêtes malfaisantes y rodent-elles encore aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr.

Rodrigo soupire longuement … luttant contre ce malaise étrange qui le trouble et l’envahit. Ce n’est pas de la peur, non, c’est de la confusion. Un désarroi profond. Mais non ! Dix mille fois non ! Il ne faut pas que son bel enthousiasme se détricote. Pourquoi ces doutes si malvenus ? Allez, bon sang, secoue-toi un peu, ta gitane compte sur toi. Elle a besoin de ta force. Tu ne peux pas flancher. Tu n’as même pas le droit d’hésiter.

Le jeune homme s’arrache à la contemplation de la nuit. Sa belle dort sans doute depuis longtemps, si les trois fripouilles ne se sont pas immiscées dans son rêve, avec leur rire cruel et leur sexe dressé. Rodrigo regagne sa chambre et s’allonge auprès de sa princesse endormie. Elle vient se pelotonner entre ses bras, douce, chaude, fragile, et toujours profondément assoupie. Son souffle est régulier. Ses traits délicats sont paisibles. Les trois soudards honnis sont absents du rendez-vous nocturne. Rodrigo incline lentement le visage vers celui de sa blonde gitane, pose les lèvres sur les siennes en un baiser infiniment tendre. Ses doigts jouent un instant dans la chevelure dorée, roulent et déroulent les boucles d’or, mais avec mille précautions pour ne pas réveiller son ange qui semble si serein. Dors ma princesse de Bohème, je veille sur toi, et je t’aime.

Et bientôt leurs deux respirations se conjuguent, elles n’en font plus qu’une, qui se mêle à la quiétude des ténèbres, au bruissement familier du feuillage caressé par le vent du sud, jusqu’au retour du petit matin baigné de soleil.


Malika


Un rayon de soleil se glisse au travers des rideaux de lit tirés et vient caresser les paupières closes de Malika.
Elle pousse un mignon grognement qui ne tarde pas à se transformer en sourire en sentant les bras de Rodrigo qui entourent sa taille fine et son souffle tiède soulevant ses cheveux blonds.
Elle se retourne, s’appuie sur le coude et, d’un doigt léger, caresse le visage du jeune homme, puis elle suit les angles de sa mâchoire, son nez droit, sa bouche bien ourlée, sur laquelle elle dépose un baiser léger.

Le coq s’est mis de la partie, et au troisième cocorico tonitruant Rodrigo se réveille et ouvre les yeux.
Les deux amants se dévisagent avec tendresse, le regard rempli d’amour.

Bien dorrrmi mon amourrrr ? Tu as parrrlé longtemps avec ton pèrrre? Et Sajara, tu l’as vu ?

De bon matin, le cœur léger, elle babille sans arrêt, même si le regard un peu voilé de son amour lui donne l’impression que ses paroles se perdent dans un brouillard matinal encore épais.

En riant elle le secoue, glisse ses doigts le long de ses hanches, le chatouille un peu, l’embrasse beaucoup, se fait capturer et mordiller le nez par son amant déjà en forme ascendante. Mais la belle est impatiente.

Amorre ! Vite, il faut se préparrer, nous devons aller au porrrt pourr voirr si des bateaux sont en parrtance pour la Frrance ! Alllez, rrréveille toi, lève toi parresseux !

Malika se dégage après le plus long baiser de l’histoire du Portugal. Près de la cheminée, sur la table, un plateau a été déposé par la servante des cuisines, qui est entrée en douce, sans les éveiller.
Une montagne de brioches encore tièdes répand ses arômes sucrés dans la chambre, chatouillant agréablement l’odorat des jeunes gens.
Ils dévorent avec un appétit d’ogre, se donnent la becquée comme des oiseaux turbulents, se disputent en riant pour la dernière brioche, leurs yeux se croisent, leurs mains se caressent, leurs lèvres se joignent encore …
Dans le cabinet de toilette attenant à la chambre, le baquet d’eau tiède les attend. Ils s’y précipitent ensemble, déclenchant une marée matinale et se taquinent comme deux chenapans bien plus qu’ils ne se débarbouillent, Rodrigo se montrant moins pressé que sa blondinette.

Malika enfile ensuite des braies de cuir, une jupe de monte, ses bottes de peau et une chemise de coton blanc. Elle noue un lien de cuir pour tenir ses cheveux fous et encore humides.
D’un regard appréciateur, elle détaille Rodrigo qui s’habille en vitesse. Même sans son uniforme d’officier, qui l’avait tant séduite lors de leur rencontre, son amant est d’une élégance naturelle rare.

Les joues de Malika rosissent, son cœur bat plus vite, mais….elle se contente de lui prendre la main et le tire vers la porte.

L’hacienda dort encore, ils descendent en silence le grand escalier, et, lorsque les gonds de la monumentale porte de noyer sculpté grincent et gémissent, Malika éclate de rire en appliquant vivement une main sur sa bouche pour essayer de le contenir.

Arrivés à l’écurie, Rodrigo selle rapidement Tempête, tandis que la jeune gitane parle doucement à l’oreille de Terra, tout en le caressant sur son nez tiède et duveteux, avant de serrer les sangles de la selle de cuir cirée.

Encorre un voyage, mon beau Terra, nous allons vers la merrr, cette fois ci. Ce serra plus facile pourr toi que les monts Pyrrénnéens !

La blondinette émet sifflement léger, tel un chant d‘oiseau, et son petit singe Rolio saute sur son épaule, prêt au départ. Le trio des temps anciens est réuni.
Le regard de Malika se durcit soudain. Les lâches qui ont abusé de sa fraîcheur et de sa jeunesse devront vendre chèrement leur peau, Rodrigo, son père le vieux lion, Sajarrra seront là maintenant, et plus personne ne lui fera de mal, plus personne ne la salira. Une fois morts les trois soldats ne la hanteront plus. Ils seront à leur place, en enfer !

Tout en chevauchant d’un galop léger, bottes contre bottes, ils suivent les méandres du Minho pour rejoindre le port de Viano do Castello.

L’esprit de Malika s’envole un instant vers les rives larges et sinueuses du Danube. Elle se souvient de la chaleur du campement, de ses années de bonheur tranquille, avant qu’elle ne le quitte pour fuir un mariage arrangé contre son gré.
Elle repense à son beau cousin, presque son grand frère, son compagnon de jeux préféré, à leurs fous rires et à leurs larmes lorsqu’ils recevaient une correction pour avoir commis mille bêtises. Jamais ils ne se plaignaient, ils étaient de la graine de fiers Tziganes, déjà.
Il l’avait initiée au combat au couteau, à manier le fouet sans rater sa cible, à réussir ses premiers larcins, à jouer quelques accords de violon.

Elle devait le rejoindre au campement réservé aux fils du vent, à la cour des miracles, mais elle ne l’a jamais retrouvé. Il ne restait que des cendres de sa roulotte, et pas âme qui vive.

Elle est prise de nostalgie, et les larmes d’un violon se glissent dans sa tête. Elle a perdu sa voix lorsque les mains d’Isabella se sont refermées autour de son cou, lorsque sa rivale a été à deux doigts de l’étrangler, mais, dans la douceur du matin, sous le regard amoureux de Rodrigo, la fille de l’air et du vent, la fille du désert et des steppes, entame un chant mélancolique de son enfance, de sa voix rauque et envoûtante.
Son amant l’accompagne en écorchant les mots, et ils rient de bon cœur.

Leurs chevaux filent à présent comme le vent, et, dans deux heures, ils arriveront au port.

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